Les légumes racines disparus devraient revenir

Christina Kägi de l'Office fédéral de l'agriculture et Robert Zollinger de
Hortiplus veulent ramener les racines tradi￾tionnelles dans les jardins et les
cuisines. (Toutes photos ep)

par David Eppenberger

(17 février 2022) De nombreux légumes racines autrefois cultivés en Suisse sont tombés dans l'oubli avec la mécanisation. L'expert en semences Robert Zollinger est toutefois convaincu que les racines d'avoine, la raiponce ou la grande bardane recèlent de nombreux arômes, couleurs et formes passionnants qu'il convient de redécouvrir.

Beaucoup connaissent l'onagre de leurs voyages en train, car cette plante aux grandes fleurs jaunes aime pousser dans le ballast le long des voies. C'est pourquoi elle est également connue sous le nom de «plante des chemins de fer» en allemand. Seuls les inconditionnels des légumes sauvages savent que, contrairement à la rumeur largement répandue, elle n'est pas toxique, mais au contraire comestible et saine. Au XVIIIe siècle, elle était appréciée dans les jardins paysans pour sa racine pivotante charnue. Si on la cuit un peu à la vapeur, elle développe un motif de couleur blanc-rougeâtre, raison pour laquelle elle est également appelée «jambon du jardinier» dans la littérature horticole. Mais aujourd'hui, plus personne ne l'utilise en cuisine.Il en va de même pour d'autres légumes racines traditionnels qui sont tombés dans l'oubli. Qui connaît la grande bardane, la raiponce, la gesse tubéreuse, le chardon aux ânes, le chardon d'Espagne ou la racine d'avoine? Ce sont tous des légumes racines qui étaient autrefois cultivés en Suisse, mais qui n'apparaissent plus dans l'assortiment actuel de légumes.

Dans le cadre du projet PAN-RPGAA «Racines de tradition», 65 variétés
différentes ont été examinées et évaluées.

Rendre les semences à nouveau propres à la culture

La perte continue de variétés et d'espèces dans l'agriculture est un fait. «Six variétés de pommes représentent aujourd'hui 80% de la surface cultivée en Suisse», explique Christina Kägi de l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG). Mais il existe en Suisse plus de 3000 autres variétés de fruits qui ne répondent certes plus aux exigences actuelles du marché, mais qui ont néanmoins une grande valeur. En tant que coordinatrice du Plan d'action national pour la conservation et l'utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (PAN-RPGAA), Christina Kägi travaille à ce que ce trésor génétique et culinaire ne se perde pas. Depuis 1999, plus de 600 projets de conservation de la diversité des plantes cultivées en Suisse ont été réalisés dans ce cadre.

Les semences stockées entre autres dans la banque de gènes nationale à Changins devraient à l'avenir profiter à la sélection. Les anciennes variétés paysannes de céréales contiennent du matériel génétique, comme une résistance à la rouille noire chez l'orge, qui peut être utilisé dans les nouvelles sélections modernes. Jusqu'à présent, la plupart des projets concernaient surtout la conservation de semences d'anciennes variétés de céréales, de légumes ou de fruits. «On regardait ce qui était disponible et on veillait à ce que rien ne soit perdu», explique Christina Kägi.

Ces cinq dernières années, les projets d'exploitation se sont multipliés, dans le but de cultiver des variétés agricoles rares et de les rendre à nouveau propres à la culture. En ce qui concerne les légumes, il existe de nombreuses espèces qui ne sont pas adaptées à la mécanisation, mais qui se distinguent néanmoins de la norme sur le plan culinaire.

Les racines d'onagre cuites pourraient redevenir un sujet d'actualité
dans la haute gastronomie.

Le jardin potager revient sur le devant de la scène

Robert Zollinger s'est engagé toute sa vie professionnelle en faveur de la préservation des plantes cultivées traditionnelles. Avec sa femme, il a jadis mis sur pied l'entreprise de semences biologiques Zollinger aux Evouettes (VS), qu'il a transmise à ses fils il y a quatre ans. Il a déjà mené plusieurs projets d'observation et de conservation dans le cadre du PAN-RPGAA. Dans le projet actuel, qui concerne racines traditionnelles, il a cultivé cette année 65 variétés différentes de sept espèces dans la périphérie de Zurich avec son entreprise Hortiplus Zollinger (cf. encadré). L'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) a soutenu financièrement le projet et la ville de Zurich a mis à sa disposition un terrain dans le jardin communautaire Grünhölzli.

Encore loués dans les ouvrages anciens sur le jardinage, les légumes racines ont aujourd'hui été oubliés par les jardiniers, explique Robert Zollinger. Cela s'explique aussi par des raisons compréhensibles: les légumes anciens tels que la raiponce, la grande bardane ou la racine d'avoine sont aux antipodes de la carotte, aujourd'hui uniformisée et adaptée à la culture technicisée, qui doit répondre à des exigences de qualité strictes venant des acheteurs.

Les racines traditionnelles, en revanche, poussent de manière très différente: à plusieurs pattes, épaisses ou fines, longues ou courtes. Dans la culture maraîchère professionnelle à grande échelle, leur culture est beaucoup trop coûteuse et donc non rentable. Personne n'a le temps, sur un marché des légumes strictement cadencé, de creuser jusqu’à un mètre de profondeur pour trouver des racines qui n’apportent guère de rendement. Robert Zollinger constate toutefois un renouveau de la tradition des jardins potagers et un intérêt croissant pour les légumes savoureux. «Les racines présentent des arômes, des couleurs et des formes passionnantes qui pourraient intéresser une cuisine gastronomique de haut niveau, mais pas seulement.»

Se procurer des semences utilisables est un défi

Robert Zollinger explique qu'il a été difficile de trouver suffisamment de semences appropriées pour les sept espèces de racines prévues pour le triage. D'une part, les graines, dont certaines n'avaient que la taille d'une poussière, provenaient de particuliers qui avaient répondu aux appels lancés dans des magazines. D'autre part, elles sont stockées dans la banque de gènes nationale à Changins. De plus, Robert Zollinger recherche de temps à autre des candidats sur des sites potentiels. Grâce à la littérature, il savait par exemple que des gesses tubéreuses poussaient encore le long des champs de céréales dans la région de Loèche. Mais lorsqu'il est arrivé sur place il y a quelques années, le champ avait déjà été récolté. Il a tout de même fait des découvertes, car les sangliers avaient fouillé le sol à la recherche des tubercules. Zollinger sourit: «Les sangliers savent ce qui est bon.»

Des dégustations réussies

Mais il ne suffit pas que les semences soient disponibles pour qu'elles soient adaptées à la culture. «On a bien remarqué que les variétés étaient négligées sur le plan de la sélection», explique-t-il. Par exemple, les graines poussent souvent de manière inégale. C'est pourquoi, lors de ces essais de culture, il s'agit tout d'abord d'évaluer, en examinant les plantes qui ont poussé, quelles sont les variétés qui s'imposent pour la multiplication. Les critères agronomiques et culinaires sont particulièrement importants.

Si la première année, les fleurs du Grünhölzli sont jaunes et violettes, c'est certes beau à voir pour le profane. Mais pour le spécialiste Zollinger, il est clair que les légumes racines habituellement bisannuels ne devraient fleurir que la deuxième année, car la racine se forme surtout la première année. De telles variétés fleurissant la première année sont donc évaluées négativement lors de la sélection.

Finalement, seules les variétés qui se sont imposées lors de la procédure complexe de sélection et d'évaluation sont multipliées. Au final, les semences doivent être disponibles dans le commerce avec des variétés utilisables au quotidien. Car l'objectif reste que les légumes racines noueux retrouvent le chemin des jardins potagers et des cuisines. Zollinger est confiant à ce sujet: «Les premières dégustations avec de grands cuisiniers ont déjà été très réussies.»

Source: https://www.lid.ch/medien/mediendienst/aktueller-mediendienst/artikel/verschollene-wurzelgemuese-sollen-zurueckkehren/, 3 décembre 2021

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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