79 ans après Hiroshima et Nagasaki – les armes nucléaires sont incompatibles avec le droit

Prise de position d'IALANA-Allemagne*

(23 août 2024) Le 6 août 1945, une bombe atomique américaine d'une puissance de 16kt TNT, appelée «Little Boy», s'est abattue sur Hiroshima. Selon les estimations, 140 000 personnes sont mortes. Trois jours plus tard, le 9 août 1945, «Fat Man», une bombe américaine au plutonium, a été larguée sur Nagasaki. On estime qu'elle a coûté la vie à 80 000 personnes. Les villes d'Hiroshima et de Nagasaki ont été entièrement détruites.

Cela s'est passé il y a 79 ans. Et bien que la première pensée logique qui suit les images d'Hiroshima et de Nagasaki de 1945 soit le désarmement nucléaire complet, nous continuons à faire face à ce danger aujourd'hui. Il est plus grand que jamais. Les Etats dotés de l'arme nucléaire ont toujours cherché, et cherchent toujours, à développer et à moderniser leurs arsenaux nucléaires (têtes nucléaires et vecteurs). Ils persistent dans leur politique de dissuasion insoutenable, poursuivent leur participation nucléaire et modernisent les avions et les bases mis à disposition par l'Allemagne et d'autres Etats. Néanmoins, il ne faut pas croire que les 79 dernières années ont été infructueuses.

Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, des voix se sont élevées pour réclamer le désarmement nucléaire. La première résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 24 janvier 1946, demandait d’«éliminer des armements nationaux les armes nucléaires et toutes les autres armes majeures susceptibles d'entraîner une destruction massive».1

Il existe un mouvement mondial pour le désarmement nucléaire, à la tête duquel se trouvent les Hibakusha – les survivants d'Hiroshima et de Nagasaki. Par leur engagement inlassable, ils rappellent au monde les conséquences de l'utilisation de la bombe atomique et demandent son abolition.

Les efforts de la société civile, des organes de l'ONU et de la communauté des non-alignés en faveur d'un monde sans armes nucléaires ont notamment abouti à la conclusion de traités sur les zones exemptes d'armes nucléaires. Il existe aujourd'hui une multitude d'instruments et de normes juridiques qui interdisent l'utilisation d'armes nucléaires. Ils vont des traités sur les zones exemptes d'armes nucléaires au droit international humanitaire, aux droits de l'homme et aux normes environnementales, en passant par le TNP et les traités d'interdiction des essais.2

En fait, le monde s'est rapproché de l'objectif d'un monde sans armes nucléaires en 2021, lorsque le Traité d'interdiction des armes nucléaires (TIAN) est entré en vigueur. Ce traité, jalon du désarmement nucléaire, complète et s'appuie sur d'autres instruments et normes. Il interdit notamment la fabrication, l'utilisation, le transfert ou le déploiement d'armes nucléaires et contient des normes relatives à la protection des victimes et à la réhabilitation de l'environnement, un domaine de plus en plus important.

Alors que le TIAN n'est contraignant que pour les Etats membres, il existe des normes de droit international qui s'appliquent à tous les Etats en tant que droit coutumier. Parmi celles-ci figurent les règles et principes du droit international humanitaire qui interdisent l'utilisation d'armes nucléaires, car

a) les armes nucléaires ne font pas de distinction entre les civils et les combattants,

b) elles causent des souffrances inutiles, et

c) elles causent des dommages graves et à long terme à l'environnement.

En outre, une telle utilisation affecte les Etats neutres. C'est ce qu'a confirmé la Cour internationale de justice (CIJ) dans son avis consultatif historique du 8 juillet 1996. La question laissée ouverte – à savoir si l'utilisation d'armes nucléaires dans une situation de légitime défense extrême, dans laquelle la survie de l'Etat serait en jeu, est légale – ne doit en aucun cas être interprétée comme une réponse affirmative. Pour la CIJ, il est clair que la légitime défense n'est légitime que si elle est conforme aux règles et aux principes du droit international humanitaire.

En d'autres termes, le droit de légitime défense est limité par le droit international humanitaire ainsi que par les principes de nécessité et de proportionnalité. Les armes nucléaires qui existent aujourd'hui ne remplissent pas ces conditions. Leur utilisation est donc contraire au droit international, quelle que soit la situation. Par ailleurs, il en résulte également une interdiction de la menace d'utilisation d'armes nucléaires.

En outre, les armes nucléaires ne sont pas compatibles avec les droits de l'homme, notamment le droit à la vie. Le Comité des droits de l'homme a réitéré cette constatation dans l'Observation générale 36, dans laquelle il souligne qu'il est interdit aux Etats de mettre au point, de tester ou d'utiliser des armes nucléaires.3 En outre, le Comité des droits de l'homme constate que les Etats sont soumis à l'obligation internationale d'entamer et de conclure de bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire sous tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace. L'obligation juridique de l'article 6 du Traité de non-prolifération, qui date de 1970, a été expressément confirmée par la CIJ dans son avis consultatif de 1996 et déclarée droit coutumier du droit international. Elle est donc contraignante pour tous les Etats du monde: tous les Etats doivent veiller à l'abolition totale des armes nucléaires!

Une interdiction de la menace et de l'utilisation d'armes nucléaires ainsi qu'une obligation de négocier en vue d'un désarmement nucléaire complet sont les plus grandes conquêtes des 79 dernières années. Ils s'appliquent à tous les Etats sans exception. IALANA rappelle ces engagements depuis sa création.4 Malgré ces réalisations, nous avons encore beaucoup à faire. Malheureusement, nous sommes témoins du non-respect continu de l'obligation contractuelle et coutumière d'entamer des négociations sérieuses sur le désarmement nucléaire. Le boycott des négociations sur la mise en place du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) et des conférences de promotion du traité en est un exemple.

79 ans se sont écoulés depuis ces journées d'août 1945. Taniguchi Sumiteru, Hibakusha de Nagasaki, a consacré sa vie à raconter l'histoire de sa vie, la bombe atomique sur son dos,5 et à lutter pour la paix et le désarmement nucléaire. Dans une interview, il déclare:

«Pour créer un monde dans lequel nous pouvons vivre en tant qu'êtres humains, nous devons nous débarrasser de toutes les substances que l'on pourrait qualifier de ‹nucléaires›.»6

C'est à cet objectif que s'engage IALANA. Nous demandons à tous les Etats de respecter leurs obligations internationales et de prendre toutes les mesures nécessaires pour créer un monde sans armes nucléaires. Celles-ci incluent la fin de la participation nucléaire ainsi que l'abolition et la destruction de toutes les armes nucléaires existantes.

Car seul un monde sans armes nucléaires est un monde sûr.

* Section allemande de l'«Association internationale des avocats contre les armes nucléaires (IALANA)» – Association pour le droit de la paix, Berlin

Source: https://ialana.de/aktuell/ialana-deutschland-zur-aktuellen-diskussion/ialana-zu-abc-waffen/2893-ialana-stellungnahme-79-jahre-nach-hiroshima-und-nagasaki-atomwaffen-mit-recht-unvereinbar#_ftnref2, 7 août 2024

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 Assemblée générale de l'ONU, résolution 1: «Establishment of a Commission to Atomic Energy», 24 janvier 1946. Elle a été suivie d'une grande série d'autres résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU stigmatisant l'utilisation de la bombe atomique comme un crime contre l'humanité.

2 Voir annexe: https://ialana.de/aktuell/ialana-deutschland-zur-aktuellen-diskussion/ialana-zu-abc-waffen/2893-ialana-stellungnahme-79-jahre-nach-hiroshima-und-nagasaki-atomwaffen-mit-recht-unvereinbar#_ftnref2

3 Observation générale n° 36, CCPR/C/GC/36, para. 66.

4 Voir une liste de publications en annexe 2.

5 Sumiteru Taniguchi, The Atomic Bomb on My Back: A Life Story of Survival and Activism, 2020.

6 https://www.pbs.org/wgbh/peoplescentury/episodes/fallout/taniguchitranscript.html

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