A l’occasion de la Journée mondiale de l'Education 2025: ce qui définit une bonne éducation
par Ralph Studer,* Suisse
(7 février 2025) «L'éducation scolaire et la pensée pédagogique sont en crise», affirme Jochen Krautz, professeur de pédagogie artistique à l'Université de Wuppertal. Ce que Krautz évoque ici fait désormais l'objet d'un large consensus. Il faut revenir à des principes fondamentaux. Et pourtant, une bonne éducation ne serait pas si difficile ...
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(Photo mad)
Commençons – à l'occasion de la Journée internationale de l'éducation du 24 janvier – par définir ce que l'éducation n'est pas. Selon le concept «Apportez votre équipement personnel de Communication» (AVEC) ou en anglais «Bring Your Own Device» (BYOD) actuellement en vogue pour la numérisation de l'école, tous les documents ne sont plus accessibles qu'en ligne et sous forme numérique. Les expériences haptiques sont ainsi pratiquement totalement perdues. Selon Christine Staehelin, «le monde se présente sous forme d'écran, souvent réduit à des tâches».1 Staehelin est enseignante primaire depuis de nombreuses années et membre du conseil de l'éducation de Bâle-Ville. Elle sait de quoi elle parle.
La question la plus importante
Depuis longtemps, elle est une critique véhémente de l'évolution actuelle de l'école. «Quiconque délègue les tâches à l'IA ne s'appropriera plus lui-même le monde; quiconque ne lit plus de livres, mais fait écrire des résumés, ne se fait plus sa propre idée et ne sait plus comment les autres voient le monde.» Staehelin voit également une perte dans le savoir en général: «Celui qui ne dispose pas d'une base de connaissances fondamentales, mais s’occupe que d’aspects isolés, ne saura plus, dans un avenir prévisible, ce que l'on peut demander». Et celui qui ne connaît pas les grands contextes ne pourra pas s'orienter.
Ce qui dérange Staehelin dans le débat autour de l'utilisation de l'IA, c'est que l'essentiel n'est pas discuté. «Il est possible», fait-elle remarquer, «que la question la plus importante soit celle des effets de la domination des écrans dans l'enseignement et de la perte de l'accès immédiat au monde et aux autres personnes.»
Abandon de la vision réductionniste de l'être humain
Ce que Staehelin dénonce ici est partagé par d'autres experts en éducation tels que professeur Carl Bossard. «Dans le nouveau Plan d'études 21, l’enfant est réduit à un simple savoir-faire», explique Bossard.2 Ce plan d'études représente ce que Staehelin et Bossard critiquent comme «réductionnisme de l'être humain et de l'éducation». Il contient d'innombrables «compétences» et part de la prémisse que tout ce qui peut être appris peut être standardisé et saisi dans le concept du «savoir-faire». Bossard déclare à ce sujet: «Réduire le savoir au seul savoir-faire, pour ainsi dire à l'instrumental ou au fonctionnel, est à mon avis banal. L'être humain est plus qu'un simple réservoir de compétences.»3
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Que signifie éducation scolaire?
Mais cette simple constatation n'est plus appliquée aujourd'hui. Selon Jochen Krautz, «l'éducation repose sur une activité intérieure, sur une réceptivité à ce que la chose peut dire. L'éducation nécessite une propre activité intérieure et extérieure concernant et avec la chose.»4
La formation de base comprend les techniques culturelles élémentaires que sont la lecture, l'écriture et le calcul. S'y ajoutent la compréhension et la consolidation, l'exercice des connaissances et du savoir-faire ainsi que l'application des connaissances acquises. Car celui qui ne maîtrise plus les techniques culturelles de base n'est pas aidé par chatGPT. La tâche centrale de l'école est d'amener les jeunes à se connaître eux-mêmes et, en même temps, à découvrir leurs possibilités et leur potentiel.
Cela implique également de les rendre capables d'une saine autonomie, de la maturité et de la prise de responsabilité citoyenne pour eux-mêmes et pour la société. Cela va bien au-delà de la notion de compétence. Les discussions actuelles sur les plans d’étude scolaires et les horaires devraient se dérouler dans ces conditions.
Toutefois, un aspect essentiel de ce qu'est l'éducation scolaire n'est pas encore nommé. En effet, selon Bossard, l'éducation signifie aussi «le dévouement passionné, l’étonnement, la curiosité. Le Moi consiste aussi dans l'art de se perdre dans quelque chose d'autre – dans quelque chose de plus grand que ce minuscule Moi, dans l'art, dans la musique, dans l'univers par exemple.»
L'éducation a besoin d'une pédagogie adéquate
L'éducation scolaire a besoin d’une pédagogie adéquate comme condition de base. La pédagogie signifie essentiellement guider les enfants sur le chemin de leur croissance «en leur apprenant le savoir-faire et les connaissances de la culture», selon Krautz.
La pédagogie se déroule dans un rapport relationnel asymétrique. Ce qui semble logique et qui trouve son reflet dans la réalité est pourtant remis en question dans l'école actuelle. Pourtant, un simple coup d'œil suffit: les adultes ont davantage de connaissances et de savoir-faire que les enfants et les adolescents et ont la responsabilité de leur développement.
«L'objectif de cette direction», explique Krautz, «est justement la maturité, c'est-à-dire la capacité à organiser la vie commune de manière autonome et responsable.» Ce n'est pas en laissant les enfants se débrouiller seuls que l'on obtient une capacité d'auto-développement responsable. La force créatrice intérieure de l'enfant, qui le fait «grandir», a besoin d'être guidée et encadrée pour que l'enfant devienne un être communautaire, conclut Krautz.
Si l'on ne tient pas compte de ces constantes, on ne respecte pas pleinement l'être humain et sa nature. L'être humain est un être social et ne le devient que dans le cadre de relations humaines. Ce n'est qu’en contacte avec autrui que nous développons le Moi, dixit le philosophe Martin Buber. Krautz écrit à ce sujet: «Nous ne nous ‹épanouissons› donc pas uniquement de l'intérieur, mais nous devenons des personnalités en résonance et en interaction avec nos semblables et le monde qui nous entoure.»
Mission de l'école
Lors de cet épanouissement de l'être humain, les questions relatives à sa propre identité se posent notamment à la puberté. Les liens sociaux et les références culturelles ont un effet marquant sur les adolescents. L’adolescent cherche à s'affirmer, à se rassurer, à trouver un sens à une période difficile de sa vie et s'oriente vers ce que lui offre la culture.
C'est précisément pour cette raison que l'école joue un rôle particulièrement important dans ce domaine, constate Krautz, car elle offre un vaste réservoir de sens. Elle peut et doit lier la recherche d'identité des jeunes aux offres de la tradition culturelle. Krautz illustre cela par de nombreux exemples pratiques: «Quelles sont les forces qui maintiennent la cohésion du monde? – demande la physique. D'où venons-nous, où allons-nous? – demandent la religion et la philosophie. Sur quelles épaules nous tenons-nous? demande l'histoire. Comment pense-t-on logiquement? – expliquent les mathématiques. Qu'est-ce qu'un chagrin d'amour? – précise la poésie. Comment pensent les diverses cultures? – Les langues étrangères nous l'enseignent. Comment jouer avec les autres? – le sport l’enseigne. Comment puis-je créer quelque chose par moi-même? – le cours d’art le montre.»
Si l'école n'assume pas cette tâche et réduit sa mission à l'entraînement des compétences, alors, dans leur quête d'identité, les jeunes se tournent vers les offres de l'industrie culturelle, fait remarquer le professeur d'art.
La question pédagogique fondamentale
Etant donné que chaque personne n'a qu'une seule biographie éducative, ce qui compte, c'est la personne qui se trouve dans la salle de classe et l'impression qu'elle donne. Les élèves ont besoin d'enseignants dont l'action est portée par une attention aimante, par la sollicitude, par la confiance et l'encouragement à croire en soi.
Cela implique également un véritable intérêt pour le développement de l'élève, tant sur le plan personnel que professionnel. Un questionnement actif et un véritable désir de comprendre devraient aller de pair. Des enseignants passionnés et centrés sur l'élève, ayant une grande responsabilité humaine dans l'apprentissage des enfants, sont indispensables.
«Sans une attitude intérieure positive sur le plan émotionnel», souligne Krautz, «la soi-disant ‹professionnalisation› des enseignants ne produira rien qui soit utile et fructueux pour les adolescents.» En se référant au grand pédagogue suisse Johann Heinrich Pestalozzi, il écrit: «Il a été poussé par la question de savoir comment il pouvait aider les jeunes à trouver leur place, à devenir des êtres humains et à apporter leur propre contribution aux tâches et aux opportunités de l'humanité. Voilà la question pédagogique fondamentale.»
L'objectif supérieur de l'éducation scolaire
Aujourd'hui, les écrans dominent l'enseignement. Ils entraînent une perte de l'accès immédiat au monde et à autrui. En adoptant une vision réductionniste de l’être humain et de l'éducation, l'école actuelle s'est éloignée de sa mission d'apprentissage et d'éducation. Ainsi, elle ne répond plus à l'élève en tant qu’individu et à ses besoins. Christine Staehelin qualifie donc les réformes du paysage scolaire suisse de ces dernières décennies de «monde à l'envers».
Pourtant, l'éducation scolaire a un objectif bien plus élevé, qui va au-delà de l'individu et qui doit être remis dans le champ de vision de l'école actuelle. Et Krautz de souligner: «Elle [l'éducation] exige de nous une contribution personnelle au développement de l'humanité vers plus d'humanité, de justice et de paix. Une revendication ‹excessive›? Peut-être bien. Et une ambition qui a souvent échoué. Mais pouvons-nous en vouloir moins?»
* Ralph Studer, né en 1977, a étudié le droit à l'Université de Bâle et a obtenu le brevet d'avocat. Il a suivi une formation de «médiateur CAS IRP-HSG» à l'Université de Saint-Gall et a suivi une formation de professeur d'école secondaire à la Haute école pédagogique de Lucerne, où il a enseigné au niveau du collège et du lycée. Depuis mars 2022, il est membre de la «Fondation Future CH». |
Source: https://www.zukunft-ch.ch/zum-weltbildungstag-2025-was-gute-bildung-ausmacht/, 24 janvier 2025
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 Cf. https://condorcet.ch/2024/12/eine-verkehrte-welt/
2 Cf. https://www.zukunft-ch.ch/im-lehrplan-21-wird-der-mensch-aufs-koennen-reduziert/
3 https://www.zukunft-ch.ch/carl-bossard-der-mensch-ist-mehr-als-nur-ein-behaelter-von-kompetenzen/
4 Jochen Krautz. «Bilder von Bildung. Für eine Renaissance der Schule». ISBN 978-3-532-62874-4