L’Allemagne veut-elle redevenir un champ de bataille?

«Plan opérationnel secret pour l’Allemagne»

par Marita Brune-Koch

(3 août 2024) Depuis quelque temps déjà, on nous répète que l'Allemagne doit se préparer à la grande guerre. On a du mal à le croire: l’Allemagne en guerre? A nouveau? La grande misère que nous avons vécue deux fois au cours du siècle dernier? Toutefois, en écoutant l’interview accordée par le lieutenant-général allemand André Bodemann à la chaîne NTV,1 on prend crainte en voyant à quel point les préparatifs sont déjà concrets.

André Bodemann est responsable du «Plan opérationnel allemand», qui a été élaboré en secret. Celui-ci définit très concrètement comment, par exemple, le transport et l’approvisionnement des troupes américaines doivent se dérouler via la «plaque tournante» que représente l’Allemagne.

Un exemple: les troupes américaines débarquent dans un port hollandais, puis traversent les Pays-Bas en direction du «flanc de l’Est». En chemin, elles font une pause quelque part sur l’autoroute allemande, tout comme les voyageurs civils. «Et là, pendant la pause, ils sont approvisionnés en carburant, en nourriture, en eau fraîche, et peut-être également en besoin d’assistance sanitaire». «Nous appelons cela un centre de soutien de convoi», explique Bodemann. Qui ravitaille les troupes? Ce n’est pas la Bundeswehr qui peut s’en occuper, ce sont des forces civiles qui doivent le faire, car: «Je pars du principe que les parties essentielles de la Bundeswehr, les parties actives de la Bundeswehr se trouveront alors déjà sur le flanc de l’Est ou seront en route vers celui-ci. Cela signifie que nous travaillons avec le principe de la fourniture de prestations civiles maximales». […] «La nourriture n’est pas fournie par la cuisine des troupes de la Bundeswehr, mais par une entreprise civile de restauration».

En outre, pour acheminer les troupes et le matériel lourd sur le «flanc de l’Est», il faut faire appel aux Chemins de fer allemands et à des entreprises de transport civiles. Des troupes et du matériel doivent également être transportés par des navires appelés «rouliers» [ou ro-ro, de l’anglais roll-on/roll-off] d’un port allemand à un port en Lituanie. En d’autres termes, il s’agit d’une mobilisation de l’Allemagne, des citoyens et des institutions civiles. Nous avons déjà connu tout cela!

Hambourg-Altona, 26 juillet 1943: Ne nous souvenons-nous plus de ce que
c'est que d'être un théâtre de guerre? (Toutes les photos sont tirées du
livre «Brandstätten – Der Anblick des Bombenkrieges» de Jörg Friedrich.
ISBN 3-549-07200-7)

Un plan secret pour transformer l’Allemagne en champ de bataille

Alors, comment s'imagine-t-on cela dans les états-majors de la Bundeswehr? Des troupes de l’OTAN débarquent dans différents ports de Hollande, d’Allemagne, de Lituanie; des troupes parcourent tout le pays sur les autoroutes, des trains traversent toute l’Allemagne ainsi que les pays baltes, chargés d’armes et de troupes – et la Russie se contente d’observer et de laisser faire? Il ne s’agit pas d’un plan visant à préserver la sécurité de l’Allemagne et de l’Europe, mais d’un plan visant à transformer l’Europe en un champ de bataille, avec l’Allemagne au centre.

Les organisations civiles d’urgence telles que Malteser, Johanniter, la Croix-Rouge allemande, l’agence de secours technique, les offices fédéraux et l’économie en font également partie. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’interview, tous ont déjà été concrètement répertoriés dans le plan secret et se sont vu confier des tâches lorsqu’il s’agira de se rendre sur le «flanc de l’Est».

«Flanc» de l’Est ou «front» de l’Est – quelle est la différence?

Lors de la dernière guerre, lorsqu’il s’agissait de la Russie, on parlait encore de «front de l’Est», alors on trouve sans doute aujourd’hui que «flanc de l’Est» est moins traître. Mais y a-t-il une différence essentielle?

Eh bien, à l’époque, l’Allemagne a mené une guerre d’agression contre la Russie, c’est largement reconnu. Mais en 1939, lorsque l’Allemagne a attaqué la Pologne, elle a également parlé de défense. Vous souvenez-vous? Depuis ce matin, la «riposte» est engagée. [«Seit heute früh wird ‹zurückgeschossen›.»] Selon Bodemann, c’est aujourd’hui aussi que l’Allemagne doit être défendue et ses citoyens protégés contre les méchants Russes. A-t-il des preuves à l’appui?

Hambourg, 26 juillet 1943: L’Allemagne doit-elle à
nouveau ressembler à cela?

Propagande de l’OTAN

Bodemann: «Nous ne sommes pas formellement et juridiquement en guerre, en Allemagne, [...] mais à mon avis, nous ne sommes plus en paix depuis longtemps, car nous sommes attaqués tous les jours. Nous nous trouvons dans une phase intermédiaire. Appelons-la zone grise, phase hybride, peu importe. Hybride convient parfaitement, car nous sommes actuellement particulièrement menacés par des attaques hybrides. Je cite toujours quatre choses différentes qui se produisent en Allemagne, et ce dès maintenant. La première est bien sûr la désinformation et les fausses nouvelles, que nous voyons tous les jours, notamment dans les médias sociaux. La deuxième, ce sont les cyberattaques contre le gouvernement fédéral, les grandes entreprises, les entreprises énergétiques.»

Tout cela est très flou: Qui définit ce qu’est la vérité et la désinformation? De quelles cyberattaques parle-t-il? Une réponse concrète se présente différemment, d’autant plus qu’il estime lui-même: «Dans les deux cas, il est très difficile de préciser: qui nous attaque réellement?» Mais cela fait partie du récit actuel en Allemagne, la Russie nous attaque déjà de manière invisible (et invérifiable!) avec de la désinformation, de l’espionnage et des cyberattaques. On l’entend soudain en permanence, et toujours sans preuve.

Visiblement pour faire croire à une preuve de «sabotage» russe, Bodemann cite le dynamitage de Nord Stream 2. Il s’agissait bien d’un sabotage, mais certainement pas de la part des Russes!

Dresde, mars 1945: Cette misère épouvantable, voulons-nous que cela
se reproduise?

La fable des plans d’attaque russes

«La RU est en train de constituer ses forces armées. Nous pensons que d’ici 5 à 8 ans, la Russie aura reconstitué ses forces armées pendant la guerre en UA de telle sorte qu’elles seront tout à fait en mesure d’attaquer également le territoire de l’alliance de l’OTAN avec des moyens militaires classiques. Poutine a évoqué de nombreuses choses par le passé, qu’il a ensuite mises en œuvre. Et après tout, il a dit qu’il souhaitait rétablir l’ancien territoire de l’Union soviétique, et cela inclut également les Etats baltes.»

Poutine n’a jamais dit cela, et Bodemann n’en donne également aucune preuve. Au contraire, Poutine a clairement indiqué à plusieurs reprises qu’il ne nourrissait aucun projet de ce genre, la dernière fois lors du forum de Saint-Pétersbourg le 5 juillet dernier, où il a explicitement et longuement contredit de telles idées.

Bodemann se contente de faire cette affirmation sans citer de preuve. La brave présentatrice de NTV ne pose évidemment pas non plus de question. Cependant, le journaliste Florian Warweg des «NachDenkSeiten» a demandé des précisions lors de la conférence de presse fédérale du 3 juillet dernier. M. Collatz, un haut gradé de la Bundeswehr en charge de ce dossier, répond de manière désinvolte qu’il a lui aussi déjà lu ce genre de choses à plusieurs reprises, qu’il parle de «ragots que l’on entend de la part de Poutine», qu’il ne peut pas donner de preuves et que Warweg n’a qu’à faire ses propres recherches. Même le «Spiegel», qui n’est pas vraiment connu pour être ami-ami de Poutine, a titré: «Poutine ne veut pas le retour de l’URSS».2 A quoi cela servirait-il la Russie d’attaquer les pays baltes ou même l’Allemagne? Le pays est suffisamment grand, il dispose de ressources naturelles en abondance et, malgré les sanctions, il est manifestement bien placé sur le plan économique. Pourquoi donc s’infliger une telle chose?

Les citoyens allemands ne veulent pas non plus la guerre. En mars 2024, 81% des citoyens allemands ont refusé d’envoyer des troupes de l’OTAN en Ukraine.3

Ne nous laissons pas entraîner dans une guerre – soutenons la neutralité

Tout cela ne préoccupe pas les politiques. Il est inconcevable que le pays, voire l’Europe entière, soit entraîné dans une nouvelle guerre, qui sera peut-être encore plus destructrice que la précédente. La Suisse n’est pas non plus à l’abri d’y être entraînée. C’est donc urgent de renforcer notre neutralité plutôt que de l’affaiblir. Au lieu de cela, le DDPS et le commandement militaire tentent par tous les moyens de préparer notre pays à l’intégration dans l’OTAN.

Nous, Suisses, pourrons au moins voter prochainement sur le maintien et le renforcement de notre neutralité.

Mais même en Allemagne le gouvernement et le commandement militaire ne pourront finalement rien contre un peuple qui s’exprime clairement et avec force contre le déclenchement d’une guerre.

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://www.n-tv.de/mediathek/videos/politik/Geheimer-Operationsplan-Deutschland-betrifft-uns-alle-article25055402.html, 1er juillet 2024

2 https://www.spiegel.de/politik/ausland/russland-putin-will-die-udssr-nicht-zurueck-a-1068868.html, 21 décembre 2015

3 https://www.stern.de/politik/ukraine-krieg--deutsche-gegen-einsatz-von-nato-bodentruppen-34514820.html

Retour