L'échec des élèves du primaire nous oblige à revenir à des méthodes d'apprentissage efficaces

Rainer Werner. (Photo mad)

Dans tous les Länder, les performances des élèves de l'école primaire ont baissé

par Rainer Werner,* Allemagne

(16 janvier 2023) L'étude de l'«Institut pour le développement de la qualité dans l'éducation» (IQB) sur les performances de nos écoliers en mathématiques et en allemand (2021) a donné des résultats alarmants.

Dans les 16 Länder, les performances ont baissé par rapport aux résultats des tests de 2011 (et par rapport aux résultats des tests d’orthographe de 2016). Ce qui est alarmant, c'est que le nombre d'élèves performants a diminué tout comme le nombre d'élèves atteignant le niveau normal.

La Bavière et la Saxe restent en tête, mais les performances des écoliers se sont également détériorées dans ces Länder. Comme les années précédentes, Brême et Berlin se partagent la lanterne rouge. Ces deux pays notoirement perdants sont rejoints depuis peu par le Brandebourg, dont les élèves sont tombés au même niveau que ceux des deux derniers du classement.

Les résultats en orthographe montrent à quel point l'échec des élèves du primaire est flagrant. A Brême, 42% des élèves n'atteignent pas le standard minimum, ce chiffre s’é lève à 46,1% à Berlin et à 45,7% dans le Brandebourg. Le standard minimum en orthographe marque la ligne de séparation avec l'analphabétisme.

Une étude sans recherche des causes

L'étude ne donne aucune information sur les causes de l'échec des élèves du primaire dans toute l'Allemagne, car, comme le souligne la directrice de l'étude Petra Stanat de l'IQB, elle ne fournit pas de connaissances explicatives, mais seulement le simple constat des performances. Si l'on cherche soi-même des explications à partir des résultats de l'étude, on se heurte rapidement à des limites.

Ainsi, le nombre d'heures consacrées à l'enseignement de l'allemand dans les écoles primaires varie d'un pays à l'autre. Il ne correspond toutefois pas au classement des Länder en matière de performances des élèves.

Si la baisse des performances a touché tous les Länder et si même la Bavière et la Saxe, pays vainqueurs de longue date, ont été entraînées dans la chute, cela signifie qu'une tendance puissante est à l'œuvre et qu'elle s'est imposée avec force dans les salles de classe de nos écoles. Je suppose qu'elle est liée au changement culturel hédoniste qui a introduit l'apprentissage adapté aux élèves. Dans ce contexte, les termes suivants ont fait une puissante carrière: «de soi» «auto-» et «personnel».

Aucun manuel scolaire ou pédagogique ne peut se passer de combinaisons de mots contenant ces formules magiques: expérience de soi, réalisation de soi, maîtrise de soi et efficacité personnelle. L'«apprentissage auto-organisé» a de nombreux défenseurs pédagogiques et politiques, sans que l’on n’ait jamais testé si les promesses pédagogiques qu'il contient sont tenues.

Les études de qualité de l'Institut pour le développement de la qualité dans l'enseignement (IQB) prouvent le contraire. On pourrait dire avec Friedrich Schiller: « Le monde est étroit et le cerveau est vaste. Les pensées demeurent facilement les unes à côté des autres, mais les choses se heurtent durement dans l'espace.» («La mort de Wallenstein»)

Dépassé par l'hétérogénéité

Qu'est-ce qui ne va pas dans nos écoles primaires? Pourquoi ne parviennent-elles pas à transmettre à la majorité des élèves un solide socle de connaissances en allemand et en mathématiques? Pour répondre à cette question, il faut jeter un œil sur les premières classes primaires. L'école primaire étant une école communautaire, des enfants aux capacités de compréhension, aux aptitudes intellectuelles et aux attitudes d'apprentissage très différentes se retrouvent sur les bancs de l'école.

Le clivage va d'Elisa, issue d'une famille d'universitaires, qui sait déjà lire et écrire à son entrée, à Tarek, issu d'une famille syrienne, qui ne maîtrise l'allemand que de manière fragmentaire. A cela s'ajoute le fait que les vertus secondaires sont plus ou moins développées chez les élèves.

La concentration sur le sujet à traiter et la persévérance, même face à des défis difficiles, n'ont pas été enseignées à tous les enfants dans leur famille. La discipline, la rigueur et le sens de l'ordre n'ont pas non plus été transmis à tous les enfants. La capacité à se mettre en retrait au sein d'un groupe, à réfréner son propre ego, dépend également beaucoup du style d'éducation des parents. Or, comme le sait la recherche sur l'apprentissage, ce sont justement ces «qualités personnelles» qui déterminent la réussite de l'apprentissage.

Le foyer parental répartit les chances de départ

Comme on le sait aujourd'hui, les désavantages des enfants commencent très tôt. Lorsqu'une femme enceinte écoute souvent de la musique classique, le nouveau-né développe très tôt un sens du rythme, prélude à la musicalité. Lorsqu'on lit régulièrement des histoires aux jeunes enfants, ils développent une capacité linguistique différenciée et écrivent des textes étonnamment bien dès l'école primaire.

Dans le cas où un enfant écoute ses parents parler de manière élaborée et discuter beaucoup, cette capacité linguistique se transmet à l'enfant. Il devient un combattant de sa propre cause, habile verbalement et sûr de lui. Lorsqu'un enfant reçoit des félicitations et des encouragements, lorsqu'il découvre le monde en jouant, il développera plus tard également de la curiosité et de l'ambition dans son apprentissage scolaire.

Si l'on imagine le contraire de toutes ces incitations stimulantes, on peut mesurer à quel point les handicaps et les déficits avec lesquels doivent se battre les enfants grandissant dans des foyers éloignés de l'éducation sont profonds et durables. Dès l'école primaire, ils se retrouvent dans le wagon de queue du convoi ferroviaire.

Des méthodes d'apprentissage problématiques

La question cruciale pour les parents est la suivante: l'école primaire peut-elle encore combler ces déficits? D'après tout ce que nous savons de l'enseignement compensatoire, elle ne le peut que de manière très limitée. Elle ne peut surtout pas le faire si les enseignants ont recours à des concepts didactiques qui ne promettent que peu de succès. Même le non-spécialiste comprend que l'enseignement à l'école primaire doit être différencié, car les conditions d'apprentissage des enfants sont trop différentes.

Le principe à la mode de l'apprentissage individuel – chaque élève effectue les tâches de manière autonome – ne convient bien sûr qu'aux élèves qui ont l'esprit vif et la capacité de s'organiser eux-mêmes. Les apprenants faibles sont mis à mal par la méthode d'auto-apprentissage, car ils ont besoin du soutien de l'enseignant qui les guide pas à pas vers la solution des tâches.

L'apprentissage «multi-âges» ou «multi-niveaux» est également discrédité. Ce sont surtout les écoles primaires des quartiers difficiles qui l'ont à nouveau abandonné, car les élèves plus âgés étaient dépassés par le rôle de l'enseignant et ne faisaient eux-mêmes que peu de progrès dans l'apprentissage. La meilleure méthode de différenciation, le regroupement d'élèves ayant les mêmes aptitudes dans des groupes d'apprentissage homogènes, est trop rarement appliquée, car les politiciens de l'éducation et les pédagogues progressistes croient y reconnaître une «sélection».

L'apprentissage individualisé est surestimé

Dans l'apprentissage individuel, les enfants sont censés apprendre en «découvrant par eux-mêmes» ou de manière «autodirigée». Les enseignants ne sont plus nécessaires qu'en tant qu'accompagnateurs et animateurs de l'apprentissage. L'importante relation enseignant-élève passe à la trappe, la communauté de classe s'atrophie, les enfants deviennent des combattants solitaires.

Les scientifiques sceptiques constatent que seuls les enfants issus de la bourgeoisie cultivée profitent des méthodes d'auto-apprentissage, car ils disposent des connaissances préalables nécessaires et peuvent organiser le processus d'apprentissage de manière autonome. En revanche, les enfants issus de familles socialement défavorisées ou de familles d'immigrés ont besoin de la main secourable et explicative de l'enseignant.

Hermann Giesecke, le Nestor de la didactique allemande, décédé en 2021, porte un jugement critique: «Presque tout ce que la pédagogie scolaire moderne considère comme progressiste désavantage les enfants issus de milieux éloignés de la formation. […] C'est précisément l'enfant socialement défavorisé qui, pour s'affranchir de ce statut, a besoin d'un enseignement dit démodé, directement guidé, mais aussi patient et encourageant.»

Cette critique est également partagée par de nombreux enseignants. Ils critiquent le fait que les méthodes d'auto-apprentissage dépersonnalisent l'enseignement et le privent de sa principale force productive: la relation émotionnelle entre l’enseignant et l’é lève.

La tendance didactique a pratiquement éliminé une forme d'apprentissage importante: l'entretien d'enseignement basé sur le questionnement et le développement. Dans cette forme d'apprentissage, l'enseignant rencontre les élèves en tant qu'expert pédagogique compétent et spécialisé. Il explique un sujet de manière claire et encourage les élèves dans leurs efforts d'apprentissage, qu'ils effectuent individuellement, en binôme ou en groupe.

Les critiques des parents à l'égard des concepts d'auto-apprentissage vont dans le même sens. Ils rapportent que leurs enfants se sentent abandonnés pendant de longues périodes avec cette forme d'apprentissage. Les élèves les plus faibles sont tellement intimidés par les apprenants rapides qui se frayent un chemin à travers les niveaux d'exigence du matériel d'apprentissage qu'ils renoncent, par honte, à demander l'aide de l'enseignant. Apparemment, les nombreux défenseurs enthousiastes de l'enseignement ouvert ne réalisent pas qu'ils applaudissent un projet d'élite.

«C'est la langue, petite bécasse!»

Dans toute l’Allemagne, les experts et les politiciens de l'éducation proclament que la maîtrise de la langue allemande est la clé de la réussite scolaire. Personne ne contredira sérieusement ce constat. Les preuves sont trop accablantes: les élèves qui ne parlent qu'un allemand approximatif à leur arrivée à l'école sont considérablement désavantagés dans leur parcours scolaire. Ils réussissent moins bien dans toutes les matières que ne le laisse supposer leur intelligence, car l'allemand est la langue d'enseignement dans toutes les matières, à l'exception des langues étrangères.

Malgré ce constat, certains Länder font preuve de négligence dans l'apprentissage de l'allemand dès le plus jeune âge. Tous les Länder, à l'exception de Hambourg, ont supprimé l'école maternelle, qui préparait pendant un an les élèves présentant des déficits linguistiques de manière ciblée à la scolarisation. Les jardins d'enfants devaient désormais assumer la fonction compensatoire de l'école maternelle. Brême voulait réintroduire l'école maternelle en 2021 après les mauvais résultats de ses élèves aux tests comparatifs. L'opposition au sein du SPD était cependant trop forte.

L'argument des opposants au préscolaire apporte des éclaircissements: «De notre point de vue, cette proposition va à l'encontre de l'idée fondamentale d'inclusion, qui est centrale pour le caractère du système éducatif de Brême. Les écoles maternelles représenteraient une nouvelle sélection basée sur les performances.» (Jeunes socialistes, 2021). L'argument massue de la sélection est utilisé pour saboter une mesure de soutien judicieuse. Il serait pourtant urgent, notamment à Brême, d'améliorer dès le début les chances de réussite des enfants d'immigrés.

La Bavière suit ici aussi une voie fructueuse. Après la suppression de l'école maternelle, un soutien spécial en allemand a été introduit dans des «cours préparatoires» auxquels participent obligatoirement les enfants d'origine étrangère n'ayant pas de connaissances suffisantes en allemand.

Une tragédie s'est produite – comment pourrait-il en être autrement –- à Berlin. Selon la loi scolaire, les enfants qui ne vont pas à la crèche doivent passer un test de langue. Si ce test révèle un besoin de soutien, les enfants doivent participer quotidiennement à un soutien linguistique de trois heures.

En 2018, sur 2000 enfants dont les parents avaient été contactés, seuls 650 ont participé au test de langue. Sur les 470 enfants qui n'ont pas réussi le test, seuls 50 ont finalement bénéficié d'un soutien linguistique. De gros efforts pour un faible résultat. Aucune amende n'a été infligée aux parents récalcitrants. La critique de la presse de la capitale a été cinglante: typique de Berlin! La violation d'une loi reste une fois de plus sans conséquence.

S'exercer est un exercice mal vu

On est toujours étonné de lire des lettres de personnes qui sont allées à l'école au début du XXe siècle. Ils écrivent dans un allemand presque sans faute. Souvent, ils n'ont fréquenté que l'«école primaire» (c'est ainsi que s'appelait l'école élémentaire à l'époque), qui ne comptait que huit années d'études. Ils ont appris un allemand correct parce que la pratique des règles de l'orthographe était menée avec une persévérance que les pédagogues «à l'écoute des élèves» stigmatiseraient aujourd'hui comme un drill ou un dressage inhumain.

Peut-être les didacticiens de l'ancien temps connaissaient-ils ou pressentaient-ils davantage la nature de notre cerveau que nous ne voulons bien leur accorder aujourd'hui? La recherche physiologique sur le cerveau considère en effet que ce que nous appelons la capacité de mémorisation résulte de la stimulation des synapses, les points de contact entre les cellules cérébrales. La capacité de mémorisation ne dépend pas seulement de la force de l'impulsion d'apprentissage, mais aussi de sa fréquence.

Traduit en langage didactique, cela signifie qu'il est possible d'obtenir un apprentissage durable grâce à des méthodes d'enseignement claires, mais aussi grâce à une pratique répétée et constante de ce qui a déjà été appris. Pourquoi devrait-on appeler «drill» ce que notre propre cerveau nous indique comme étant une méthode d'apprentissage prometteuse? Il est temps que les enseignants s'opposent au mépris non scientifique de la pratique.

Les mathématiques, une matière problématique

Des pédagogues de l'Institut français de recherche sur l'enseignement des mathématiques (IREM) ont posé le problème suivant à des élèves de primaire: sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres. Quel âge a le capitaine? 76 des 97 enfants interrogés ont effectivement calculé un résultat, soit plus des trois quarts. La plupart d'entre eux ont atteint l'âge de 36 ans. Cet exemple montre que ces enfants n'avaient pas de compréhension mathématique, qu'ils ont plutôt manipulé les chiffres donnés à l'aveuglette et les ont mélangés pour faire un calcul illogique.

Pourquoi tant d'enfants du primaire échouent-ils en mathématiques? Les maths exigent un raisonnement logique, il s'agit de savoir ce qui est juste ou faux. La solution correcte n'est pas négociable. Cela est déconcertant pour de nombreux élèves, car dans la plupart des matières, ils se sont habitués à ce que l'on puisse voir les choses de telle ou telle manière. De même, les concepts de plaisir, si populaires dans les autres matières, ne fonctionnent pas en mathématiques. Car ici, il s'agit de réfléchir, et cela implique des efforts.

Or, la culture de l'effort est en recul depuis des années dans l'apprentissage scolaire. Le professeur de mathématiques et auteur pédagogique Michael Felten attribue les faibles performances des élèves dans cette matière à un ennui qui commence à la maison et se poursuit à l'école. Felten parle de «l’enfant gâté mentalement» [«seelische Verwöhnung»] et fait référence à «l'attitude répandue des parents visant à rendre la vie de leur trésor aussi agréable que possible, de lui éviter autant que possible toutes difficultés».

Or, en mathématiques, il s'agit d'essayer quelque chose dans le cadre d'un effort intellectuel, en acceptant de se tromper et d'être déçu. Cette disposition à l'effort doit être générée dans le foyer familial par une éducation intellectuellement stimulante. L'attitude de nombreux parents qui se vantent de leurs faibles résultats en mathématiques auprès de leurs enfants s'est également révélée peu utile. Ainsi, l'idée que les maths n'ont pas d'importance, parce que l'on peut s'en sortir sans de bons résultats dans cette matière, s'installe dans l'esprit des jeunes.

Dans toutes les études PISA, les élèves japonais ont obtenu des résultats particulièrement bons en mathématiques. Des experts allemands en matière d'éducation ont tenté de percer le secret de cette réussite et ont trouvé ce qu'ils cherchaient. Dans les écoles primaires japonaises, seuls des enseignants parfaitement formés enseignent. Contrairement à nous, il est mal vu d'enseigner à l'extérieur de la discipline. Tous les exercices comportent une problématique exigeante qui a un lien avec la réalité. Trouver et essayer des solutions est aussi important que la solution elle-même. C'est ainsi que l'on éveille la compréhension mathématique chez les enfants.

Alors qu'en Allemagne, les écoles font de la publicité en promettant de supprimer les devoirs à la maison, dans les écoles japonaises, la charge de travail à la maison est importante. Les enfants reçoivent beaucoup de soutien de la part de leurs parents et de leurs frères et sœurs. Sans un entraînement persistant, il ne faut pas s'attendre à des miracles en mathématiques.

L'évidence scientifique est de mise

En médecine, il va de soi que les thérapies et les médicaments sont constamment améliorés afin d'obtenir le meilleur succès de guérison pour les patients. Des armées de scientifiques font des recherches dans des instituts universitaires ou privés pour trouver des produits optimaux. Pourquoi la science pédagogique n'a-t-elle pas réussi jusqu'à présent à réfuter par des faits valables les croyances qui déterminent l'action dans la politique de l'éducation?

Les enseignants savent par expérience que les résultats d'apprentissage sont meilleurs dans des groupes d'apprentissage homogènes que dans des groupes hétérogènes. Ils savent également que les méthodes d'auto-apprentissage ne donnent pas les résultats escomptés pour la majorité des élèves.

La science pourrait apposer le sceau de l'évidence sur ce savoir empirique. Aucun responsable de la politique de l'éducation ne pourrait alors imposer aux élèves des méthodes d'apprentissage qui ont échoué au test de l'évidence. Les gagnants seraient les élèves.

Si les enfants connaissent des échecs dès l'école primaire, l'apprentissage leur devient à la longue insupportable. Un échec au début de leur parcours scolaire leur impose un fardeau qu'ils traînent jusqu'à leur sortie de l'école – trop souvent sans diplôme.

Nous devrions tout faire pour améliorer l'enseignement à l'école primaire de manière à ce que l'on puisse parler d'une véritable fondation pour le parcours scolaire des élèves.

* Rainer Werner a enseigné l’allemand et l’histoire dans un lycée berlinois. Il a écrit le livre «Fluch des Erfolgs. Wie das Gymnasium zur ‹Gesamtschule light› mutiert».

Source: CICERO-online, 5 décembre 2022
Reproduction avec l'aimable autorisation de l'auteur.

(Traduction «Point de vue Suisse»)

Retour