L'énergie humaine provient de la liberté

Carl Bossard (photo mad)

Réflexions sur la politique éducative actuelle

par Carl Bossard

(1er juillet 2021) Toute personne qui accompagne les jeunes sur leur chemin d'apprentissage et de vie a besoin de liberté. Cet aspect est souvent oublié dans les réformes, notamment la récente restructuration des formations commerciales. Plaidoyer pour la renaissance d'un concept enterré.

«Celui qui craint l'usage de la liberté est son adversaire secret.» C'est ce qu'a écrit Hans Saner, philosophe et assistant personnel de Karl Jaspers.1 C'est une phrase impressionnante. Et Saner d’ajouter: «Beaucoup voudraient accorder la liberté à autrui, s'ils savaient seulement que personne n'en ferait usage.»

Passage au «contrôle des sorties»

Si l'on observe le paysage scolaire à travers les nombreuses réformes ayant eu lieu ces dernières années, il est facile de reconnaître ce qui a radicalement changé: on ne dit plus aux écoles quels contenus elles doivent enseigner. Aujourd'hui, on publie des décrets détaillés et des règlements précis sur ce que les élèves doivent être capables de faire à un certain moment de leur formation – et dans certains cas, également la manière d'y parvenir. Les compétences (individuelles) sont définies, et de manière extrêmement détaillée. En musique, par exemple, on demande à l'enfant «d'être capable de percevoir son corps de manière sensorimotrice et de réagir de manière adaptée à la musique».

Cela signifie, selon la science, un changement de paradigme: la stratégie étatique passe du contrôle des «entrées» [input] à celui des «sorties» [output]. L'objectif est d'accroître l'efficacité du travail de formation en milieu scolaire et de mesurer l'enseignement par des résultats opérationnalisés. A l’heure actuelle, on teste les enfants de maternelle dès l'âge de cinq ans sur les lettres et les chiffres.

Le quotidien pédagogique est hanté par la réglementation

Les enseignants constatent donc la perte de la liberté professionnelle et l'avancée d'une administration réglementaire; celle-ci s’assure que les objectifs de qualification sont atteints par une multitude d’injonctions et de règlements. Cela n'est possible qu'avec une réglementation étendue. Rappelons le volumineux Plan d’étude 21, qui compte 470 pages et comprend 363 compétences, réparties en plus de 2300 niveaux de compétences. Mais trop de directives paralysent l'esprit et inhibent la spontanéité et la créativité. La règle de base est la suivante: plus l'ensemble de règles est épais et dense, plus la liberté est restreinte et limitée.

Dans les tentacules des entraves administratives

Les nombreuses exigences imposent des accords et une coordination au sein de l'équipe; elles conduisent à un travail supplémentaire induit structurellement – ceci avec des classes de plus en plus hétérogènes et exigeantes. Il n'est donc pas étonnant que «de nombreux enseignants réduisent leur taux d’occupation afin de se protéger d'une surcharge», comme le constate sobrement Christian Hugi, président de l'Association des enseignants zurichois.2 Dans le canton de Zurich, par exemple, cela conduit au fait qu'à l'heure actuelle, environ 550 postes ne sont pas encore pourvus pour la nouvelle année scolaire.

Beaucoup se sentent piégés dans les tentacules des carcans administratifs à l'effet paralysant. Ils se plaignent du corset de complexité artificiellement construit qui restreint les environnements scolaires actuels.

«Tout est si étroitement structuré», explique une jeune décrocheuse de 31 ans.3 Et un enseignant expérimenté résume ses années d'enseignement en évoquant «l'école en chaînes»: elle devient toujours plus strictement standardisée.4 Il n'est donc pas surprenant qu'un enseignant sur six démissionne dès la première année et que la moitié des nouveaux enseignants quittent à nouveau leur salle de classe au plus tard après cinq ans, comme l'a montré une étude. La pénurie d'enseignants est en train de prendre de l'ampleur.

La liberté a un corrélat: la responsabilité

La liberté est «la condition première et indispensable» de l'éducation, a écrit le réformateur du système éducatif prussien et théoricien de la liberté, Wilhelm von Humboldt.5 Le grand réformateur de l’enseignement savait vraisemblablement que toute personne travaillant avec des élèves a besoin de liberté. Il en a besoin pour enseigner comme il a besoin d’un café matinal pour se réveiller. La liberté comme élixir! Mais il ne s'agit pas d'une liberté désinvolte et incontrôlée, mais d'une liberté sans inutiles réglementations pro forma ni spécifications formelles, sans normes ni entraves. Ce n'est pas la liberté du dolce farniente pédagogique, voire du laisser-aller ou du minimalisme, non, c'est la liberté de choisir les «méthodos», des voies vers le but.

Il s'agit de la liberté de façonner la mission de l'école et de travailler pédagogiquement avec les enfants et les adolescents, au profit de la classe dont l'enseignante ou l’enseignant sont responsables. Et ce dernier point contient le corrélat décisif de la liberté: la responsabilité. La liberté et la responsabilité forment une jonction – elles sont en quelque sorte les deux piliers essentiels à un bon enseignement et à de bonnes écoles. Il ne faut jamais les découpler, car sans responsabilité personnelle, la liberté dégénère en arbitraire.

L'humanité ne peut être contrainte par des règlements

Prendre des responsabilités nécessite de la liberté. C'est pourquoi la liberté ne doit pas être étouffée dans les écoles. Elle doit être déterrée du sable encore et encore, sinon elle ne restera qu'une réalité négligée. Pour la plupart des enseignants, elle est une condition de base. C'est dans la liberté que réside le cœur de toute activité pédagogique.

Ce n'est que de cette manière que les enseignantes et enseignants peuvent réagir correctement à la situation, répondre spontanément aux enfants et permettre aux choses créatives d'émerger du moment. L'humour et l'esprit, l'imagination et la fantaisie ne s'épanouissent pas dans l'habit étroit des règlements; ils ont besoin d'un humus de liberté. Mais l'humain ne peut être forcé par des règles. Ce qui nous interpelle en tant qu'êtres humains ne peut être externalisé vers le numérique ou contrôlé par des entraves bureaucratiques.

L'énergie humaine vient de la liberté

Une politique de formation efficace devrait se fier davantage aux êtres humains et moins aux systèmes et aux structures. Les bons enseignants, qui font preuve d'empathie et de passion professionnelle, sont l'alpha et l'oméga de l’école. Mais ils ont besoin de liberté – et non de réglementations. Ils ont besoin de confiance – et non de pression, appliquée par le biais de décrets. L'énergie humaine provient de la liberté, et non de directives méthodologiques d'enseignement et de lignes directrices étroites sur le plan opérationnel, telles que celles imposées par la politique éducative actuelle.

La politique et l’administration devraient donc redonner plus de liberté aux enseignants et, en même temps, les encourager à en faire usage. Cela demande du courage, car la liberté peut toujours être malmenée. Dans ce cas, les administrateurs scolaires doivent intervenir. Rapidement et sans scrupules. Il vaut toujours mieux gérer un conflit de liberté que de laisser les enseignants dépérir paisiblement dans la conformité, comme l'a exprimé le philosophe Hans Saner.6

Source: https://www.journal21.ch/humane-energie-kommt-aus-freiheit du 12 juin 2021

1 Saner, Hans. «Die Anarchie der Stille». Bâle, Lenos Verlag 1996. P. 154.

2 Donzé, René. «Zürcher Lehrer sollen mehr arbeiten». In: NZZ am Sonntag, 23/5/2021, p. 12.

3 Sigg, Pascal / Kuster, Sabine. «Drang nach Freiheit: Warum viele junge Lehrer wieder aussteigen». In: St. Galler Tagblatt, 21/6/2016.

4 Meier, Walter. «Schule in Ketten». Muri bei Bern. Eigenverlag 2015.

5 von Humboldt, Wilhelm. «Ideen zu einem Versuch, die Grenzen der Wirksamkeit des Staats zu bestimmen». Stuttgart, Reclam 2006. P. 22.

6 Saner, Hans. «Zwischen Politik und Getto. Über das Verhältnis des Lehrers zur Gesellschaft». Bâle, Lenos und Z-Verlag 1979. P. 27.

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