«La guerre cognitique»

La bataille pour les esprits entre dans une nouvelle dimension

L’OTAN expérimente de toutes nouvelles stratégies de plus en plus sophistiquées, pour inculquer aux gens les points de vue souhaités

par Wolfgang Kaufmann, Allgemeine Preussische Zeitung

(19 juillet 2023) La guerre psychologique classique a pour but de manipuler et d’affaiblir l’armée ou la population civile de l’adversaire. L’OTAN pratique également une telle «guerre cognitique» [«Cognitive Warfare»], mais celle-ci ne vise désormais plus seulement l’ennemi, car la lutte pour la tête des hommes doit désormais se faire tout autant sur son propre territoire. C’est ce qui ressort de différents documents de l’OTAN – à commencer par le document «NATO’s Sixth Domain of Operations» [le 6e domaine d’intervention de l’OTAN] de septembre 2020.1 Ce document a été rédigé à la demande du groupe de réflexion NATO Innovation Hub (IH) à Norfolk (Virginie). Le texte parle entre autres d’une «érosion constante du moral de la population» dans les pays de l’OTAN, ce qui fait que l’opinion publique des pays de l’OTAN se comporte de plus en plus «selon les plans [...] de nos adversaires». L’OTAN doit donc agir rapidement pour reprendre l’initiative dans ce domaine.

Un peu plus tard, en janvier 2021, IH a publié une autre analyse intitulée «La guerre cognitive», dans laquelle on peut lire: «La guerre cognitive est peut-être l’élément manquant qui permettrait de passer de la victoire militaire sur le champ de bataille à un succès politique durable. Le domaine d’intervention de l’‹être humain› pourrait bien être le plus décisif. [...] Les cinq premiers domaines d’intervention, à savoir la terre, l’eau, l’air, l’espace et le cyberespace, peuvent apporter des victoires tactiques et opérationnelles, mais seul le domaine d’intervention de l’être humain est capable d’apporter la victoire finale et complète».

Suite à cela, l’OTAN a organisé en juin 2021 un symposium scientifique sur la guerre psychologique. Dans l’avant-propos des actes de ce colloque, publiés ultérieurement et intitulés «La guerre cognitive: l’avenir de la domination cognitive», le général français de l’armée de l’air André Lanata souligne l’importance «d’exploiter les faiblesses de la nature humaine» et, dans ce contexte, de faire des neurosciences une arme.

«Lire» l’esprit de ses adversaires

Selon le vice-ministre français de la Défense Eric Autellet, il faudrait procéder de deux manières: «En ce qui concerne notre ennemi, nous devons être en mesure de ‹lire› dans l’esprit de nos adversaires afin d’anticiper leurs réactions. Si nécessaire, nous devons pouvoir ‹pénétrer› dans les cerveaux de nos adversaires pour les influencer et les faire agir dans notre sens. En ce qui concerne nos amis (et nous-mêmes), nous devons être capables de protéger nos cerveaux et d’améliorer nos capacités cognitives de compréhension et de prise de décision.»

Cela a été suivi en octobre 2021 par le lancement d’un concours d’innovation sur le thème «Neutraliser la guerre cognitive» par le Canadian Special Operations Forces Command et l’IH, le directeur de l’innovation du groupe de réflexion, François du Cluzel, qualifiant ce cahier des charges d’«un des sujets actuellement les plus brulants pour l’OTAN».

La société américaine Veriphix, ayant développé une «plateforme de dynamique comportementale» dont l’objectif est de «mesurer et de renforcer les motivations subconscientes afin d’inciter les gens à adopter des idées, des produits et des convictions», a été désignée gagnante en décembre 2021. La deuxième place a été attribuée à une équipe appelée Recognite, avec sa méthode de «détection de l’influence cognitive néfaste afin d’initier une intervention efficace».

Crainte d’abus

Au début de la guerre en Ukraine par exemple, on a vu à quoi pouvaient ressembler de telles interventions psychologiques. Le Parlement de l’UE, qui gère avec l’OTAN le «Centre d’excellence européen pour la prévention des menaces hybrides» à Helsinki, a adopté le 9 mars 2022 un projet décisionnelle de sa «Commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques de l’Union européenne».

Un «groupe d’experts sur la lutte contre la désinformation et la promotion de la compétence numérique par l’éducation et la formation» a ainsi été créé. Celle-ci «se concentrera notamment sur l’esprit critique, la formation des enseignants, le prebunking [défense préventive contre les ‹fausses informations›], le démasquage et la vérification des faits, et l’engagement des élèves». Cela s’est fait «en considérant que la prévention et les mesures proactives, y compris le prebunking, sont bien plus efficaces que la vérification ultérieure des faits et la réfutation des affirmations, qui ont une portée moindre que la désinformation initiale».

Le prebunking, mentionné à deux reprises, est le contraire du debunking, la vérification classique des faits pour définir les fausses informations. Il s’agit là de préparer mentalement les personnes de telle sorte qu’elles considèrent certaines nouvelles comme fausses avant même d’y être confrontées. Les experts en debunking comme Sander van der Linden de l’Université de Cambridge établissent un parallèle avec les vaccins: l’homme reçoit «une (micro-)dose atténuée de fausses informations, qui contient une réfutation préventive ou un jugement préalable des arguments ou techniques de persuasion trompeurs attendus».

Les élèves allemands peuvent également recevoir une telle «vaccination» grâce au jeu éducatif «Fake it to Make it» [feindre jusqu’au succès] recommandé par l’East StratCom Task Force du Service européen pour l’action extérieure et par l’OTAN. Ce jeu a été traduit en allemand par le Centre fédéral pour l’éducation politique et préparé pour être utilisé en classe.

Toutefois, les décisions susmentionnées de l’UE ont également fait l’objet de critiques. La députée européenne irlandaise Clare Daly a ainsi déclaré que l’on exagérait le risque d’une influence de la Russie et de la Chine sur leur propre population afin de «stigmatiser les opinions divergentes [...] et de créer des motifs de restriction de la liberté d’expression et d’autres droits fondamentaux».

Source: Allgemeine Preussische Zeitung, https://paz.de/artikel/der-kampf-um-die-koepfe-tritt-in-eine-neue-dimension-a8207.html, 17 juin 2023
(Reproduction avec l’aimable autorisation de la rédaction)

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 – https://www.innovationhub-act.org/sites/default/files/2021-01/NATO%27s%206th%20domain%20of%20operations.pdf
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https://www.innovationhub-act.org/sites/default/files/2021-10/NATO-CSO-CW%202021-10-26.pdf

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