Le devoir de confiance

Carl Bossard (Photo mad)

La guerre en Ukraine s'invite dans les chambres d'enfants et dans les classes. Que peut faire l'école?

par Carl Bossard,* Stans, Suisse

(28 mars 2022) Les images ont du pouvoir. Les enseignants le ressentent tout particulièrement ces jours-ci lorsqu'ils parlent avec leurs élèves. Par le biais de YouTube, Tiktok et d'autres réseaux sociaux, les enfants et les adolescents sont directement confrontés au conflit ukrainien. Souvent, ils sont seuls.

Ils rapportent ce qu'ils ont vu en classe. Cela leur pèse et les oppresse. «La guerre arrive-t-elle aussi chez nous? Pourquoi donc y a-t-il ces combats?», se demandent-ils. Il n'est pas rare qu’à la maison, leurs questions demeurent sans réponse. Les enseignants et les pédagogues sont, pour certains enfants, leurs seuls interlocuteurs.

Mais que disent les enseignants? Comment réagissent-ils? Le philosophe Emmanuel Kant parle d'un devoir de confiance [«Zuversicht»]. Il est particulièrement valable en période de précarité. Les enfants doivent en recevoir l'exemple de la part des adultes, y compris à l'école. La confiance est différente de l'optimisme naïf et illusoire. Elle n'a rien à voir avec la pensée positive rapidement invoquée ou même avec le regard kitsch derrière des lunettes roses.

Non, la confiance est une confiance éclairée, une résistance mentale en tant qu'attitude humaine fondamentale. Pour les jeunes, c'est une sorte d'assurance-vie mentale et donc une ressource fondamentale de la vie. Les forces psychiques se nourrissent de cette énergie motrice qu'est la confiance.

Peut-être les enseignants se souviennent-ils ces jours-ci de la célèbre question de Kant: «Que puis-je espérer?» Le philosophe de Königsberg décrit l'histoire comme une progression qualitative qui nous permet d'espérer. Je peux espérer, dit-il, qu'il y ait une évolution vers une vie meilleure, vers moins d'atrocités et de guerres, vers plus de chances de vivre.

L'idée de base de Kant va dans ce sens: l'évolution humaine est le processus de développement d'une espèce qui peut apprendre. «Nous, les hommes, sommes capables d'apprendre», souligne-t-il. C'est là que réside l'espoir des Lumières. Mais en même temps, il explique aussi que cet apprentissage passe par de terribles ruptures, par des catastrophes épouvantables.

Que pouvons-nous espérer face à cette expérience existentielle et historique? Kant dit: nous pouvons espérer que tout ira bien. Il s'y tient malgré le fait que l'histoire connaisse aussi des revers, des ruptures et des séismes, comme nous le vivons dramatiquement aujourd'hui en Ukraine. L'être humain est un être dans lequel il existe aussi des dispositions au mal.

Ce n'est pas pour rien que la philosophe politique Hannah Arendt parle de la double forme de responsabilité des parents et des enseignants. Tous deux doivent protéger l'enfant du monde et en même temps le monde de l'enfant. Chaque être humain porte en lui deux choses, la bonne et la destructrice. C'est pourquoi les éducateurs assument «la responsabilité des deux, de la vie et du développement de l'enfant ainsi que de la pérennité du monde». Et les deux ont besoin d'être protégés, le monde comme l'enfant.

«Ces deux responsabilités ne coïncident pas du tout, elles peuvent même entrer en contradiction l'une avec l'autre», signale Hannah Arendt, soulignant ainsi l'inévitable ambivalence de la tâche des éducateurs. Une chose est importante à cet égard: «La beauté du monde doit être montrée à l'enfant.» C'est en elle que réside l'espoir.

«Que puis-je espérer?», demande Kant. L'espoir est une manière de voir le monde de manière réaliste, qui fait confiance malgré tout. Peut-être que l’écrivain français Romain Rolland, avec sa phrase tirée du roman de Michel-Ange, touche ainsi à ce qui est visé: «Il n'y a pas d'autre héroïsme que de voir le monde tel qu'il est et de l'aimer quand même.» – Comme c'est trivial! Et pourtant si difficile. Surtout en ces temps qui courent.

Mais c'est précisément de cette confiance dont les enfants ont besoin. Face à l'effroi suscité par des événements comme la guerre en Ukraine, l'école doit aussi résister et éduquer à la confiance; elle doit tenir bon et offrir un soutien. Cela fait partie de sa mission pédagogique. Renforcer les gens, clarifier les choses, comme l'a exprimé un pédagogue.

* Carl Bossard, né en 1949, a été recteur du lycée cantonal de Nidwald, directeur du lycée cantonal de Lucerne, recteur fondateur de la Haute école pédagogique de Zoug (HEP Zoug) et chargé de cours au lycée cantonal de Zoug. Actuellement, il intervient en tant que directeur de cours, conférencier et conseiller scolaire. Carl Bossard se prononce régulièrement sur des questions de politique éducative et de pédagogie.

Source: St. Galler Tagblatt du 15 mars 2022
Reproduction avec l'aimable autorisation de l'auteur.

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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