Les Etats-Unis échouent dans leur projet pour une dictature de la santé de l'OMS … pour le moment
par Norbert Häring*
(28 juin 2022) Une proposition radicale du gouvernement américain visant à renforcer le «Règlement sanitaire international» (RSI) a échoué lors de la 75e Assemblée mondiale de la santé de l'OMS à Genève en raison de la résistance des pays africains et d'autres pays, lesquels ne souhaitaient pas se soumettre si facilement à une dictature de la santé menée par Washington et Genève. Les négociations se poursuivront désormais jusqu'en 2024, parallèlement au projet de «Traité mondial sur les pandémies».
Du 22 au 28 mai dernier, les ministres de la Santé se sont réunis à Genève pour la 75e Assemblée mondiale de la santé (AMS), l'organe décisionnel de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour traiter de sujets ne relevant pas de la décision de son Directeur général.
L'ordre du jour comportait des points importants, voire spectaculaires, même si les consommateurs lambda des médias n'en ont pas eu connaissance. Selon les rapports de quelques médias alternatifs, le gouvernement étatsunien a présenté une proposition de durcissement drastique du Règlement sanitaire international (RSI).
Il s'agissait de donner au Directeur général de l'OMS et aux directeurs régionaux des pouvoirs étendus pour déclarer presque arbitrairement différents types d'urgences sanitaires, sans avoir à impliquer les gouvernements concernés. Les gouvernements dans lesquels des incidents sanitaires dangereux sont suspectés se verraient imposer une assistance technique de la part de l'OMS et d'équipes d'experts internationaux.
Une OMS très peu communicative
Même en cherchant bien, aucun compte-rendu substantiel sur la manière dont s'est déroulé le débat sur la réforme du Règlement sanitaire international et sur ce qui a été décidé à ce sujet lors de la réunion de Genève n’était disponible – ni dans les médias, ni de la part de l'OMS. C'est comme si la politique en matière de pandémie n'intéressait pas ou n'avait pas à intéresser le grand public.
Ce n'est que dans le résumé journalier1 de l'OMS pour les médias de l'avant-dernier jour, du 27 mai, que l'on a pu lire, dans les dernières pages, que les délégués s'étaient mis d'accord sur une modification du RSI en ce sens que les futures modifications des prescriptions devraient entrer en vigueur après un an seulement, au lieu de deux ans auparavant.
Il s'agissait d'une proposition contenue dans le document de réforme du gouvernement américain, mais sous une forme atténuée. Il a été mentionné en passant qu'un «processus global visant à apporter de futurs amendements au RSI» avait déjà été décidé «plus tôt dans la semaine».
Le soupçon que la proposition américaine avait ainsi échoué pour le moment, sans que l'OMS veuille l'admettre et sans que les médias ne veuillent le rapporter, s’est confirmé.
A la fin de la réunion du 28 mai, on pouvait lire sur Health Policy Watch2 un premier rapport substantiel, bien que massivement enjolivé, entre les lignes duquel on pouvait lire ce qui s'était passé. Health Policy Watch vise à informer les décideurs en matière de politique de santé, surtout dans les pays en développement. Le magazine en ligne est financé par le Wellcome Trust, extrêmement influent dans le domaine de la politique de santé, et par d'autres fondations.
Sans mentionner explicitement la proposition des Etats-Unis, on peut y lire:
«Les décisions prises cette semaine ont lancé un processus de mise à jour des dispositions vagues et souvent indirectes du RSI de 2005, alors que les négociations sur un accord plus large sur les pandémies se poursuivent.
Au début de la semaine, cette résolution procédurale s'est heurtée à l'opposition inattendue de certains pays, dont le Groupe africain, qui craignaient que des modifications ne soient apportées au RSI sans examen ou participation suffisants.»
Ailleurs, il est toutefois question que les résolutions «fassent partie d'un ensemble de mesures hautement techniques proposées par les Etats-Unis».
Dans un article du 25 mai,3 Health Policy Watch s'était montré encore un peu plus direct et avait reconnu («admittedly») que les propositions américaines allaient très loin et n'avaient donc aucune chance de faire l'objet d'un consensus.
Mais comme ils savaient où cela allait les mener, outre la Chine et l'Iran, de nombreux pays africains, dont le Botswana, se sont opposés – à la surprise des Etats-Unis – à la proposition étatsunienne, subsidiairement soutenue par l'UE et d'autres pays, de raccourcir d'abord les délais et de lancer le processus de réforme de manière structurée. La décision finale est un compromis avec ces pays.
Nous pouvons donc conclure de la synthèse de ces quelques rapports enjolivés les faits suivants: concernant le paquet de mesures (pas du tout techniques, mais extrêmement politiques) de l'administration américaine, il a seulement été décidé de réduire le délai de mise en œuvre d'éventuels changements, et la façon dont les éventuels changements seraient négociés. Cet échec provisoire s'explique par la résistance des pays les plus pauvres et les plus faibles, qui ne voulaient pas se voir offrir une réforme qui les priverait de leur pouvoir sans même avoir été associés au processus de réforme.
Qu'est-ce que le «Règlement sanitaire international» (RSI) de l'OMS?
(Réd.) Le RSI est un instrument de droit international qui est juridiquement contraignant pour 196 pays, dont les 194 Etats membres de l'OMS.
L'objectif et le champ d'application sont, selon l'article 2, «de prévenir et de combattre la propagation transfrontalière des maladies, d'assurer une protection contre celles-ci et de prendre des mesures de protection sanitaire à leur égard, d'une manière proportionnée et limitée aux menaces pour la santé publique et en évitant de perturber inutilement les transports et le commerce internationaux».
Selon l'article 12, le directeur général détermine si un événement constitue une urgence de santé publique de portée internationale conformément aux critères et aux procédures énoncés dans le présent règlement.
La version actuelle du RSI est en vigueur depuis le 15 juin 2007. Elle a été approuvée sans réserve par le Conseil fédéral suisse. La loi révisée sur les épidémies, en vigueur depuis 2016, régit leur mise en œuvre en Suisse.
Le nouveau calendrier
L'échec n'est toutefois que provisoire. Loyce Pace, secrétaire d'Etat américaine à la Santé, a déclaré:4
«Si cela ne se fait pas cette semaine, nous ne nous arrêterons pas là. Nous allons continuer les efforts pour atteindre notre objectif.»
On peut s'attendre à ce que des promesses et des menaces soient désormais utilisées pour faire pression sur les pays réticents. Selon Health Policy Watch, le calendrier convenu prévoit que d'ici septembre, tous les pays pourront faire leurs propres propositions de réforme, sur lesquelles un rapport sera rédigé d'ici janvier. En 2023, des négociations seront menées et un nouveau comité de réforme du RSI sera chargé de faire ses propres propositions. La décision serait prise en 2024.
Ce calendrier est à peu près parallèle aux négociations prévues pour un Traité mondial sur les pandémies, auquel l'OMS aspire. On ne sait pas encore ce qu'il contiendra, mais il semble qu'il y aura un fort accent sur les tests de masse sur les agents pathogènes nouveaux et connus et, bien sûr, sur les campagnes de vaccination.
Le directeur général de l'OMS, Tedros Ghebreyesus, l'avait exprimé ainsi dans son discours d'ouverture5 à l'Assemblée générale de l'OMS en mai 2021: face à la pandémie de la covid, il faudrait étendre la surveillance et les tests, lutter contre les fausses informations, mettre en œuvre des stratégies nationales de vaccination et étendre la vaccination, surtout dans les pays en développement, comme acte de solidarité.
Si les Etats-Unis obtiennent gain de cause, même partiellement, avec leurs idées de réforme du Règlement sanitaire international et qu'un Traité mondial sur les pandémies soit adopté, les groupes pharmaceutiques peuvent espérer – bien plus souvent que jusqu'à présent – obtenir à l’avenir de grosses commandes anticipées de vaccins et de médicaments et accompagner les campagnes de vaccination de masse. Les populations, elles, peuvent se préparer à vivre dans un régime d'urgence sanitaire chronique avec des droits fondamentaux partiellement suspendus.
* Norbert Häring est un journaliste économique allemand. Depuis 2002, il est rédacteur en sciences économiques au Handelsblatt. Il a également publié plusieurs livres, notamment sur le thème de la politique monétaire. |
Source: https://norberthaering.de/macht-kontrolle/wha75-ihr-verschaerfung/, 30 mai 2022
(Traduction «Point de vue Suisse»)
2 https://healthpolicy-watch.news/97225-2/
4 idem