Pédagogie: abandon du modèle et de l'imitation

Carl Bossard (Bild zvg)

par Carl Bossard*

Il était certainement un artiste sûr de lui et conscient de ses aptitudes: le sculpteur et bâtisseur Erhart Küng (env. 1420–1507). Il arriva à Berne aux alentours de 1455 en tant que tailleur de pierre; il fut rapidement nommé responsable de la construction de la nouvelle cathédrale de Berne en tant que maître d'œuvre.

Son groupe de sculptures représentant le «Jugement dernier» sur le portail central ouest est toujours impressionnant. Et c'est sans doute à lui que l'on doit la fière inscription sur le contrefort près de la «Schultheissenpforte»; elle est gravée dans la pierre et témoigne, peut-être de manière un peu ostentatoire, de son savoir-faire artistique: «machs na». («fais de même»).1

Montrer et imiter comme forme pédagogique originelle

«Fais de même» n'est pas seulement une forme originelle d'apprentissage; cela pourrait être un correctif méthodologique apporté à l'apprentissage autodirigé, trop prévalent dans l’enseignement scolaire actuel. Tout en gardant à l’esprit que montrer et imiter est certes une méthode très importante, mais qu'elle n'est qu'une méthode parmi d'autres.

Montrer et imiter comme forme pédagogique originelle

«Fais de même! Je t'ai montré l'exemple – avec une image idéale», tel est sans doute le message en pierre d'Erhart Küng sur le parapet du pilier. Montrer et imiter. Peut-être le plus ancien modèle de pédagogie et probablement la forme la plus simple et la plus directe d'instruction et d'enseignement: les Grecs anciens appelaient cette méthode l'apprentissage mimétique. Hans Aebli, professeur d'université bernois et précurseur de la psychologie de l'apprentissage, la classe parmi la deuxième forme fondamentale de l'enseignement – après la narration et l'exposé.2

«machs na» («fais de même») – inscription sur un pilier de la cathédrale
de Berne (photo Wikimedia)

«Je te montre comment faire; essaie maintenant toi-même!»

Elle ne surprend pas, la deuxième position qu’occupe la méthode «montrer et imiter», parmi les douze formes fondamentales dans la «Didactique générale» d'Aebli. L'impératif méthodologique «fais de même» fait partie, pour l'exprimer de manière alambiquée, des constantes anthropologiques et théoriques fondamentales de l'apprentissage. Comment le jeune humain apprend-il à parler? Sans l'exemple du langage humain, ce processus d'apprentissage exigeant est impossible. Et quelle valeur insoupçonnée réside dans le fait de raconter des contes et de lire des histoires pour pouvoir lire soi-même plus tard! Et comment le petit enfant apprend-il à faire ses lacets? Regarde, je te montre comment faire; essaie maintenant toi-même! L'enfant observe comment cela fonctionne et imite – au début, peut-être avec un peu d’aide. Il essaie, encore et encore!

De l'instruction nécessaire et systématique

Il en va de même à l'école. Dans les cours de musique, montrer est une pratique courante; ou encore dans les arts appliqués: l'enseignant montre des gestes utiles – et ouvre ainsi la porte au monde du «faire soi-même» – par le biais des processus d'observation, de réflexion et de résolution de problèmes. L'action personnelle des apprenants est fondamentale. Mais l'instruction systématique par un pédagogue compétent, un maître d'apprentissage expérimenté, reste tout aussi fondamentale et nécessaire.

Lorsqu'il s'agit d'acquérir des compétences et des techniques de travail, la démonstration et la «pré-action» jouent un rôle éminemment important. Dans toutes les matières. L'enseignante agit par ce qu'elle sait faire, en le montrant et en l'expliquant: en cours de français, c’est la formation de certains sons comme le «S» vocal, en anglais le «Th». Dans les leçons de sport, c'est la démonstration d'un pas de danse ou d'un saut en longueur. L'enseignant agit également en résolvant un problème de mathématiques en présentant à l’oral chaque réflexion à faire, en récitant lui-même un passage de texte avec éloquence, en prenant personnellement le crayon à dessin. Tout cela fait partie de son répertoire de méthodes naturelles et efficaces.

Montrer, c’est le minimum didactique

Il est donc surprenant de constater le peu de valeur accordée à la démonstration dans la pédagogie et la didactique actuelles. On argue que la démonstration est trop centrée sur l'enseignant et trop directive – donc peu créative. C'est l'impératif de créativité qui domine. L'enfant doit tout découvrir par lui-même, de manière ludique et «en partant de lui-même», dit-on. Même l'alphabet s'apprend ainsi dans certains endroits, et l'écriture de toute façon. Comme si la démonstration, l'instruction et l'imitation n’étaient pas les formes les plus directes d'automatisation des compétences! Y aurait-il un lien avec les résultats PISA toujours plus faibles en allemand?

Les messages des chercheurs en éducation renommés sont tout autres! Selon Klaus Prange, spécialiste allemand des sciences de l'éducation, le savoir-faire pédagogique déterminant est la compétence à montrer. Et il ajoute: «C'est pour ainsi dire le minimum didactique [...].»3 C'est plausible et évident, car la forme la plus élémentaire de pédagogie naturelle réside dans la démonstration. Le biologiste évolutionniste américain Michael Tomasello en est profondément convaincu: «On montre à quelqu'un comment faire quelque chose, soit en le faisant directement, soit en le mimant d'une manière ou d'une autre. Et comme la communication, l'action n'est pas accomplie pour elle-même, mais pour le bénéfice de l'observateur ou de l'apprenant.»4

«Fais de même», un correctif nécessaire

C'est peut-être ce que voulait dire le tailleur de pierre Erhart Küng. Il savait faire quelque chose, et il l'a montré; «Fais de même», a-t-il annoncé à la ronde en lettres de pierre depuis la cathédrale de Berne. Jusqu’à nos jours, cet impératif n'a rien perdu de sa valeur – et à l'école non plus.

* Carl Bossard, né en 1949, a été recteur du lycée cantonal de Nidwald, directeur du lycée cantonal de Lucerne, recteur fondateur de la Haute école pédagogique de Zoug (HEP Zoug) et chargé de cours au lycée cantonal de Zoug. Actuellement, il intervient en tant que directeur de cours, conférencier et conseiller scolaire. Carl Bossard se prononce régulièrement sur des questions de politique éducative et de pédagogie.

Source: https://www.journal21.ch/artikel/vom-verdraengten-vormachen-und-nachmachen, 15 janvier 2022

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 Il s'agit d'une copie; l'original se trouve au Musée historique de Berne.

2 Hans Aebli (2011), Zwölf Grundformen des Lehrens. Eine Allgemeine Didaktik auf psychologischer Grundlage. Medien und Inhalte didaktischer Kommunikation, der Lern‐
zyklus. 14e édition Stuttgart. Ed. Klett-Cotta, p. 65s

3 Klaus Prange (2012, Die Zeigestruktur der Erziehung. Grundriss der Operativen Pädagogik. 2e édition Paderborn Ed. Ferdinand Schöningh, p. 78.

4 Michael Tomasello (2014), Eine Naturgeschichte des menschlichen Denkens. Frankfurt/M. Ed. Suhrkamp, p. 96.

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