Prière de ne pas dériver vers des rêves!

Carl Bossard (Photo mad)

Conséquences visibles de la politique d'intégration

par Carl Bossard*

(17 novembre 2022) «N'y avait-il pas un problème?», se demandent certains. Une pénurie d'enseignants? Une situation d'urgence? Les responsables de l'enseignement font comme si de rien n'était – et se réfugient dans des rêves. Certains s'en étonnent et se fâchent.

Depuis des années, c'est toujours la même histoire: juste avant les vacances d'été, les directions d'école s'affolent et la recherche d'enseignants s'emballe. Dans les états-majors, rien d'autre qu'un silence bruyant. En revanche, les responsables sur place se battent pour chaque auxiliaire disponible. L’enseignement doit pouvoir démarrer après les vacances, les enfants doivent avoir un enseignant devant eux. Ils y parviennent au prix d'énormes efforts. On engage également des personnes sans formation. Les fonctionnaires de l'enseignement en prennent acte avec calme. La caravane poursuit sa route.

Où est le regard sur le concret?

Pourquoi ces tremblements à répétition? Pourquoi cette tragédie? On ne peut que spéculer et interpréter – et se demander si la politique éducative s'intéresse vraiment à la qualité de nos écoles et à l'enseignement concret sur place? Ceux qui ont écouté l’émission NZZ-Podium intitulée «Société de la performance – de quelle école l'homme a-t-il besoin?» à la mi-septembre en doutent sérieusement.1 Le déroulement de la discussion en dit long: il y a été beaucoup question de visions et de la nécessité de mieux développer le potentiel des enfants de manière plus humaine, et l'on a surtout exigé davantage de moyens financiers – ceci dans le système d’enseignement et de formation le plus cher au monde.

La directrice de l’enseignement et de la formation du canton de Zurich Silvia Steiner a déclaré: «Le système scolaire suisse est fondamentalement sur la bonne voie. Nous avons un énorme système de soutien et d'encouragement, nous avons les instruments pour corriger le tir.» Pas un mot (auto)critique, pas un commentaire sur les soucis et les détresses du parterre pédagogique, pas un regard transversal sur les déficits de l'école et le fait, par exemple, que même les enfants intelligents présentent souvent de grandes lacunes dans les compétences de base du calcul et de l'écriture à la fin de l'école primaire. Lorsqu'ils maîtrisent ces bases, il n'est pas rare que des parents engagés ou des instituts d'apprentissage privés soient à l'origine des bons résultats – et malheureusement trop rarement des heures d'enseignement efficaces pour l'apprentissage. D'ailleurs, environ 35% des élèves reçoivent aujourd'hui des cours particuliers. Ce que cela signifie pour l'égalité des chances, soi-disant si importante, va de soi.

Scandale d'une politique éducative qui nie le quotidien

Pas un mot non plus sur les conséquences de l'intégration d'enfants très différents, parfois très difficiles, dans la même classe – avec les efforts de coordination horribles sur le plan administratif et les perturbations parfois graves de l'enseignement. Le périodique suisse «Beobachter» parle même de «tohu-bohu dans la salle de classe» et du fait qu'il est rare aujourd'hui de trouver une classe «dans laquelle on peut se concentrer sur la transmission de la matière scolaire».2

Mais qui cela surprend-il lorsque la directrice de l'éducation zurichoise Silvia Steiner considère l'intégration comme un droit de l'homme? Steiner dit textuellement: «Pour moi, l'enseignement intégratif n'est pas un projet, mais un droit de l'homme.»3 Pour des raisons idéologiques, tout ajustement et toute correction sont proscrits. Il n'y a donc qu'une chose à faire: continuer comme avant! Sans se soucier des dommages collatéraux et de graves déficits d'apprentissage dans les compétences culturelles de base.

Et cette forme d'enseignement est l'une des raisons pour lesquelles de nombreux enseignants quittent les salles de classe. Les responsables l'ignorent délibérément. Leur devise: ne rien entendre, ne rien voir et ne rien dire non plus – c'est le scandale d'une politique de l'éducation qui se réfugie dans des visions et nie le quotidien tout en faisant comme si tout allait bien – comme c'est le cas depuis des années avec le français précoce en Suisse alémanique, par exemple.

Face à certains déficits, il y a une défaillance du système

Que faudrait-il donc? Nombreux sont ceux qui regrettent l'absence, dans la politique suisse de l’éducation, d'une vision critique et analytique (lucide) de l'état actuel des choses, et ce de manière systémique et radicalement honnête. Pendant de longues années, l'école a été transformée et réformée – en des centaines d'étapes individuelles. Qu'ont donc apporté ces innovations dans leur ensemble? Et pourquoi la Suisse est-elle constamment en baisse dans les études comparatives internationales?

Pour ne citer qu'un seul exemple, il est inadmissible qu'un jeune de 15 ans sur cinq quitte l'école sans avoir acquis les connaissances linguistiques de base nécessaires. Il s'agit tout simplement d'une «défaillance du système», comme le résume Stefan C. Wolter, directeur du Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation. Il ajoute: «Avec un effectif moyen de 19 élèves par classe, deux à trois élèves par classe en Suisse ne savent pas suffisamment écrire et lire à la fin de leur scolarité.» Les responsables de l'éducation se taisent. La défaillance du système ne semble pas les déranger. Personne ou presque ne s'interroge sur les raisons.

Le regard critique sur les hautes écoles pédagogiques

Un deuxième point de vue important serait de se demander où des erreurs sont commises dans la formation et pourquoi tant de jeunes enseignants quittent si vite la salle de classe: 7% par an, le plus souvent au cours des trois à cinq premières années d'exercice. Nous n'avons pas, et nous le savons, trop peu d'enseignants formés, nous en avons trop qui abandonnent trop vite la profession ou qui ne la commencent même pas.

Les hautes écoles pédagogiques sont devenues une sorte de chauffe-eau pour les personnes n’envisageant pas d’enseigner. La question est également de savoir si les nouveaux enseignants sont suffisamment préparés à un bon enseignement et s'ils commencent leur premier poste avec une formation ciblée.

Revenir à la liberté pédagogique

Une autre chose devrait impérativement être analysée: dans quelle mesure les nombreuses réformes top-down de ces dernières années ont-elles un effet pesant? L'éducation a été de plus en plus «normalisée» et «administrée». L'organisationnel domine le pédagogique. La charge de travail des enseignants a augmenté à la suite de ces réformes, avec une intégration accrue et une dispersion dans la multiplicité des disciplines.

De nombreux enseignants se sentent pris au piège dans le corset d'une complexité artificielle qu'ils ne peuvent plus maîtriser. C'est pourquoi ils sont de moins en moins nombreux à vouloir assumer la fonction importante de responsable de classe. Beaucoup, trop de choses sont prescrites et ordonnées d'en haut – ou justement dirigées. Cela minimise la liberté pédagogique. Or, la liberté fait partie de l'ADN de tout enseignant.

Une analyse impitoyablement honnête du système

Nous le savons: tout ne tourne pas rond dans notre école obligatoire. Pas du tout. Beaucoup de choses sont malheureusement mises sous le boisseau ou formulées à mots couverts. Cela ne nous fait pas avancer. Cependant, nous n'avons besoin ni d'illusions de bon aloi ni de visions éloignées de la pratique; ce dont nous avons besoin, c'est d'une analyse honnête du système, impitoyable et radicalement axée sur la réalité. Nous n'arriverons à rien en faisant comme si de rien n’était. Les perdants du système scolaire sont toujours les élèves.

(Reproduction avec l'aimable autorisation de l'auteur.)

1 Matthias Niederberger: De quelle école l'homme a-t-il besoin? In: NZZ, 17.09.2022, p. 15: ont participé à la table ronde dirigée par le rédacteur de la NZZ Martin Meyer: Margrit Stamm, spécialiste des sciences de l'éducation; Silvia Steiner, Directrice de l'enseignement du canton de Zurich; Sergio P. Ermotti, président du conseil d'administration de Swiss-Re; et Oliver Meier, chef de projet de construction immobilière chez Marti AG.

2 Julia Hofer. «Tohu-bohu dans la salle de classe». In: Beobachter 25/2021, p. 92s.

3 Nils Pfändler, Lena Schenkel. «Je ne crois pas aux visions pour l'avenir de l'école». Interview avec Silvia Steiner, in: NZZ, 28 janvier 2019, p. 15.

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