La Suisse et l’UE
Adhésion de l’Ukraine à l’UE
Soldats allemands au front et désastre économique
par Thomas Mayer*
(22 août 2025) (CH-S) Quelles seraient les conséquences d’un rapprochement supplémentaire de notre pays avec Bruxelles? En Suisse, les tendances inquiétantes et les dynamiques insoupçonnées agissant au sein des centres de pouvoir de l’Union européenne sont encore peu perçues. Elles doivent pourtant être impérativement prises en compte dans tous les débats.
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thomasmayer.org)
L’Ukraine doit être admise dans l’Union européenne (UE). C’est la volonté déclarée de l’UE. Il n’y a pratiquement pas de débat public à ce sujet. Seul le Premier ministre hongrois, Victor Orban, s’y oppose et a organisé une consultation populaire en Hongrie. Sur les plans militaire, économique et financier, l’adhésion de l’Ukraine à l’UE serait désastreuse.
L’UE mène des négociations officielles d’adhésion avec l’Ukraine. Une adhésion ne peut se faire qu’à l’unanimité des 27 Etats membres actuels. Cela signifie qu’un seul Etat peut bloquer l’adhésion. Un tel blocage est l’objectif déclaré du gouvernement hongrois – une lutte acharnée.
Une consultation populaire impressionnante
Afin de connaître l’opinion de la population hongroise à ce sujet, le gouvernement Orban a décidé en mars 2025 d’organiser le «Voks 2025» (vote 2025). Tous les électeurs hongrois ont reçu un courrier et ont pu répondre à la question suivante en renvoyant leur bulletin de vote: «Etes-vous favorable à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne?» Ce référendum n’avait aucune base légale, les autorités électorales n’y ont pas participé et son résultat n’est pas juridiquement contraignant. Il s’agissait donc d’un «plébiscite présidentiel ad hoc». L’envoi des bulletins de vote a débuté le 15 avril 2025 et les réponses devaient être envoyées avant le 20 juin 2025.
Il y a eu 2 278 015 votes valides, ce qui correspond à un taux de participation d’environ 29%. Parmi ceux-ci, 95,19% se sont prononcés contre l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et seulement 4,81% en faveur.1 Le résultat était donc très clair.
Victor Orban a présenté ce résultat lors du sommet européen du 26 juin 2025 à Bruxelles. «Ma voix est devenue plus forte.»2 Selon Orban, l’adhésion de l’Ukraine dans son état actuel serait un acte d’autodestruction pour la Hongrie. «Si nous accueillions un pays en guerre, nous serions entraînés dans une guerre avec la Russie», a-t-il averti. Il a également remis en question la viabilité des frontières et de la structure gouvernementale actuelles de l’Ukraine, affirmant que le statut de l’Etat était incertain compte tenu du conflit. «Nous ne savons même pas ce qu’il restera du pays», a-t-il déclaré.
D’autres arguments ont également pesé dans le débat public en Hongrie. Le secrétaire d’Etat Zoltán Kovács a écrit: «Des milliards sont détournés du budget pour le développement de l’Europe centrale, les subventions agricoles de l’UE sont supprimées, car les immenses terres agricoles de l’Ukraine sont intégrées dans le système, il existe des risques pour la santé publique et des risques accrus pour la sécurité en raison du crime organisé et du trafic d’armes.»3
Ce sont là des préoccupations importantes qui trouvent un écho dans l’opinion publique hongroise. On n’entend pas de telles choses dans d’autres pays de l’UE. Que faut-il en penser?
Je souhaite donner ci-après une estimation réaliste. Dans mon livre «Wahrheitsfindung im Ukraine-Krieg» [A la recherche de la vérité dans la guerre en Ukraine], j’ai décrit en détail la situation réelle dans ce pays. Et le «groupe BSW» du Bundestag allemand a déposé le 5 juin 2024 une motion intitulée «Non à l’ouverture des négociations d'adhésion à l’UE avec l’Ukraine».4 Celle-ci n’a pas été traitée, mais «classée» à l’expiration de la législature.5 Les conséquences d’une adhésion de l’Ukraine à l’UE seraient dramatiques.
Des soldats des Etats membres de l’UE devraient combattre et mourir en Ukraine
L’UE est une alliance militaire. Peu de gens le savent, mais c’est le cas depuis le Traité de Lisbonne de 2009. En vertu de l’article 42, paragraphe 7, du Traité de Lisbonne, les Etats membres doivent fournir «toute l’aide et le soutien en leur pouvoir» aux pays de l’UE victimes d'attaques.6 L'engagement à participer pleinement à la guerre va ainsi encore plus loin au sein de l'UE qu'au sein de l'OTAN. Dans l’OTAN, un «cas d’alliance» au sens de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord exige seulement des Etats membres qu’ils prennent les mesures «qu’ils jugent nécessaires».7 «Juger nécessaire» est une formulation vague qui laisse toute latitude aux Etats individuels. Le Traité de Lisbonne est plus clair à cet égard.
Après l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, tous les Etats membres seraient donc tenus d’envoyer des soldats en Ukraine. Car ils devraient tous fournir «toute l’aide en leur pouvoir». Cela inclut bien sûr leurs propres forces armées. L’Allemagne et tous les autres Etats membres de l’UE entreraient ainsi en guerre ouverte contre la puissance nucléaire russe.
Les Etats membres de l’UE sont bien sûr déjà engagés dans une guerre non déclarée contre la Russie, puisqu’ils financent, équipent et entraînent déjà l’armée ukrainienne, lui fournissent des données satellitaires, coorganisent secrètement des opérations et définissent des objectifs de guerre. L’UE est complice, mais laisse les Ukrainiens se battre et mourir. Après l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, cela ne serait plus possible, il faudrait donc agrandir les cimetières également en Allemagne.
Selon le Traité de Lisbonne, de telles interventions militaires pourraient être évitées si l’UE constatait que l’Ukraine n’était pas une victime, mais qu’elle avait elle-même attaqué les régions souveraines du Donbass et que l’entrée en guerre de la Russie constituait donc une aide conforme au droit international pour la légitime défense des régions du Donbass, conformément à l’article 51 et à la Charte des Nations Unies. Une telle évaluation est toutefois trop exigeante pour les gouvernements de l’UE, qui ont affirmé le contraire pendant des années afin de justifier leur forte implication dans la guerre contre la Russie.
Mais si leurs propres soldats venaient à mourir, l’opinion publique basculerait. Il est donc très improbable que l’Ukraine adhère à l’UE avant la fin de la guerre.
Un gouffre financier de plusieurs milliards
Les conséquences financières d’une adhésion de l’Ukraine à l’UE seraient frappantes et absorberaient une grande partie du budget européen. L’UE compte dix contributeurs nets, dont l’Allemagne avec 17 milliards d’euros, la France avec 9 milliards d’euros et l’Italie avec 4,5 milliards d’euros, et 17 bénéficiaires nets. La Pologne obtient de l’UE chaque année environ 8 milliards d’euros, la Roumanie 6 milliards et la Hongrie 4,6 milliards.8 Suite à l'adhésion de l'Ukraine à l'UE, les bénéficiaires nets actuels ne recevraient presque plus rien, car les milliards devraient être versés à l'Ukraine.
«Une étude du Conseil européen estime le coût de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE à 186 milliards d’euros», écrit le BSW dans sa motion. «Cela dépasserait de loin la capacité financière de l’UE et, si un financement compensatoire était nécessaire, entraînerait de graves restrictions sociales dans l’UE et en Allemagne en raison des coupes budgétaires correspondantes, ou devrait être compensé par des augmentations d’impôts massives.»
L’Ukraine continuerait à engloutir des milliards. En effet, les perspectives économiques de l’Ukraine sont mauvaises. C’est un Etat en déliquescence. Au moment de sa création en 1991, l’Ukraine comptait environ 52 millions d’habitants. Depuis lors, la population a diminué en raison de l’émigration et du faible taux de natalité. Après le début de la guerre du Donbass en 2014, des millions de personnes ont fui et, depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022, huit millions d’Ukrainiens supplémentaires ont fui à l’étranger, dont environ un tiers vers la Russie, que de nombreux Ukrainiens ne considèrent pas comme un ennemi, mais comme un ami. Le territoire de l’ancienne Ukraine est ainsi dépeuplé, avec moins de 30 millions d’habitants.9 Il faut encore soustraire environ huit millions d’habitants des quatre régions de l’est de l’Ukraine qui ont rejoint la Russie lors des référendums de septembre 2022. Il manque donc tout simplement de la main-d’œuvre pour reconstruire l’économie ukrainienne après la guerre.
A cela s’ajoute le fait que la guerre décime la population active. Les cimetières militaires se multiplient rapidement en Ukraine. De nombreux éléments indiquent que jusqu’à un million de soldats ukrainiens ont été tués ou mutilés au front.10 Les chiffres réels sont cachés au public.
Le journal conservateur britannique «The Spektator» a publié une analyse sobre le 18 juillet 2025. L’Ukraine est confrontée à une crise militaire, politique et sociale critique qui menace de détruire le pays de l’intérieur. 70% des Ukrainiens pensent que leurs dirigeants utilisent la guerre à des fins d’enrichissement personnel. La corruption sape le moral. 40% de la population active aurait quitté le pays. L’inflation est galopante. Neuf millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté.11
Le monde financier international estime également que l’avenir de l’Ukraine est sombre. BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, voulait collecter des milliards auprès d’investisseurs internationaux pour un fonds de reconstruction de l’Ukraine. Mais «faute d’intérêt», BlackRock a bouclé le fonds en juillet 2025, selon le «Berliner Zeitung».12 La Banque mondiale a même estimé le coût total de la reconstruction de l’Ukraine à plus de 500 milliards de dollars. D’où viendra cet argent?
Actuellement, l’Ukraine est déjà largement financée par des fonds étrangers. Le budget de l’Etat de Kiev pour 2023 prévoyait des recettes fiscales d’environ 30 milliards d’euros. Les dépenses étaient deux fois plus élevées, à 60 milliards d’euros.13 Entre 2022 et 2024, environ 100 milliards d’euros ont été versés à l’Ukraine par les Etats membres de l’UE.14 Cela signifie qu’environ la moitié des dépenses publiques ukrainiennes ont été financées par les Etats membres de l’UE! L’Ukraine est entièrement dépendante de l’UE et n’est pas viable par elle-même.
Une chose est sûre et certaine: après son adhésion à l’UE, l’Ukraine continuerait pendant longtemps à engloutir de telles sommes, au détriment des autres membres de l’UE.
La Russie se charge de la reconstruction des régions orientales de l’Ukraine qui ont rejoint la Russie. La reconstruction rapide de la ville portuaire de Marioupol, fortement détruite pendant la guerre, est par exemple très impressionnante. La Russie s’est fixé des objectifs de reconstruction très ambitieux et est capable de les financer, car en 2024, avec seulement 20,3% de son produit intérieur brut, elle avait la dette publique la plus faible des principaux pays industrialisés et émergents.15
Un pays à bas salaires détruirait des existences dans l’UE
Un ami agriculteur biologique allemand m’a fait part l’année dernière de ses inquiétudes existentielles. Il voyait son exploitation menacée, ses ventes s’étaient effondrées, les produits ukrainiens bon marché avaient inondé le marché dans son secteur. Il est à craindre qu’après l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et la mise en place d'une union douanière, de nombreuses histoires de ce genre se feront entendre.
Pour comprendre ce problème, il faut savoir que l’Ukraine est le pays le plus pauvre d’Europe. En 2023, le produit national brut par habitant était d’environ 5000 dollars par an, contre plus de 50 000 dollars en Allemagne, soit dix fois plus.16 Il s’agit là d’une moyenne, une grande partie des Ukrainiens vivant avec moins de 100 dollars par mois. Si l’Ukraine adhère à l’UE, ces différences de revenus se heurteront de plein fouet. En Ukraine, les groupes agroalimentaires ont racheté une grande partie des terres agricoles fertiles, la main-d’œuvre est bon marché et les exportations vers l’UE sont donc lucratives. C’est précisément ce qui coûterait leur existence à de nombreux agriculteurs et entreprises des Etats membres de l’UE, qui doivent supporter des coûts salariaux dix fois plus élevés. Ceux qui réclament l’adhésion de l’Ukraine à l’UE veulent en fait détruire leur propre agriculture.
Un espace économique et douanier commun nécessite des conditions relativement similaires. L’écart entre l’UE et l’Ukraine est trop grand. Les revenus en Ukraine sont au niveau de ceux du Salvador ou de la Namibie. En Bulgarie, le pays le plus pauvre de l’UE, le produit national brut par habitant était d’environ 15 000 dollars en 2023, soit trois fois plus qu’en Ukraine. Il ne faut ouvrir une écluse que lorsque le niveau de l’eau est équilibré.
En raison de ce fossé important, il est également déconseillé à l’Ukraine d’adhérer à l’UE. Malgré les faibles revenus, il est possible de vivre décemment en Ukraine, car de nombreux prix sont inférieurs à ceux pratiqués dans l’UE. L’expérience montre toutefois que les pays à bas niveau de prix ayant adhéré à l’UE ont connu un alignement sur le niveau de prix plus élevé des Etats membres existants. Tout devient plus cher, mais les revenus n’augmentent pas aussi rapidement, les gens ont moins et s’appauvrissent. Ce serait également le cas de l’Ukraine.
L’adhésion de l’Ukraine à l’UE obligerait donc les Etats membres à envoyer leurs propres soldats en Ukraine pour combattre au front et entrer en guerre ouverte avec la Russie, avec toutes les conséquences terribles que cela implique. Ce serait également un désastre économique. Les coûts immenses de l’intégration de l’Ukraine dans l’UE engloutiraient le budget européen et il ne resterait plus rien pour les Etats actuellement bénéficiaires nets. En raison du dépeuplement de l’Ukraine, la reconstruction économique du pays sera difficile en raison du manque de main-d’œuvre, et le pays restera longtemps dépendant de l’UE. L’écart de revenus, qui est dix fois plus important entre l’Ukraine et l’Allemagne, conduirait à la ruine de nombreuses exploitations agricoles et entreprises dans le cadre d’une union douanière. D’autre part, l’ajustement des prix à ceux de l’UE appauvrirait une grande partie de la population ukrainienne. L’opposition de la Hongrie à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE est très raisonnable.
* Thomas Mayer est militant pour les droits civiques, professeur de méditation et auteur. Dans son livre «Recherche de la vérité dans la guerre en Ukraine. Ce dont il s’agit vraiment», il présente de manière exhaustive le contexte de la guerre en Ukraine, y compris la responsabilité de l'Ukraine et de l'OTAN. 600 pages, 34 euros, ISBN 978-2-32257-467-4. Informations sur le livre https://www.thomasmayer.org/francais. Livre complet disponible gratuitement en ligne au format PDF. |
(Traduction «Point de vue Suisse»)
2 https://kormany.hu/hirek/a-voks-2025-szavazok-95-szazaleka-elutasitotta-ukrajna-csatlakozasat
3 https://abouthungary.hu/blog/while-tisza-claimed-to-speak-for-hungary-voks-2025-listens
4 https://www.bundestag.de/presse/hib/kurzmeldungen-1007460
6 https://dejure.org/gesetze/EUV/42.html
7 https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_17120.htm?selectedLocale=de
9 Thomas Mayer, «Recherche de la vérité dans la guerre en Ukraine» (p. 47s.)
10 Voici deux sources concernant les morts, disparus et blessés ukrainiens. Le nombre réel est plus élevé, c’est pourquoi on peut estimer qu’il y a eu jusqu’à présent environ un million de morts et de blessés:
https://ualosses.org/en/soldiers/
https://www.politico.eu/article/ukraine-volodymyr-zelenskyy-announces-its-total-military-casualties-first-time/
11 https://www.spectator.co.uk/article/ukrainians-have-lost-faith-in-zelensky/
13 Thomas Mayer, «Recherche de la vérité dans la guerre en Ukraine» (p. 460s.)