Tensions croissantes

Il est dangereux de ne pas rassurer la Russie

Paul Craig Roberts
(Photo mad)

Le régime Biden a gâché l'avenir

par Paul Craig Roberts*

(19 janvier 2022) La situation sur le front russe est bien plus dangereuse qu'on ne le pense. La raison en est que le conflit américano-russe ressuscité au XXIe siècle par les néoconservateurs et le complexe militaro-sécuritaire américain est bien plus dangereux que la guerre froide du XXe siècle.J'ai participé à la guerre froide en tant que membre de la Commission sur le danger actuel. Le «danger actuel» était l'Union soviétique, et les membres de la commission étaient soucieux de ne pas perdre le contrôle de la situation. Il y avait deux aspects à cette situation. Le premier était que les Soviétiques ne devaient pas acquérir la suprématie militaire. L'autre était qu'il fallait éviter que les tensions entre les puissances nucléaires n’atteignent leur paroxysme.

A l'époque de la guerre froide, on débattait dans les milieux de la politique étrangère. Il y avait des personnes bien informées, telles que Stephen Cohen, pour nous rappeler le point de vue soviétique, ce qui permettait d'endiguer un point de vue patriotique unilatéral qui, s'il prenait le dessus, pouvait déclencher des attaques nucléaires. Même dans notre commission, qui était antisoviétique, il y avait des gens qui voyaient les deux côtés de la question et tenaient à distance les positions extrêmes comme celle des néoconservateurs.

Aujourd'hui, il n'y a aucun débat. En fait, il n'y a pas de communauté de politique étrangère. Il n'y a qu'un ensemble de russophobes, ne voyant que de mauvaises intentions dans le Kremlin et rien que du bien dans l'hégémonie de Washington. Stephen Cohen et ceux qui contribuaient à maintenir l'équilibre sont morts.

Par conséquent, Washington est incapable de comprendre les préoccupations des Russes. Comme l'a récemment écrit Scott Ritter, «c'est comme si Biden et Blinken étaient tous deux sourds, muets et aveugles lorsqu'il s'agit de comprendre la Russie.»

Vous pouvez voir à quel point Washington est sourd, muet et aveugle en regardant vers qui le conseiller à la sécurité nationale de Biden [Jake Sullivan] s'est tourné pour obtenir des conseils sur la manière d'aborder les réunions actuelles avec la Russie sur ses préoccupations en matière de sécurité.

N'oubliez pas que ces discussions ont lieu parce que la Russie se sent menacée par un réseau croissant de bases américaines à ses frontières, qui sont potentiellement des sites pour les missiles nucléaires américains. C'est la Russie qui se sent en danger, pas les Etats-Unis. Qu'a donc fait le conseiller de Biden? Il s'est tourné vers Michael McFaul, l'ambassadeur russophobe d'Obama en Russie, qui s'est spécialisé dans l'aggravation des tensions avec elle. Le conseil de McFaul était de faire monter les enchères en envoyant encore davantage d'armes en Ukraine. En d'autres termes, faire en sorte que le Kremlin se sente plus menacé.

Aucun d'entre nous ne serait ici si cela avait été la réponse du président John F. Kennedy à la crise des missiles de Cuba.

Le Kremlin essaie depuis des années de faire en sorte que Washington l'écoute. A mon avis, les pourparlers actuels sont le dernier effort du Kremlin. Personnellement, je ne pense pas que le Kremlin donne à ces négociations la moindre chance de succès. Il ne fait que tester la conclusion suivante: Washington ni ne prendra en compte, ni ne s’accommodera des préoccupations sécuritaires de la Russie.

En d'autres termes, lorsqu'une partie n'écoute pas, l'autre partie n'a personne à qui parler. Cette frustration s'accumule depuis des années au sein du Kremlin. Tout ce que le Kremlin entend de Washington est «vous avez tort, nous avons raison».

Aux Etats-Unis, la situation est si mauvaise que toute personne qui explique le point de vue russe est rejetée comme un «agent russe.» Le président Trump a fait l'objet d'une enquête en tant qu'agent russe pour avoir voulu normaliser les relations avec la Russie. Au moment de la présidence de Trump, tous les accords de contrôle des armements conclus au cours des décennies précédentes avaient été écartés par Washington, et il n'était plus possible pour un président américain d'œuvrer à la réduction des tensions avec la Russie. Vouloir de bonnes relations avec la Russie était une trahison de l'Amérique. Le directeur de la CIA a même qualifié le président Trump de traître à l'Amérique, et le directeur du FBI a enquêté sur lui comme s'il l'était.

C'est un hommage à la patience et à l'espoir des Russes qu'ils aient continué à travailler pour une coexistence pacifique malgré l'évidence que cela ne pouvait pas arriver.

Comme je l'ai expliqué hier, le nœud du problème est que Washington ne veut pas que la Russie soit en sécurité: https://www.paulcraigroberts.org/2022/01/11/washington-gives-cold-shoulder-to-russias-security-concerns/

Cela laisse deux choix à la Russie. Soit elle accepte l'hégémonie américaine, soit elle fait reculer l'OTAN de ses frontières par la force et l'intimidation.

La situation est dangereuse, car le Kremlin a conclu que le risque de guerre nucléaire est plus élevé en cas d'autorisation de missiles nucléaires américains aux frontières de la Russie qu'en cas d'action visant à ramener l'OTAN à son statut d'avant 1997.

* Paul Craig Roberts, né en 1939 à Atlanta, est un économiste, journaliste et auteur américain.

Source: https://www.paulcraigroberts.org/2022/01/12/no-reassurance-for-russia-is-dangerous/, 12 janvier 2022

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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