Proche-Orient

Israël et les Nations Unies

Karin Leukefeld (Photo mad)

par Karin Leukefeld,* Allemagne/Syrie

(16 novembre 2023)(16 novembre 2023)Israël a des problèmes avec les Nations Unies. Lorsqu’il s’agit du conflit qui oppose le pays à la Palestine, les diplomates israéliens s’emportent rapidement et défient l’organisation mondiale et ses Etats membres. Le bombardement continu de la population de Gaza, de quartiers densément peuplés, de camps de réfugiés, d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures civiles, de journalistes et de leurs familles montre qu’Israël ignore des accords essentiels du droit international.

Contexte – Admission d’Israël en tant que membre des Nations Unies

«Résolution 273 de l’Assemblée générale du 11 mai 1949,1

Ayant pris connaissance du rapport du Conseil de sécurité sur la demande d’adhésion d’Israël aux Nations Unies,

Considérant que, selon le jugement du Conseil de sécurité, Israël est un Etat pacifique et qu’il est en mesure et désireux de remplir les obligations contenues dans la Charte,

Considérant que le Conseil de sécurité a recommandé à l’Assemblée générale d’autoriser Israël à devenir membre des Nations Unies,

vu la déclaration de l’Etat d’Israël selon laquelle il ‹accepte sans réserve les obligations de la Charte des Nations Unies et s’engage à les respecter à compter du jour où il deviendra membre des Nations Unies›,

Rappelant ses résolutions du 29 novembre 1947 et du 11 décembre 1948 et prenant note des déclarations et explications faites par les représentants du gouvernement d’Israël devant le Comité politique ad hoc en ce qui concerne l’application desdites résolutions,

l’Assemblée générale décide ,

Dans l’exercice des fonctions qui lui incombent en vertu de l’article 4 de la Charte et de l’article 125 de son règlement intérieur,

1) qu’Israël est un Etat pacifique qui accepte les obligations contenues dans la Charte et qui a la capacité et la volonté de s’acquitter de ces obligations;

2) qu’Israël doit être admis comme membre des Nations Unies.»

Source: https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-187677/

Adhésion à l’ONU soumise à conditions

«[...] qu’Israël est un Etat pacifique qui accepte [...] et s’acquitte des obligations contenues dans la Charte.»

Le fait de ne pas épargner les gens sous les bombes, leur couper l’eau, l’électricité, le carburant, les soins médicaux, la nourriture, les communications, est considéré comme un crime, même en temps de guerre. Alors que de plus en plus d’Etats rappellent leurs ambassadeurs d’Israël ou – comme la Bolivie – rompent leurs relations diplomatiques, le gouvernement fédéral [allemand] à Berlin persiste dans sa fidélité totale aux côtés d’Israël. La ministre des Affaires étrangères Baerbock a déclaré2 qu’Israël avait – comme tout Etat dans le monde – le devoir de protéger sa population et de se défendre contre les attaques. Baerbock a qualifié les habitants du camp de réfugiés de Jabaliya – bombardé deux fois par Israël en l’espace de 24 heures – de «boucliers humains» de «l’organisation terroriste Hamas». Cela ne révèle pas seulement un mépris humain envers les victimes des bombardements, cela montre également que la ministre allemande des Affaires étrangères ne connaît pas l’histoire de l’Etat d’Israël et de la Palestine.

L’ONU partage la Palestine

Avant la fin du mandat britannique (1920 à 1948), la Palestine a été divisée par le plan de partage de l’ONU (résolution 181 II de l’ONU). L’ONU nouvellement créée suivait ainsi une promesse faite par la puissance coloniale britannique en 1917. A l’époque, le ministre britannique des Affaires étrangères Lord Balfour avait promis au mouvement national sioniste le soutien de la couronne britannique pour la formation d’un «foyer juif» en Palestine. La population vivant en Palestine s’y opposa et des protestations et des combats eurent lieu avant et pendant la discussion du plan de partage de l’ONU.

Le plan de partage adopté en novembre 1947 (résolution 181 II de l’ONU) divisait la Palestine en un Etat juif et un Etat arabe. Bien que sur les quelque 1 900 000 habitants de l’époque, plus des deux tiers étaient des Palestiniens musulmans, chrétiens et druzes et un tiers des Juifs, pour la plupart immigrés, la population palestinienne qui y vivait à l’origine n’avait pas voix au chapitre. Un référendum avait été rejeté.

L’Etat juif devait englober 56,47% de la Palestine, l’Etat arabe 42,88%. La ville de Jérusalem, avec 0,65%, devait être placée sous l’administration de l’ONU en tant que «corpus separatum». Les trois parties devaient être réunies dans une union économique. La ville portuaire de Jaffa faisait partie de l’Etat arabe. L’ONU comptait alors 56 Etats membres, dont 33 ont voté pour, 13 contre et 10 se sont abstenus. Tous les Etats arabes ont voté contre.

La perte des terres palestiniennes (expulsion – Nakba)

L’expulsion

Bien que les sionistes aient considéré la décision de partage comme un document fondateur de leur Etat, ils ont lancé, immédiatement après l’adoption du plan de partage, des opérations militaires visant à expulser les Palestiniens afin d’étendre le territoire qui leur était accordé. Ils ont attaqué des villages,3 tué et expulsé la population. 530 villages palestiniens ont été détruits.

Au tournant de l’année 1948/49, les Palestiniens ne disposaient plus que de 22% des terres que le plan de partage de l’ONU leur avait attribuées. Jérusalem-Est avait été défendue par des légions arabes jordaniennes contre les milices sionistes. Jérusalem-Ouest, en revanche, avait été prise très tôt par l’armée sioniste clandestine Haganah et la population palestinienne en avait été chassée. Ce faisant, les sionistes ont également ignoré la partie du plan de partage de l’ONU selon laquelle Jérusalem devait être placée sous administration internationale en tant que «corpus separatum».

Le 14 mai 1948, l’Etat d’Israël a été proclamé. Le lendemain, le 15 mai 1948, Israël a demandé à devenir membre des Nations Unies. Cette demande n’a pas été traitée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le 15 mai 1948 également, les Etats arabes ont déclaré la guerre à Israël. Le 20 mai 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies a nommé le diplomate suédois, le comte Folke Bernadotte, médiateur des Nations Unies pour la Palestine.

Bernadotte a pu négocier un cessez-le-feu et a posé la première pierre de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA). Il s’est montré critique à l’égard du «nettoyage ethnique» contre les Palestiniens et du fait qu’Israël «revendiquait la totalité de Jérusalem», ce qui était contraire au plan de partage de l’ONU. Le 17 septembre 1948, le médiateur spécial de l’ONU Bernadotte a été assassiné par le groupe Stern, une milice sioniste. Yitzhak Shamir, le futur Premier ministre israélien, faisait également partie du groupe Stern. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a condamné l’assassinat de Bernadotte.

Le 11 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 194, qui définissait le statut de Jérusalem et le droit au retour des réfugiés palestiniens (si cela était réalisable), ainsi que la réparation de leurs pertes. Le 17 décembre 1948, une deuxième demande d’adhésion d’Israël aux Nations Unies a été rejetée par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Après les élections législatives de 1949, Israël a présenté une troisième demande d’adhésion aux Nations Unies. Le 4 mars 1949, le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté la résolution 69 en faveur de l’adhésion.

Des réserves ont été émises par la Grande-Bretagne, qui s’est abstenue lors du vote au motif qu’Israël ne respectait pas les principes de l’ONU et n’acceptait pas le plan de partage de l’ONU.

L’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé l’adhésion d’Israël le 11 mai 1949, mais a formulé des conditions. Selon ces conditions, Israël serait admis comme membre des Nations Unies à condition qu’il accepte et applique les résolutions 181 II et 194, le plan de partage des Nations Unies et le droit au retour des Palestiniens (si cela est possible) ainsi que leur réparation.

Depuis lors, Israël a ignoré plus de 200 résolutions du seul Conseil de sécurité des Nations Unies.

En 1967, après la guerre des Six Jours, une autre résolution importante des Nations Unies a été adoptée, cette fois par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il s’agissait de la résolution 242 du 22 novembre 1967, qui stipulait que la «conquête de terres par la guerre était inadmissible» et que les troupes israéliennes devaient se retirer des territoires occupés (1967). Il s’agissait de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et des hauteurs syriennes du Golan, qu’Israël avait occupées lors de la guerre des Six Jours (juin 1967). Mais Israël avait déjà commencé à coloniser les territoires occupés, notamment par la construction illégale de colonies. Israël a ainsi violé le droit international et la 4e Convention de Genève.

Lors de l’Assemblée générale des Nations Unies du 22 septembre 2023, le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est présenté au pupitre avec une carte4 sur laquelle il voulait démontrer qu’Israël et l’Arabie saoudite – alors engagés dans un processus de rapprochement politique accompagné par les Etats-Unis – étaient sur le point de conclure un accord. Sur la carte de la région brandie par Netanyahu, Israël englobait l’ensemble du territoire de la Palestine, sans qu’apparaissent la Cisjordanie palestinienne, Gaza ou Jérusalem-Est, la capitale prévue d’un Etat de Palestine. Les territoires palestiniens qui devaient former un Etat palestinien avaient été effacés.

L’attaque des brigades Qassam

Suite à l’attaque sans précédent des brigades Qassam depuis la bande de Gaza sur des territoires du sud d’Israël le 7 octobre 2023, Israël a réagi avec une violence sans précédent contre les Palestiniens, d’abord dans la bande de Gaza, puis entre-temps en Cisjordanie occupée. Les diplomates israéliens ont répondu par des menaces et des accusations aux appels lancés au Conseil de sécurité de l’ONU et à l’Assemblée générale pour un cessez-le-feu et une aide à la population civile. Même le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a été insulté et appelé à démissionner lorsqu’il a souligné, lors d’une réunion au Conseil de sécurité de l’ONU (24 octobre 2023), que l’attaque n’était pas sortie du vide. Depuis plus de 56 ans, les Palestiniens vivent sous une occupation israélienne oppressante et se voient refuser un Etat propre. Aucune partie à un conflit armé n’est au-dessus du droit humanitaire international, a déclaré António Guterres5 en faisant référence aux violations manifestes du droit humanitaire observées à Gaza.

Les Etats-Unis ont empêché plusieurs projets de résolution pour un cessez-le-feu immédiat qui ne comprenaient pas le «droit de défense» d’Israël et la condamnation du Hamas comme «organisation terroriste». Pendant les batailles politiques au Conseil de sécurité de l’ONU, les bombardements israéliens sur la bande de Gaza ont tué (au 2 novembre) plus de 8700 personnes, dont plus de 3600 enfants.

Le 27 octobre 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies6 a adopté par 121:14:44 voix [oui:non:abstention] une résolution d’Etats arabes appelant à un «cessez-le-feu humanitaire immédiat, durable et soutenu» entre les forces israéliennes et les combattants du Hamas à Gaza. En outre, un approvisionnement «continu, suffisant et sans entraves» de la population civile prise au piège à Gaza devait être assuré.

Israël a refusé et a intensifié le jour même ses bombardements aériens d’artillerie et navals sur la bande côtière palestinienne. L’approvisionnement en eau, en médicaments et en carburant a été interrompu. Les communications à Gaza ont été coupées, ni les téléphones ni les connexions Internet ne fonctionnent.

Lundi [30 octobre 2023], l’ambassadeur israélien à l’ONU Gilad Erdan est apparu avec une étoile de David jaune sur sa veste de costume. «Never again» y était inscrit, «plus jamais». Les deux mots rappellent le fascisme allemand et son extermination des juifs, des groupes religieux, ethniques et sociaux et des opposants politiques. Il porte l’étoile «comme ses grands-parents et les grands-parents de millions de Juifs» ont porté l’étoile, a déclaré Erdan. L’étoile sera portée jusqu’à ce que les Nations Unies condamnent les atrocités commises par le Hamas et exigent la libération immédiate des otages.

Le président du mémorial de Yad Vashem, Dani Dayan, a critiqué l’action.7 Se faire épingler l’étoile est une «honte pour les victimes de l’Holocauste et pour Israël». L’étoile jaune symbolise l’impuissance du peuple juif. Mais aujourd’hui, Israël dispose d’un Etat indépendant et d’une armée forte, a poursuivi Dayan: «Nous sommes les maîtres de notre propre destin. Aujourd’hui, nous allons accrocher un drapeau bleu et blanc au revers de notre veste, pas une étoile jaune.»

De nombreux diplomates de l’ONU, des organisations onusiennes et des institutions ont lancé un appel pour qu’Israël cesse de violer le droit international. Ce n’est pas dit explicitement, mais l’appel s’adresse aux gouvernements qui, comme les Etats-Unis et l’Allemagne, arment Israël, le soutiennent politiquement et médiatiquement et, comme les Etats-Unis, empêchent le Conseil de sécurité de l’ONU de demander un cessez-le-feu unanime et immédiat. Le 14 octobre 2023, Francesca Albanese,8 l’envoyée spéciale de l’ONU pour les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, a déclaré que «sous couvert de guerre [...] Israël cherche à nouveau et au nom de la légitime défense à justifier ce qui reviendrait à un nettoyage ethnique.»

Pour rappel, le 11 mai 1949, Israël avait été admis comme membre des Nations Unies à condition d’accepter et d’appliquer les résolutions 181 II (le plan de partage de l’ONU) et 194 (le plan de partage de l’ONU et le droit au retour des Palestiniens [si réalisable] et à leur réparation). Jusqu’à présent, Israël n’a jamais considéré comme «réalisable» le retour des Palestiniens. Au contraire, Israël a tout fait pour s’approprier les terres de la Palestine. Les Etats-Unis ont toujours gardé leur main protectrice sur Israël.

Les Palestiniens sont expulsés, arrêtés, tués. En octobre 2023, des politiciens et des personnalités israéliennes de haut rang ont qualifié les Palestiniens d’«hommes-animaux».

* Karin Leukefeld a fait des études d'ethnologie ainsi que des sciences islamiques et politiques et a accompli une formation de libraire. Elle a travaillé dans le domaine de l'organisation et des relations publiques, notamment pour l'Association fédérale des initiatives citoyennes pour l'environnement (BBU), pour les Verts allemands (parti fédéral) et pour le Centre d'information sur le Salvador. Elle a également été collaboratrice personnelle d'un député du PDS au Bundestag (politique étrangère et aide humanitaire). Depuis 2000, elle travaille comme correspondante indépendante au Moyen-Orient pour différents médias allemands et suisses. Elle est également auteur de plusieurs livres sur son vécu dans les zones de guerre du Proche et du Moyen-Orient.

Source: https://www.nachdenkseiten.de/?p=106177, 4 novembre 2023

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-187677/

2 https://www.deutschlandfunk.de/baerbock-verteidigt-israels-vorgehen-im-gazastreifen-100.html

3 https://www.youtube.com/watch?v=4bxyQl4msaY

4 https://www.timesofisrael.com/liveblog_entry/netanyahu-brandishes-map-of-israel-that-includes-west-bank-and-gaza-at-un-speech/

5 https://www.zdf.de/nachrichten/politik/guterres-ruecktrittsforderung-un-botschafter-israel-100.html

6 https://www.youtube.com/watch?v=W9wAZVTlAZM

7 https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-31/ty-article/.premium/yad-vashem-chairman-slams-israels-un-envoy-for-donning-yellow-star/0000018b-849e-df47-a3df-fe9ffa010000

8 https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/10/un-expert-warns-new-instance-mass-ethnic-cleansing-palestinians-calls

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