L’espoir incertain d’un avenir prometteur
par Karin Leukefeld,* Allemagne/Syrie
(19 juillet 2024) Les crises et les guerres au Proche- et au Moyen-Orient sapent le droit à l’éducation. Alep, juin 2024. L’année scolaire touche à sa fin. Avant les longues vacances d’été, les élèves syriens se préparent aux examens. Pour les plus âgés, il s’agit de l’examen de fin des études scolaires, du baccalauréat, pour les autres, des certificats de fin d’année. Le système scolaire centralisé est une relique de l’époque du mandat français (1920–1946) que les Syriens, comme les Libanais, ont conservé. Dans d’autres parties du monde arabe, qui ont été marquées par le mandat britannique ou, après la Seconde Guerre mondiale, par les Etats-Unis, ce sont les systèmes scolaires britanniques ou américains qui prédominent.
Dans les pays du Proche- et du Moyen-Orient, une bonne éducation scolaire pour les enfants est une «obligation» pour les familles. Ouvrir la voie à un avenir meilleur pour les enfants grâce à une bonne scolarisation et formation est le but de la vie et la mission des parents. Cependant, les crises persistantes, les sanctions, les problèmes économiques, les guerres et les menaces de guerre privent les jeunes des pays concernés de leur droit à la sécurité, à la santé et à l’éducation.
Liban
Au Liban, fin juin, les examens de quelque 3000 élèves du Sud du pays ont eu lieu dans des établissements scolaires à l’intérieur du pays, sous la protection des forces armées libanaises. Des personnes impliquées ont indiqué que des avions de combat israéliens avaient franchi le mur du son au-dessus des lieux d’examen pendant les épreuves en volant à basse altitude afin d’intimider les gens.
Environ 90 000 personnes ont été évacuées du Sud-Liban depuis octobre 2023 en raison de la poursuite des attaques réciproques du Hezbollah et d’Israël. L’enseignement scolaire a été interrompu pour les enfants et les adolescents. Alors que le Hezbollah attaque les bases militaires, les rampes de lancement et les installations de surveillance des forces armées israéliennes, Israël s’en prend également aux terres agricoles et aux habitations à l’intérieur du Liban. Les armes pourraient se taire immédiatement si un cessez-le-feu était obtenu dans la guerre contre Gaza, affirme le Hezbollah. Mais le cessez-le-feu n’avance pas et Israël a déclaré à plusieurs reprises au cours des dernières semaines qu’il ramènerait désormais le Liban «à l’âge de pierre» avec ses bombardements.
Bande de Gaza
Dans la bande de Gaza, les Nations Unies, des associations d’universités et d’universitaires du monde entier parlent d’un «Educide», la destruction systématique de l’éducation pour les sociétés concernées. Le terme anglais est composé de «Education», en français formation, et de «Genocide», l’extermination massive (d’êtres humains). La situation dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre israélienne, il y a presque neuf mois, et le silence des gouvernements occidentaux qui continuent à soutenir Israël en lui fournissant des armes, des équipements, des munitions et des renseignements militaires, sont commentés avec horreur.
Le portail Internet anglophone University World News, une «fenêtre globale sur l’enseignement supérieur», critique vivement les attaques israéliennes contre les universités de la bande de Gaza et la «destruction complète du système éducatif à Gaza». 23 000 enseignants et professeurs auraient enseigné à plus de 625 000 étudiants dans les sept universités jusqu’au début de la guerre (situation au 27 février 2024), peut-on lire.
4327 étudiants et 231 enseignants et professeurs ainsi que des collaborateurs auraient été tués. La destruction massive d’écoles, la destruction partielle et totale des universités serait, si l’on suit les termes de la Convention sur le génocide, une forme d’«educide», une destruction totale et partielle du système éducatif dans la bande de Gaza.
En avril 2024, l’UNICEF, l’Organisation des Nations Unies pour l’enfance, a souligné que dans la bande de Gaza huit écoles sur dix (76%) étaient totalement ou partiellement détruites. 620 000 élèves ne pourraient plus suivre de cours. Les attaques contre les établissements d’enseignement ne détruisent pas seulement l’enseignement, mais «sapent les bases d’une croissance sociale et d’un développement durables», a déclaré Talal al-Hathal, directeur de la fondation «Education avant tout» de Doha (Qatar).
Syrie
Malgré de nombreux problèmes, la plupart des élèves syriens peuvent participer à leurs examens de fin d’année. Il semble que toutes les forces soient mobilisées pour la période des examens afin de soutenir les enfants. Les parents s’inquiètent de ce que leur progéniture bénéficie de bonnes conditions d’apprentissage pour se préparer aux examens. Les candidats eux-mêmes sont tendus et suivent les cours proposés par les écoles ou, si les parents peuvent se le permettre, des professeurs privés afin de surmonter les incertitudes dans la matière enseignée. Le manque d’électricité et l’énorme chaleur de ce mois de juin représentent un défi de taille pour tous les participants.
Les jours d’examen commencent par une sorte d’état d’urgence. Dans tout le pays, l’Internet est coupé tôt le matin pendant plusieurs heures. Cette mesure drastique est justifiée par le fait que les sujets d’examen sont élaborés de manière centralisée pour toutes les matières d’examen et sont envoyés chaque jour d’examen par Internet aux centres d’examen. Afin que personne ne puisse obtenir des informations sur les questions d’examen par quelque moyen que ce soit, l’Internet reste coupé pour le grand public ces jours-là de 6 heures du matin à 10, voire 11 heures.
A Idlib et dans le nord-est, le système scolaire syrien n’est pas reconnu
A Idlib et dans le nord-est de la Syrie, les examens ne peuvent pas avoir lieu. Tant les islamistes dogmatiques de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), qui contrôlent Idlib, que l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES), dirigée par les Kurdes, ne reconnaissent pas le système scolaire syrien et empêchent la tenue des examens.
A Alep, la direction de l’Enseignement de l’autorité provinciale organise depuis des années la venue d’élèves de ces régions à Alep. Mustafa Abdul Ghani, le responsable de la direction de l’Enseignement, précise qu’on a proposé aux élèves de passer deux à trois semaines à Alep afin de préparer et de passer les examens à Alep. «L’autorité autonome du nord-est – qui coopère parfois avec les autorités syriennes – permet aux élèves de se rendre à Alep, voire à Deir Ez-Zor, afin qu’ils puissent participer aux examens centraux de fin d’année», explique Abdul Ghani lors d’un entretien avec l’auteur à Alep. «Mais les islamistes ne donnent pas d’autorisation aux élèves, bloquent les routes vers Alep et effectuent des contrôles.» Les bulletins et les notes finales sont importants pour les jeunes, car le système scolaire syrien est reconnu au niveau international. On ne sait pas quels diplômes les enfants obtiendraient dans les zones hors du contrôle du gouvernement.
La direction de l’éducation à Alep offre aux élèves le transport, le logement et la nourriture, l’électricité, l’eau et une aide psychologique pour se préparer aux examens à Alep, explique Abdul Ghani. 45 écoles et autres établissements ont été préparés pour l’hébergement, du matériel scolaire et des livres sont mis à disposition. Des enseignants assurent la surveillance et l’encadrement. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) apporte son soutien, même s’il n’est plus aussi important que les années précédentes, précise-t-il. La majeure partie de l’aide provient d’organisations d’aide syriennes privées et publiques.
Pour pouvoir participer aux examens, les enfants doivent «avoir 15 ans et s’inscrire avec une carte d’identité et leurs bulletins de notes». Cette année, 9500 élèves sont arrivés à Alep en provenance des régions non contrôlées par le gouvernement syrien. Plus de 200 élèves sont même venus d’Idlib par leurs propres moyens. «Ils ont utilisé le passage près de Khan Scheikhun, des organisations humanitaires ont organisé et financé le transport.» 7200 des élèves auraient été logés dans les écoles publiques, les autres auraient vécu chez des proches pendant la période des examens.
Mustafa Abdul Ghani et Osama Sorour du ministère de l’Enseignement (Damas), qui supervise les examens à Alep, accompagnent l’auteure à Masaken Hanano, en périphérie d’Alep. C’est là que se trouvent deux des écoles qui accueillent les candidats aux examens. Dans l’une des écoles, il y a des filles, dans l’autre des garçons. Dans le hall d’entrée et dans les couloirs, de nombreux dessins sont destinés à expliquer aux enfants le sens et l’objectif de l’enseignement scolaire et de l’apprentissage. «Concept, compétences, stratégie, profit, travail acharné, renouvellement, travail d’équipe» est écrit dans des cercles disposés autour d’une ampoule symbolisant le «succès».
Les élèves vivent et étudient dans les salles de classe, qui sont équipées d’armoires, de matelas, de chaises et de tables. Il y a des salles de bain dans chaque couloir et les enfants reçoivent des bons pour acheter de la nourriture. Les années précédentes, la nourriture distribuée était préparée par des organisations humanitaires privées, mais cette année, l’argent manque pour cela, explique M. Abdul Ghani. Les garçons et les filles viennent de villages et de petites villes des zones rurales d’Idlib, de Hama et d’Alep. Les élèves des deux écoles de Masaken Hanano viennent du nord-est d’Alep, d’Ain Arab/Kobane, de Manbij, de Jaraboulus et d’Al Bab.
Ce jour-là, il n’y a pas d’examen et les jeunes se préparent en petits groupes ou avec des enseignants pour les prochains examens. Un groupe de jeunes filles d’Ain Arab/Kobané a d’abord dû réviser la langue arabe. L’autorité autonome kurde a supprimé l’arabe dans les écoles et l’enseignement ne se fait plus qu’en kurde, le plus souvent en kurmanci. Pourtant, la langue arabe continue de faire partie du quotidien de la population. L’une des élèves est accompagnée par sa grand-mère, qui vit avec les filles dans la salle de classe. Elle voulait absolument rester avec sa petite-fille, explique l’enseignante al-Kurdi. La plupart des filles interrogées veulent devenir pharmaciennes. Le métier d’enseignante n’est pas très apprécié, constate Fatima al-Kurdi, l’enseignante qui supervise le logement des filles. Mais elle cligne des yeux en disant cela, et les filles rient.
Dans l’école où sont hébergés les garçons, on est en train de réviser les mathématiques avec un professeur. Dans une autre salle de classe, trois garçons plus âgés se préparent au baccalauréat. Deux d’entre eux viennent de Manbij et d’Ain Arab/Kobane. Le troisième élève dit qu’il vient de Raqqa. Mais sa famille vit à Manbij, car Raqqa est complètement détruite. Il veut étudier la gestion d’entreprise pour pouvoir reprendre plus tard l’entreprise de son père, dit l’élève. Il ne quittera en aucun cas la Syrie. Ses deux camarades d’examen prévoient de faire des études d’ingénieur informatique et de médecine après le baccalauréat. Ils envisagent de quitter la Syrie, mais on ne sait pas comment ni où aller.
De nombreux jeunes hommes ont quitté la Syrie ces dernières années parce qu’ils ne voulaient pas servir dans l’armée syrienne ni être recrutés par les différents groupes armés pour la guerre. La déclaration du ministère syrien de la Défense (fin juin 2024) de libérer les recrues et les réservistes du service militaire d’ici la fin de l’année et de revoir la durée du service militaire obligatoire pour les jeunes hommes fait souffler un vent de soulagement en Syrie et surtout dans les familles.
Le cours de mathématiques est maintenant terminé, les garçons se rassemblent dans le couloir, curieux d’interroger la journaliste étrangère. «Emmenez-moi en Allemagne», dit un élève aux cheveux roux et aux taches de rousseur. Tous aiment le football allemand et veulent aussi savoir comment se passe l’école en Allemagne. Alors que Mustafa Abdul Ghani se retire pour des entretiens individuels avec quelques garçons, Osama Sorour suit avec intérêt l’échange entre les garçons et l’auteur. Finalement, des photos et des selfies sont pris avec la journaliste allemande avant que les garçons ne soient convoqués pour le prochain cours.
La jeunesse syrienne a du mal à s’imaginer un avenir en Syrie, explique Osama Sorour. Selon lui, les problèmes sont très importants, la guerre a tout changé. «Notre mission est de donner aux enfants la meilleure éducation possible. De bons bulletins peuvent leur ouvrir la voie vers l’avenir.»
* Karin Leukefeld a fait des études d'ethnologie ainsi que des sciences islamiques et politiques et a accompli une formation de libraire. Elle a travaillé dans le domaine de l'organisation et des relations publiques, notamment pour l'Association fédérale des initiatives citoyennes pour l'environnement (BBU), pour les Verts allemands (parti fédéral) et pour le Centre d'information sur le Salvador. Elle a également été collaboratrice personnelle d'un député du PDS au Bundestag (politique étrangère et aide humanitaire). Depuis 2000, elle travaille comme correspondante indépendante au Moyen-Orient pour différents médias allemands et suisses. Elle est également auteur de plusieurs livres sur son vécu dans les zones de guerre du Proche et du Moyen-Orient. |
Source: https://www.nachdenkseiten.de/?p=117489, 2 juillet 2024
(Traduction «Point de vue Suisse»)