L’UE se déplace vers la périphérie du monde – volontairement!

Ivan Hoffman (Photo mad)

par Ivan Hoffman,* République tchèque

(13 juin 2023) (Réd. Globalbridge.ch) Le célèbre journaliste tchèque Ivan Hoffman – dissident sous le socialisme, après 1989 quelques années d'engagement pour «Radio Free Europe», puis journaliste, rédacteur et animateur à la Radio publique tchèque – a écrit un bref commentaire sur la politique actuelle de l’UE. Ivan Hoffman fait mouche, son commentaire doit donc être lu dans d’autres régions d’Europe. (cm)

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Le monde est en mouvement. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi, mais parfois le mouvement est lié à l’espoir et parfois à la peur. Nous nous trouvons actuellement sur une onde sinusoïdale (avec des oscillations vers le haut et vers le bas, réd.); il y a eu de bonnes choses, mais il n’y en aura plus dans un avenir proche. Tenez vos chapeaux (dans la tempête), c’est la descente.

La cause du déclin d’une société n’est généralement pas une mauvaise évaluation des évolutions à venir, mais le sentiment que l’évolution est triomphalement achevée, que l’avenir est sûr et nous appartient, et qu’il est donc inutile de prédire l’avenir. Plus une société végète dans cette auto-illusion et vit dans l’insignifiance, plus il lui faudra de temps pour se remettre sur pied. Cela ne vaut pas seulement pour la résurrection de l’économie réelle, mais aussi pour la résurrection de l’esprit.

Si nous n’avions pas été trop paresseux dans le passé pour reconnaître les tendances annonçant notre déclin actuel, nous ne serions peut-être pas en train de vivre dans le déclin. D’un point de vue géopolitique, les principaux acteurs de l’échiquier politique sont prévisibles, et leurs actions sont logiquement basées autant sur le pouvoir et les ambitions économiques que sur les souvenirs et les expériences historiques.

La Chine n’oubliera pas le siècle d’humiliation de l’Occident. La Russie n’oubliera pas les interventions de l’Occident collectif sous la direction de Napoléon et d’Hitler. Et les Américains sont inébranlablement convaincus qu’ils ont été élus par Dieu pour dominer le monde.

La Chine

Ce qui est prévisible avec la Chine, c’est qu’il s’agit de la plus ancienne civilisation ininterrompue du monde, qui ne fait rien sans se référer à son passé. La Chine est conservatrice, homogène et tournée vers l’intérieur. C’est pourquoi elle a toujours construit des murs autour d’elle. Des murs physiques, comme la Grande Muraille de Chine, des murs culturels, des murs financiers, ou encore d’autres murs, comme récemment lorsqu’il s’agit d’Internet, d’intelligence artificielle et de virus. La Chine n’est pas agressive, mais elle sait qu’elle doit être en mesure de ‹danser avec les loups›.

La Russie

La Russie est une superpuissance prévisible qui sait qu’elle doit être prête à défendre son existence. La Russie capitaliste, tout comme l’ancienne Russie socialiste, envisage de manière réaliste une guerre qu’elle ne peut pas perdre. Il existe un consensus social à ce sujet, visible à travers le soutien de l’armée et du président. La Russie sait que l’Occident ne respecte que la force. Elle est convaincue qu’on ne peut pas faire confiance à l’Occident et qu’il n’est pas un partenaire commercial sérieux.

Les Etats-Unis

Les Etats-Unis sont également prévisibles sur le plan géopolitique. Leur intérêt national est de profiter de la domination mondiale. Les Américains n’ont pas d’alliés fixes, uniquement des intérêts fixes. Toute personne qu’ils ne contrôlent pas est un ennemi ou un rival potentiel. La tradition américaine est celle de la guerre. Les Américains ont mené des guerres sans interruption pendant pratiquement toute leur existence. La doctrine américaine en Europe consiste à empêcher la combinaison de la technologie allemande et des matières premières russes, et dans la politique mondiale, à empêcher l’alliance stratégique entre la Russie et la Chine.

L’UE

Sur un terrain de jeu aussi clairement défini, le destin de l’UE était également bien prévisible. L’UE n’a jamais été en mesure de trouver une géopolitique souveraine capable de contrebalancer l’antagonisme des grandes puissances. L’UE s’est laissée évincer du commerce mondial par les Chinois, s’est laissée entraîner par les Américains dans la guerre en Ukraine et a claqué la porte des matières premières bon marché et d’un marché lucratif en Russie. L’UE se contente d’observer un jeu géopolitique dans lequel la rivalité des Etats-Unis avec la Russie et la Chine modifie la carte politique du monde.

Le Sud global

De nouvelles perspectives s’ouvrent en revanche pour l’Asie, l’Afrique, le monde arabe et l’Amérique du Sud. Dans ce monde en mutation, l’Europe n’est destinée plus qu’à la périphérie. Ce qui est gênant, c’est que l’UE n’a pas été reléguée à la périphérie par les grandes puissances. Elle l’a choisi elle-même! Sans que l’on sache vraiment pourquoi. Simplement par bêtise?

A propos de la République tchèque elle-même, le Tchèque Ivan Hoffman dit ceci:

D’ailleurs, nous sommes une périphérie dans la périphérie de l’UE et nous n’y avons pas été relégués par Bruxelles. Cette voie a été choisie par le gouvernement Fiala.1 Et on ne sait pas très bien pourquoi...

Source: https://globalbridge.ch/so-bewegt-sich-die-eu-an-die-peripherie-der-welt-freiwillig, 23 mai 2023
(Reproduction avec l’aimable autorisation de la rédaction)

(L’original est en tchèque. Traduction allemande par Anna Wetlinska et Christian Müller.
Traduction française par «Point de vue Suisse»)

1 Fiala est le gouvernement de la République tchèque depuis le 17 décembre 2021. Elle a remplacé le deuxième cabinet d'Andrej Babiš.

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