Le mythe de l'«Union européenne pacifique et bienveillante»

par Pierre Lévy,* France

(4 avril 2025) On peut certainement remercier Donald Trump de provoquer involontairement des aveux intéressants: lorsqu'il a affirmé que l'UE avait été fondée pour «arnaquer» les Etats-Unis, les dirigeants pro-européens ont crié au scandale et ont souligné que l’intégration européenne avait été créée sous l’égide de Washington.

Pierre Lévy.
(Photo https://
ruptures-presse.fr)

Une fois de plus, les événements diplomatiques et militaires s'accélèrent dans le conflit ukrainien. Une fois de plus, la prudence est donc de mise avant d'analyser une situation plus incertaine que jamais. Une chose est sûre cependant: l'Union européenne est mise sur la touche, et c'est une bonne chose pour la paix.

Quels que soient les efforts désespérés de ses dirigeants, ils n'ont pas été invités aux réunions importantes. Et ils semblent condamnés à la posture qu'ils redoutaient plus que tout: celle de spectateurs.

Pour éviter cette déception, ils échafaudent un plan nommé «Réarmer l'Europe». Le 6 mars, le Conseil européen a entériné le principe d'un plan du même nom, proposé deux jours plus tôt par la Commission européenne, à hauteur de 800 milliards d'euros. Certains capitales estiment même que ce chiffre astronomique est insuffisant. A l'inverse, le 12 mars, le Parlement néerlandais s'est prononcé contre ledit plan, trois des quatre partis représentés au gouvernement refusant le principe d'un endettement commun.

«Réarmer l'Europe» et non «armer l'Europe». L'expression a l'avantage de rappeler – sans doute involontairement de la part de ses auteurs – les origines de la «construction européenne»: l'intégration de l'Europe (de l’Ouest à l'époque) est née de et dans la guerre froide.

En 1949, l'Alliance atlantique est fondée sous l'égide des Etats-Unis, suivie un an plus tard par la création de son instrument militaire intégré, l'OTAN. La «déclaration Schuman» est également proclamée en 1950. Elle marque symboliquement le début du processus d'intégration européenne, qui a abouti en 1957 au Traité de Rome, qui a constitué la base de la Communauté économique européenne (CEE). Dès 1954, il y a eu une première tentative de créer une Europe militaire: la Communauté européenne de défense (CED). Ce projet a été contrecarré à la dernière minute par le Parlement français, où les députés communistes et gaullistes ont uni leurs voix contre ce projet inspiré par les Etats-Unis.

Mais ses promoteurs ne se sont jamais avoués vaincus. La CEE (qui deviendra plus tard l'UE) et l'OTAN se sont développées comme des sœurs jumelles, la seconde réservant bien sûr le rôle de leader à Washington. L'ADN des deux institutions était le même, les «élargissements» successifs se sont déroulés en parallèle et les échanges de dirigeants étaient nombreux. Un des exemples les plus connus est celui de Javier Solana, qui a été successivement secrétaire général de l'OTAN (1995–1999, pendant les guerres de Yougoslavie et les bombardements par les forces de l'Alliance) puis Haut Représentant de l'UE (1999–2009) pour la politique étrangère et de défense.

On peut aussi rappeler que les traités européens successifs désignent explicitement l'OTAN comme partenaire privilégié. Et qu'une clause du Traité de Lisbonne, qui régit l'UE actuelle, prévoit un engagement militaire automatique des Etats membres en cas d'attaque contre l'un d'entre eux, une clause plus contraignante que son équivalente pour l'Alliance atlantique.

Bref, l'UE n'a jamais été une «union pacifique et bienveillante», comme ses propagandistes l'ont souvent vantée et dont certains citoyens de bonne foi regrettent la perte. L'actuelle agitation guerrière de Bruxelles n'est en aucun cas un renoncement à un projet généreux, mais la fidèle continuation de l'Europe politique depuis sa fondation.

Et on peut être reconnaissant envers Donald Trump d'avoir involontairement provoqué des aveux intéressants à cet égard. Lors de l'une de ses déclarations provocatrices, qu'il maîtrise si bien, le président américain, pour justifier sa politique de droits de douane frappant les marchandises européennes, avait soutenu que l'UE avait été fondée pour «arnaquer» les Etats-Unis.

Indignés par ce scandale, les dirigeants pro-UE et les grands médias ont crié au scandale et rappelé – à juste titre – que l'intégration européenne était née à l'initiative et sous l’égide de Washington. Ainsi, l'éditorialiste du «Monde» (11 mars 2025) écrivait que «les Américains ont dès le début encouragé la construction (de l'Europe) pour s'assurer des débouchés et endiguer le communisme».

Ce rappel est le bienvenu, car il s'oppose à une propagande qui a souvent présenté l'UE comme le moyen de faire contrepoids aux Etats-Unis et de s'affranchir de leur tutelle. En France notamment, c'est l'un des thèmes utilisés par les partisans lors des référendums sur le Traité de Maastricht (adopté de justesse en 1992) puis sur le Traité constitutionnel (largement rejeté en 2005).

Il aura donc fallu une guerre pour que quelques dirigeants européens indignés affichent leur nostalgie atlantiste, en évoquant les liens originels entre la fidélité à l'Oncle Sam et l'Union européenne; et que celle-ci, en quête désespérée de puissance militaire, affirme ouvertement sa vraie nature …

* Pierre Lévy, né en 1958 à Paris, est un journaliste français. Il a été rédacteur au quotidien L’Humanité de 1996 à 2001 et ancien syndicaliste de la CGT-Métallurgie. Il est devenu rédacteur en chef du mensuel Bastille-République-Nations, qui s’intitule désormais Ruptures.

Source: https://freeassange.rtde.live/europa/239474-maer-von-friedlichen-und-wohlwollenden/, 15 mars 2025

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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