Sauver Israël et la Palestine grâce aux Nations Unies

Jeffrey D. Sachs (Photo Gabriella
C. Marino, 2019)

par Jeffrey D. Sachs*, Etats-Unis

(18 octobre 2023) A la suite de l’attaque odieuse du Hamas contre des civils israéliens innocents, de hauts stratèges militaires israéliens menacent de procéder à un nettoyage ethnique de Gaza. Il s’agirait d’une nouvelle Nakba (catastrophe en arabe), semblable à l’expulsion massive des Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres en 1948. Si Israël commet des crimes de guerre massifs à Gaza malgré les appels à la retenue lancés par la communauté internationale, il mettra en péril sa sécurité nationale.

Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, s’est exprimé de manière claire, convaincante et éloquente sur la nécessité d’un cessez-le-feu, de la libération des otages, de la protection des civils de Gaza, du soutien à la sécurité d’Israël et de l’évolution décisive vers un Etat palestinien conformément aux accords précédents de l’ONU. En cela, il parle au nom de la grande majorité de l’humanité et de la vaste majorité des Etats membres de l’ONU, qui recherchent la paix et la justice tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens.

Les cinq membres permanents (P5) du Conseil de sécurité des Nations Unies – les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie et la Chine – ont un intérêt commun à ce que le cessez-le-feu soit suivi d’un accord global incluant la création d’un Etat palestinien. Tous les pays du P5 souhaitent entretenir de bonnes relations avec Israël et le monde arabe. Tous ont un intérêt national fort à la paix, y compris à la sécurité d’Israël et à la création d’un Etat palestinien.

Cela vaut également pour les Etats-Unis. Si les Etats-Unis soutiennent le nettoyage ethnique à Gaza, l’influence américaine dans le monde musulman, déjà en déclin ces dernières années, s’effondrera irrévocablement.

Le secrétaire général Guterres a tracé le cadre de la paix:

«Nous nous sommes approchés d’un moment d’escalade calamiteuse et nous nous trouvons à un carrefour critique. Il est impératif que toutes les parties – et ceux qui les influencent – fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter de nouvelles violences ou un débordement du conflit en Cisjordanie et dans l’ensemble de la région. […]

Tous les otages de Gaza doivent être libérés. Les civils ne doivent pas être utilisés comme boucliers humains. Le Droit humanitaire international – y compris les Conventions de Genève – doit être respecté et appliqué. Les civils des deux côtés doivent être protégés à tout moment. Les hôpitaux, les écoles, les cliniques et les locaux des Nations Unies ne doivent jamais être pris pour cible. […]

Mais toute solution à cette tragique épreuve de mort et de destruction qui dure depuis des décennies exige la pleine reconnaissance de la situation des Israéliens et des Palestiniens, de leurs réalités et de leurs points de vue. […]

Israël doit voir ses besoins légitimes de sécurité se concrétiser, et les Palestiniens doivent voir se réaliser une perspective claire pour la création de leur propre Etat, conformément aux résolutions des Nations Unies, au droit international et aux accords antérieurs. Si la communauté internationale croit vraiment en ces deux objectifs, nous devons trouver un moyen de travailler ensemble pour trouver des solutions véritables et durables – des solutions fondées sur notre humanité commune et qui reconnaissent la nécessité pour les gens de vivre ensemble, en dépit de l’histoire et des circonstances qui les séparent.»

Il ne devrait pas y avoir de clivage géopolitique entre les grandes puissances à propos de cette crise. La Russie a des liens très forts avec Israël, notamment en raison des centaines de milliers de Juifs russes qui vivent en Israël. Le Royaume-Uni, l’Union européenne et les Etats-Unis entretiennent également des liens économiques, technologiques, culturels et historiques étroits avec Israël. La Chine, quant à elle, entretient depuis longtemps des relations solides avec Israël, même si les liens culturels et historiques sont moins nombreux.

Pourtant, aucune de ces grandes puissances ne souhaite s’aliéner les mondes arabe et musulman. Toutes les grandes puissances ont une population musulmane importante: 1 à 2% aux Etats-Unis et en Chine, environ 7% au Royaume-Uni et dans l’Union européenne, et approximativement 10% en Russie. En outre, toutes ont des liens économiques, sécuritaires et culturels importants avec les mondes arabe et musulman.

Le P5 devrait collaborer d’urgence à l’élaboration d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies traçant la voie vers la paix et la création d’un Etat palestinien (voire d’un Etat fondé sur l’égalité et la démocratie, si les Israéliens et les Palestiniens préfèrent cela à une division du territoire). La Russie serait sur le point de présenter une résolution de paix. Les Etats-Unis devraient résister à la réaction réflexe de s’opposer à une initiative russe et travailler avec la Russie et les autres membres du P5 à la cause commune de la paix.

Les Israéliens et les Palestiniens, hélas, sont profondément divisés en trois camps, que l’on pourrait appeler les pacifistes, les sceptiques et les fondamentalistes. Les partisans de la paix croient que la paix est possible par la négociation. Les sceptiques se méfient tellement de l’autre partie qu’ils ne croient pas à la paix. Les fondamentalistes, une minorité décidée dans les deux camps, pensent que Dieu leur a accordé la terre – que ce soit aux Juifs ou aux Musulmans – et que l’autre partie n’a donc aucun droit.

Les partisans de la paix sont prêts à faire la paix. Les sceptiques peuvent être convaincus avec suffisamment de respect, de diplomatie et de réalisme dans les négociations, et avec le soutien du Conseil de sécurité des Nations Unies pour une paix négociée (y compris les soldats de la paix, le financement et d’autres instruments de mise en œuvre). Les fondamentalistes des deux camps seront déçus. Il convient toutefois de leur rappeler que les droits de l’homme et la dignité pour tous sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et soutenus par la Charte des Nations Unies.

De temps à autre, des dirigeants courageux se sont levés pour convaincre les sceptiques d’essayer de faire la paix et pour dire aux fondamentalistes que les deux parties méritent le respect et la justice. L’Egyptien Anouar el-Sadate a été une figure remarquable. Il en a été de même pour l’Israélien Yitzhak Rabin. Tous deux ont été assassinés par des fondamentalistes de leur propre nation, martyrisés comme d’autres grands artisans de la paix de notre époque, notamment le Mahatma Gandhi, John et Robert Kennedy, et Martin Luther King Jr.

Comme l’a enseigné Jésus, lui-même martyrisé, «Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés enfants de Dieu».

Le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu, avant l’actuel gouvernement «d’union», était le plus à droite de son histoire. Plusieurs membres de l’extrême droite font partie du cabinet actuel. Les médias israéliens diffusent des appels1 à faire de Gaza un endroit où «aucun être humain ne peut vivre». Les idéologies de la haine n’ont pas leur place dans les affaires des nations, et encore moins aux Nations Unies.

Les nations du monde, agissant dans le cadre de la Charte des Nations Unies et défendant la Déclaration universelle des droits de l’homme, doivent agir de toute urgence pour aider à sauver à la fois Israël et la Palestine. Si Israël tente une nouvelle Nakba, il subira la mort atroce de ses propres jeunes hommes et femmes dans les combats, tuera des milliers et déplacera des centaines de milliers de Palestiniens innocents, et souillera le nom d’Israël pour les générations futures.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait éviter cette calamité en apportant un soutien urgent et opportun aux millions d’Israéliens et de Palestiniens qui aspirent à une paix durable dans la sécurité et la justice pour tous.

* Professeur à l’Université de Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de l’Université de Columbia et président du Réseau des solutions de développement durable des Nations Unies. Il a été conseiller auprès de trois secrétaires généraux de l’ONU et occupe actuellement la fonction de défenseur des ODD auprès du secrétaire général António Guterres.

Source: https://www.commondreams.org/opinion/israel-gaza-united-nations, 16 octobre 2023

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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