Sud-Liban – terre brûlée

par Karin Leukefeld,* 31 juillet 2024

(16 août 2024) Se rendre dans le sud du Liban nécessite quelques préparatifs. Le Liban et Israël sont en état de guerre depuis des décennies, il n'y a pas de frontière officielle. La ligne de séparation entre le territoire qu'Israël revendique – et que le Liban ne reconnaît pas – est marquée par des tonneaux bleus installés par l'ONU. Elles marquent la «Ligne bleue», une ligne de cessez-le-feu contrôlée par la FINUL, une force intérimaire des Nations Unies pour le Liban.1

Le reportage est basé sur les recherches de l'auteure au Sud-Liban, le 18 juillet 2024.

Karin Leukefeld
(Photo mad)

Depuis le 7 octobre 2023, des tirs ont lieu le long de la «Ligne bleue». Le Hezbollah libanais bombarde des cibles militaires et des installations de surveillance des forces armées israéliennes (Tsahal), qui bombardent avec des drones, des avions de combat, de l'artillerie jusqu'à une grande distance à l’intérieur du Liban. La guerre a commencé avec la guerre contre Gaza. Selon le Hezbollah, les attaques s'arrêteront dès qu'il y aura un cessez-le-feu à Gaza.

Entre le 7 octobre 2023 et le 21 juin 2024, au moins 7400 attaques ont eu lieu le long de la «Ligne bleue».2 C'est ce qui ressort d'une documentation du Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), qui a publié des cartes correspondantes. Selon ce rapport, 83% de ces attaques ont été perpétrées par Israël, soit 6142 au total, qui ont tué au moins 543 personnes au Liban. Le rapport indique que le Hezbollah et d'autres groupes armés sont responsables de 1258 attaques, au cours desquelles au moins 21 Israéliens ont été tués.

Services de secours nocturnes dans le sud du Liban après un
bombardement israélien. (Photo Hussein Malla/AP)

Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), au moins 340 000 animaux ont été tués du côté libanais, 47 000 oliviers et 790 hectares de terres agricoles ont été détruits, et ce «pendant la période de récolte». En conséquence, les agriculteurs libanais ont perdu plus de 70% de leur récolte (2023/24) et l'offre de nourriture pour la population a diminué, indique le rapport de la FAO. Les forces israéliennes tirent à grande échelle du phosphore blanc sur les forêts et les terres agricoles libanaises. Les récoltes, les sols et les nappes phréatiques sont contaminés, le poison menace aussi bien les hommes que le bétail. Israël détruit délibérément les bases de vie de la population, sont certains les interlocuteurs au Liban. Personne ne devrait plus jamais retourner dans la région fertile et riche en eau qu'Israël veut posséder depuis sa création en 1948. Des milliers de familles ont perdu leurs moyens de subsistance.

Meiss al Jabal. (Photo © Green Southerners)

Les antécédents historiques

Les populations de la région n'ont jamais été intéressées par les guerres ou les frontières qui limitaient leur liberté de mouvement. Ce sont la Grande-Bretagne et la France qui ont veillé au début du XXe siècle à ce que leurs terres leur soient retirées, à ce qu'ils ne puissent plus aujourd'hui se rendre facilement de Beyrouth à Haïfa pour une excursion d'une journée, à ce qu'ils ne puissent plus se rendre de Beyrouth au Caire ou de Bethléem à Damas ou à Bagdad.

Le long de l'actuelle «Ligne bleue» entre le Liban et l'actuel Israël, les deux puissances coloniales européennes ont tracé en 1916 – sur une carte – une ligne allant d'Akka (Acre) à Mossoul et d'autres lignes qui ont divisé le territoire. Ces lignes sont entrées dans l'histoire sous le nom de «Lignes dans le sable»3, bien que beaucoup de ces lignes n'étaient pas du tout du sable, mais des terres cultivées depuis des générations. Il s'agissait de contrôler l'ensemble de la zone située entre la Méditerranée orientale et le golfe Persique.

Mark Sykes, diplomate de la Grande-Bretagne, et George Picot, diplomate de la France, s'étaient mis d'accord en 1916 – encore pendant la Première Guerre mondiale – dans l'accord secret Sykes-Picot sur un partage des provinces arabes de l'Empire ottoman en déliquescence; non pas pour donner à ces provinces une indépendance étatique, comme on le leur promettait à tort, mais pour les contrôler et ainsi «garantir» leurs propres intérêts impériaux.

En 1917, la Grande-Bretagne concrétisa ses plans de politique étrangère dans la région avec la déclaration Balfour. Arthur James Balfour, alors ministre britannique des Affaires étrangères, transmit au mouvement national sioniste le «soutien de la Couronne» pour l'«établissement d'un foyer juif en Palestine». Pour mettre en œuvre ses plans, le mouvement national sioniste répandit – dans son propre intérêt et dans celui de la Grande-Bretagne – le mensonge selon lequel la Palestine serait une «terre sans peuple pour un peuple sans terre».

Pour garantir ces intérêts, l'Etat d'Israël a été créé en 1948 – contre la volonté de tous ceux qui pouvaient se faire entendre dans la région. L'expulsion des Palestiniens qui en a résulté, la Nakba, s'est répétée à chaque guerre, à chaque destruction de maison, à chaque nouvelle construction de colonies. Le rôle de l'ancienne puissance coloniale de la Grande-Bretagne entre la Méditerranée orientale et le golfe Persique est passé aux Etats-Unis à la fin de la Seconde Guerre mondiale (1939–1945).

Le rôle d'Israël, qui s’est proposé jusqu’à aujourd'hui comme gardien des intérêts impériaux dans l'une des régions géostratégiques les plus importantes du monde et qui est en conséquence approvisionné en argent et en armes, a été renforcé par les Etats-Unis. Pour la région, cela a signifié davantage de crises et de guerres. La poussée d'Israël vers le nord, vers les régions fertiles du Liban, et vers l'est, sur les hauteurs fertiles du Golan syrien, n'a pas cessé.

Si l'on veut comprendre les conflits et les guerres de la région avec Israël,4 il est utile de connaître les antécédents historiques décrits ici en quelques mots. Ils ont été transmis aux habitants de la région par leurs ancêtres et les ancêtres de leurs ancêtres. Que ce soit à Gaza, en Cisjordanie, sur les hauteurs du Golan ou au Liban, les habitants se battent aujourd'hui encore pour leurs terres et pour leur droit à organiser eux-mêmes leur vie et leur avenir.

Pour voir les conséquences de la guerre le long de la «Ligne bleue», il faut faire quelques préparatifs. En raison de l'état de guerre entre le Liban et Israël, le sud du Liban est une zone militaire dans laquelle les journalistes sont soumis à des règles particulières. Pour s'y rendre, filmer, photographier ou réaliser des interviews, il faut obtenir une autorisation des forces armées libanaises. Si celle-ci est accordée, on reçoit un courriel du service de presse de l'armée:

Blida, Liban Sud en juillet 2024. (Photo © Green

«Nous vous informons que vous avez obtenu l'autorisation de vous rendre dans le sud (du Liban). Votre nom figure sur la liste ‹B›, le numéro de série est ‹59›. L'autorisation est valable jusqu'au 31 juillet 2024. Vous devez vous présenter auprès des services de renseignements de la région du Sud avant de commencer votre travail (original: avant de commencer à filmer). Si vous avez d'autres questions, veuillez appeler le numéro […].»

«Où voulez-vous aller, qui voulez-vous rencontrer?», demande le fonctionnaire de la région Sud à Saïda. «Je veux m’entretenir avec la population», répond l'auteure. «Il s'agit des conséquences des attaques israéliennes au phosphore blanc sur les zones rurales et des conséquences pour la population. Les employés de la protection civile peuvent certainement donner des informations à ce sujet.» Est-il possible de se rendre à Naqura? Car de nombreux rapports sur de telles attaques parviennent de cette région. L'officier réfléchit un instant, puis explique que Naqura n'est pas sûre. Le matin même, Israël a de nouveau bombardé les environs. «Prenez la direction de Marjayoun. A Ibil al Saqi, vous trouverez l'hôtel Dana, où résident de nombreux journalistes. Vous y trouverez des interlocuteurs.»

Labonah – Naqura Sud-Liban. (Photo © Green

Rétrospective

La dernière fois que l'auteure s'est rendue sur la «Ligne bleue», c'était à la mi-octobre 2023.5 A l'époque, le trajet allait de Kfar Kila à la ville côtière de Naqura en passant par Odayssa, le long du mur et des installations de surveillance érigés par Israël. Près d'Aalma ech Chaab, à dix kilomètres à peine de Naqura, un groupe de journalistes – clairement identifiés comme «presse» – avait pris position sur une colline. On a échangé des informations, puis on est reparti. Le lendemain (13 octobre 2023), au moins un char israélien a tiré de manière ciblée sur des journalistes6 qui observaient la situation depuis la même colline. Issam Abdallah, de l'agence de presse Reuters, a été tué. Christina Assi, une photographe libanaise travaillant pour l'agence de presse AFP, a été grièvement blessée. Une jambe a dû être partiellement amputée. D'autres journalistes du groupe ont également été blessés. En novembre, deux journalistes de la chaîne d'information Al Mayadeen, Farah Omar et Rabih al Mamaarih, ont également été tués de manière ciblée par l'armée israélienne près de Tayr Harfa.

Labonah – Naqura Sud-Liban. (Photo © Green)

La «Ligne bleue» est en feu

Actuellement, il est impossible de rouler le long de la «Ligne bleue». La route est une zone militaire interdite et une zone de combat. Odayssa, Meiss al Jebl, Blida, Bint Jbeil, Aalma ech Chaab et Naqura sont en feu. Des milliers de familles ont dû fuir. Il y a une base de la protection civile à Marjayoun, alors le voyage se fait cette fois par Nabatieh en direction du sud-est. Après Nabatieh, la route devient étroite et finit par serpenter dans la vallée du Litani, qui s'ouvre vers l'est. De petites forêts de pins s'étirent le long des collines, le cours étroit de la rivière Litani est caché sous d'épais buissons. Vers l'ouest, en direction de la mer, s'élève progressivement une paroi rocheuse abrupte, sur la hauteur de laquelle se trouve le château croisé de Beaufort. On dirait qu'il a été construit dans la roche. En dernier lieu, les troupes israéliennes, qui occupaient une grande partie du Liban (1982–2000), s'y étaient retranchées.

Seuls quelques véhicules circulent, la région est en grande partie inhabitée. Les défenseurs de la nature tels que les «Green Southerners», ce qui signifie «les gens verts du Sud», souhaitent préserver la vallée du Litani et les forêts environnantes en tant que «patrimoine culturel» pour le Liban et s'engagent contre la construction de bâtiments. Actuellement, la guerre et la crise économique (depuis 2019) font toutefois en sorte que les mesures de construction ne sont pas envisageables. Les défenseurs de la nature libanais documentent depuis des mois la dévastation des forêts, des terres agricoles, des vergers et des oliveraies par les bombes incendiaires des forces armées israéliennes et par les tirs de phosphore blanc.

En aval de la forteresse de Beaufort, la route traverse le fleuve Litani par le pont de Khardali. L'armée libanaise y tient un poste de contrôle et vérifie les véhicules qui entrent et sortent. Notre voiture est marquée d'un panneau «presse» et on nous fait signe de nous arrêter. L'officier responsable vérifie les documents et trouve le nom des journalistes étrangers sur la liste B. Le poste de contrôle est informé de leur arrivée et la voiture peut passer. Il n'est pas conseillé de s'arrêter en route.

La route serpente à nouveau entre des parois rocheuses en direction de Marjayoun. A différents endroits, les terres sont brûlées jusqu'au fond du ravin. On passe près d’une source, où deux hommes ont été tués il y a quelques semaines seulement. Ils s'étaient arrêtés pour s'approvisionner en eau lorsqu'un drone israélien les a pris pour cible et les a tués. C'est pourquoi il est demandé à tous les véhicules qui traversent le pont de Khardali de ne pas s'arrêter jusqu'à Bourj al-Mouluk (tour de Moulouk), une localité située en hauteur.

Les habitants de la région racontent que les combattants du Hezbollah, qui avaient autrefois combattu pendant des années les forces d'occupation israéliennes dans la vallée du Litani et les collines environnantes, s'arrêtaient toujours à la source pour s'abreuver. L'eau leur aurait donné la force de finalement chasser les ennemis israéliens, disent les gens. C'est pourquoi l'eau est tant appréciée par les passants.

Colline de Marjayoun. (Photo © Green Southerners)

Peu avant Marjayoun, des véhicules de presse sont stationnés sur une colline. Dans un champ, deux trépieds pour caméras sont installés, à l'ombre d'un arbre, quelques hommes se sont installés sur des chaises de camping. «Ici, vous voyez des journalistes d'Al Alam et d'Al Jazeera assis paisiblement les uns à côté des autres», dit l'un des hommes, qui travaille pour la chaîne iranienne Al Alam. «Et voici notre bon ami et collègue qui travaille pour tous les grands médias internationaux», salue-t-il ensuite un homme plus âgé qui porte un chapeau de safari. Il a relevé le bord des deux côtés. On s'enquiert d'où l'on vient et où l'on va, un collègue décrit le chemin vers la base des forces de protection civile. La colline offre une vue étendue d’est à l’ouest. Dans la vallée en contrebas se trouve la colonie israélienne de Matulla, entourée par le mur israélien qui s'étend le long de la «Ligne bleue» vers l'ouest jusqu'à Naqura. Les localités du côté libanais sont interdites aux journalistes, c'est une zone de combat.

A l'est, la localité de Khiam est située sur une colline. Les forces d'occupation israéliennes y avaient construit une prison pour les prisonniers politiques. L'endroit est devenu un musée, mais est aujourd'hui à nouveau bombardé par Israël. Derrière la colline coule la rivière Hasbani, qui irrigue les champs, les vergers et les oliveraies dont les colons israéliens se disent aujourd'hui propriétaires. Les familles du Sud-Liban, du Golan syrien et de Palestine n'ont jamais accepté le partage étranger de leurs terres: ni par la Grande-Bretagne et la France (1916, 1917), ni par les autres plans de partage (1937, Commission Peel britannique) ou par l'ONU (1947), ni par la prise de terres par la force en 1948 par les milices sionistes.

Marjayoun est un endroit calme. Pendant l'occupation israélienne, l'Armée du Sud-Liban (ALS), qui collaborait avec Israël, y était stationnée. Lors de la libération en 2000, ces amis d'Israël sont partis du jour au lendemain avec les troupes israéliennes au-delà de la «Ligne bleue» vers Israël, où ils se sont vu attribuer de nouvelles tâches ou ont émigré vers d'autres parties du monde.

Trois volontaires pour la protection civile de Marjayoun. De gauche à
droite: Elias, George, David. (Photo K. Leukefeld)

Espérons que la guerre se terminera bientôt

Le quartier des forces de la protection civile se trouve à l'écart de la route principale. On le reconnaît à la grande voiture de pompiers qui stationne dans la cour. Trois jeunes et deux hommes plus âgés sont assis à une table basse, sous un auvent protecteur, et boivent du café. Ils se lèvent rapidement lorsque les étrangers s'approchent. «C'est une journaliste allemande qui veut parler de la destruction des terres agricoles avec la protection civile», explique H., qui accompagne l'auteure au Liban. L'un des hommes lui indique une pièce voisine où le chef de la station a son bureau, c'est à lui que nous devons parler. «Avez-vous une autorisation de notre quartier général?», est la première question posée par le chef de la station. Selon lui, l'autorisation de l'armée et des services de renseignements ne suffit pas. H. demande à l'homme de téléphoner à l'état-major pour obtenir une autorisation. Mais il n'y a malheureusement rien à faire, dit l'homme après un moment de conversation téléphonique. Les journalistes doivent demander une autorisation à Beyrouth au moins une semaine à l'avance.

Les trois jeunes sont toutefois prêts à répondre à quelques questions de la journaliste. George (20 ans) et Elias (18 ans) sont étudiants, David (17 ans) ne passera son bac que l'année prochaine. Les trois ne sont pas de Marjayoun, mais de Kleya, une localité voisine, racontent-ils. Ils passent leurs vacances comme pompiers volontaires avec la protection civile, la situation l'exige. Oui, il y a aussi des filles dans leur groupe de volontaires, mais elles sont logées dans une autre maison. «Mais sur le terrain, nous travaillons tous ensemble.» De nombreux garçons et filles des environs s'inscrivent très tôt à la protection civile – en plus de leur scolarité –, rapportent les trois jeunes gens. Il y a des exercices réguliers et aussi des séminaires de formation plus longs. «Nous avons notre uniforme, des bottes, un casque – tout ce dont nous avons besoin pour une intervention», raconte David, le plus jeune des trois. La veille encore, ils ont été appelés à intervenir sur la rivière Litani. «Un grand feu», dit George, ils ont pu l'éteindre.

Pour tous les trois, c'est la première guerre qu'ils vivent. Mais leurs parents leur ont déjà parlé des guerres précédentes. Tous trois espèrent que la guerre sera bientôt terminée. «Nous ne comprenons pas les raisons politiques», dit George. Mais peut-être ne veut-il tout simplement pas en parler. «Tout ce que nous savons, c'est que nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons, que nous ne pouvons pas aller où nous voulons, que beaucoup de nos amis ne sont plus ici, mais dans d'autres parties du pays, où c'est plus sûr», énumèrent-ils les restrictions. Ils doivent rester chez eux lorsqu'ils ne sont pas en mission, et personne ne sait ce que l'avenir leur réserve. Elias raconte qu'il n'est revenu au Liban avec ses parents qu'il y a six ans. Il avait douze ans à l'époque, et la famille vivait auparavant en Suède. Pour les jeunes en Europe, la vie est bien sûr beaucoup plus agréable, «il y a tout», estime Elias. Au Liban, la vie est très difficile et peut-être qu'un jour, il partira à l'étranger pour travailler. Elias étudie la gestion d'entreprise, George étudie la mécanique (physique), et lui aussi peut s'imaginer partir un jour à l'étranger. David dit qu'il ne sait pas encore quelles études il va entreprendre. Il lui reste encore une année d'école et du temps pour réfléchir. Mais il sait déjà une chose, ajoute-t-il ensuite avec malice: «Je veux en tout cas rester ici, au Liban.»

Franchir le mur du son à Ebel as Saqi

Pour retrouver la rue principale, H. doit trouver un chemin à travers le labyrinthe de ruelles étroites qui descendent la pente en passant devant des maisons basses et simples. Les bâtiments sont entourés de fleurs et d'arbres, des jardins sont aménagés entre les maisons. Tout est comme abandonné, on ne rencontre personne.

Sur la route principale, deux véhicules de l'ONU roulent devant nous à la vitesse prescrite, à un moment donné ils tournent en direction des collines. «Ici, il y a une base espagnole de la FINUL», explique H., qui connaît le Sud-Liban comme sa poche. 49 pays de l'ONU7 ont envoyé 10 031 soldats pour la mission FINUL. Le plus gros contingent est actuellement fourni par l'Italie, qui dirige la mission avec plus de 1000 hommes. L'Espagne a 677 troupes au Liban, leur base se trouve au nord de Marjayoun.8

Nous tournons en direction d'Ebel al-Saqi. Ce petit village est situé à l'écart et est habité par des Druzes et des chrétiens. Le fait de trouver un hôtel au milieu de la zone de guerre du Sud-Liban est surprenant. Mais ce qui est encore plus surprenant, c'est la grande piscine qui se trouve juste derrière l'hôtel. Une musique douce se fait entendre, une famille avec des enfants profite de l'ensemble de l'installation pour elle seule. «Normalement, en été, il y a tellement de monde ici que vous ne trouvez plus de place», explique le manager en chef Riad Zeineddine. «Maintenant, nous sommes en guerre et les clients ne viennent pas.» Lorsque l'auteure se présente comme journaliste, M. Zeineddine commence à donner les prix: «Chambre simple 65 dollars, taxe et petit déjeuner compris. Chambre double 80 dollars, taxe et petit-déjeuner inclus. Si vous êtes végétarienne, nous vous préparerons quelque chose. La cuisine libanaise est très variée, comme vous le savez. Rien que les entrées.» L'hôtel compte 36 chambres, dont dix sont réservées à la FINUL. De nombreux médias y ont loués des chambres, explique le gérant, qui n'est pas peu fier d'énumérer: «Jazeera, Sky News, Al Arabiya, Al Mayadeen, BBC, CNN, Jadeed», pour n'en citer que quelques-uns.

L'hôtel DANA a été construit vers 1990, rapporte-t-il en réponse à une autre question. A l'époque, une base de la FINUL norvégienne se trouvait dans la région. Ils ont encouragé la construction de l'hôtel pour que des membres des familles puissent leur rendre visite. A l'époque, l'hôtel ne comprenait que le hall et la piscine. Il y avait une cuisine qui approvisionnait également la base de la FINUL. Il n'y avait que quelques pièces pour le personnel de cuisine. «L'hôtel DANA proprement dit, tel que vous le voyez maintenant, a ouvert ses portes en 2020», poursuit le manager. «Le contrat expire à la fin de l'année 2024. Nous ne savons pas ce qui va se passer ensuite.»

Le Riad Zeineddin est originaire de Hasbaya, située à peine dix kilomètres plus au nord-est. Hasbaya est un centre de la communauté druze libanaise. La caza Hasbaya, la maison Hasbaya, se trouve au pied du mont Hermon, que les Arabes appellent Jbeil Sheikh, la montagne du Sheikh. C'est là que se trouve Khalawat Al Bayyada, une importante institution théologique des Druzes libanais.

Forêt de Markaba au sud du Liban. (Photo © Green Southerners)

Alors que nous discutons, une forte détonation interrompt soudain la conversation. Les fenêtres s'entrechoquent et vacillent dans leurs cadres, une onde de choc fait trembler tout le bâtiment. «Ce n'est rien», sourit gentiment Monsieur Zeineddin. «Ce n'est rien, vous n'avez rien à craindre. Les Israéliens ont franchi le mur du son avec leurs avions de chasse. Ils font toujours ça pour nous faire peur.»

Monsieur Zeineddin s'excuse car son téléphone portable sonne. Le portable de H., mon accompagnateur, sonne également. C'est sa fille, signale H. avant de répondre à l'appel. «Elle était inquiète parce que le mur du son avait été franchi chez eux», explique H. plus tard. Sa famille vit au sud de Saida, à environ 80 kilomètres d'Ebel as Saqi.

Nous prenons congé, M. Zeineddin nous donne à chacun une bouteille de jus de fruits glacé. «Revenez nous voir», nous dit-il gentiment. «D'ici à Hasbaya, tout est calme, vous n'avez pas à vous inquiéter.»

A quelques kilomètres de là, le long de la ligne de cessez-le-feu, c'est la terre brûlée. L'auteure ne peut pas s'y rendre, c'est une zone militaire interdite. Des photos des «gens verts du Sud», les Green Southerners, documentent la dévastation.

Blida-Muhibibi Sud-Liban. (Photo © Green Southerners)

Quand pourrons-nous retourner dans nos villages?

Nous repartons vers la côte, à Tyre, où 27 000 personnes des villages du sud sont hébergées dans des écoles. Les déplacés internes sont pris en charge par l'administration locale avec l'aide du Syndicat des travailleurs urbains de Tyre. Le soutien vient de l'Organisation des Nations Unies pour le développement (PNUD) et des organisations non gouvernementales locales et internationales ont pris en charge diverses tâches.

Le chef de l'administration, Mortada Mhanna, place M. Ali aux côtés de l'auteure. Il est originaire de Naqura, où il a travaillé dans la police locale. Désormais, il est en quelque sorte le «bras droit» de M. Mhanna pour contrôler l'approvisionnement des familles à l'Ecole technique de Tyr. «Ce sont les vacances, les familles sont logées au rez-de-chaussée», explique M. Ali. Si elles sont toujours là lorsque l'école reprendra ses activités à l'automne, les cours seront transférés aux deux étages supérieurs. Monsieur Ali a vu l’utilisation de phosphore blanc lorsque son village et les forêts environnantes ont été attaqués. «Ça n'arrête pas de brûler», dit-il. «Quand les gens entrent en contact avec ce produit, leur peau brûle et ils peuvent brûler de l'intérieur.»

Il salue ensuite M. Ahmed, employé depuis de nombreuses années à l'Ecole technique, qui aide également les personnes déplacées à l'intérieur du pays. Les familles qui sont hébergées à l'école technique sont des gens simples, explique M. Ahmed. Ce sont des paysans, ils n'ont pas tous eu une bonne formation scolaire. Pour eux, le quotidien dans le logement est très difficile. Comme c'est les vacances, les enfants n'ont pas d'école et s'ennuient. «Les gens n'ont pas de travail, ils n'ont pas d'argent. Une fois par jour, ils reçoivent un repas chaud d'une organisation humanitaire, qui ne correspond pas à leurs habitudes alimentaires d'origine.» Beaucoup refusent ce repas, qui se compose généralement de riz et d'une sauce aux légumes, parfois avec de la viande. Les conditions d'hygiène d'une école ne sont pas non plus adaptées à autant de personnes, poursuit M. Ahmed. Il n'y a pas toujours assez d'eau.

Tyre. Une jeune paysanne de Blida. Elle ne souhaite pas être reconnue
sur la photo. (Photo K. Leukefeld)

Puis son visage s'éclaire et il parle d'un projet qui lui fait très plaisir. Il s'adresse aux femmes et est financé «de l'extérieur». «De l'extérieur» signifie que l'argent provient de l'organisation des Nations Unies pour les femmes (ONU Femmes), qui finance ce projet en coopération avec des organisations non gouvernementales locales. «Des terres ont été défrichées autour de l'école pour que les femmes puissent y faire des plantations», explique M. Ahmed. Elles travaillent trois à quatre heures le matin et l'après-midi et reçoivent 16 dollars par jour pour leur travail. Pendant ce temps, une organisation locale propose une garde d'enfants. «Vous avez de la chance, l'équipe de l'après-midi commence à 17 heures, vous pourrez alors parler avec les femmes.»

Tyre. Manal Issa (42 ans) de Blida n'a pas peur d'être prise en photo.
(Photo K. Leukefeld)

Peu à peu, les femmes sortent du bâtiment et se rassemblent autour de M. Ahmed pour signer une liste de participation. Toutes portent des pantalons longs et des blouses longues. Pour se protéger du soleil, elles ont entouré leur tête de foulards et portent par-dessus des casquettes ou des chapeaux de soleil. Ils protègent leurs mains avec des gants pendant le travail. Les chapeaux, les gants ainsi que les outils, les engrais et les semences nécessaires sont fournis par le PNUD. A l'exception d'une femme, toutes refusent d'être photographiées par l'auteure. Ce n'est pas convenable, dit une jeune femme. «Que dire, si mon frère trouve une photo de moi sur Facebook!»

Manal Issa n'est pas aussi timide et accepte d'être photographiée. Cette femme de 42 ans est originaire de Blida, où elle vivait avec son mari et ses deux enfants. Elle raconte que sa fille de 14 ans est handicapée et qu'elle ne peut donc pas l'accompagner au travail. Elle et son mari travaillaient avec le frère de ce dernier dans la culture de légumes et de tabac. Après que leur maison a été fortement endommagée lors d'une attaque israélienne, la famille a déménagé chez le frère. Mais la situation s'est aggravée et en novembre, un mois après le début de la guerre, ils ont été évacués du village. Douze familles de leur village et des villages voisins autour de Blida sont désormais logées ici.

Tyre. Des femmes travaillent dans les champs. Projet du PNUD pour
les personnes déplacées à l'intérieur du pays. (Photo K. Leukefeld)

A Tyre, à l'école, la vie est difficile, dit Manal Issa à voix basse. «Il nous manque notre maison, le travail, un quotidien bien réglé pour les enfants.» Son mari est handicapé, mais il a quand-même pu travailler dans l'agriculture. Ici, ce n'est pas possible, il n'a rien à faire. «Nous attendons de pouvoir rentrer à la maison.»

Les autres femmes appellent Manal pour lui dire que le travail commence. En riant, elles se tiennent les unes à côté des autres et observent la conversation. Certaines se mettent bras dessus bras dessous et se dirigent vers le champ. «Vous êtes venus nous dire que nous pouvons rentrer chez nous, dans nos villages?», demande une femme âgée qui a discuté avec M. Ahmed. «Nous voulons toutes rentrer chez nous, le plus vite possible», lance-t-elle aux autres femmes. «Il n'y a pas d'endroit plus beau que notre village», déclare l'une d'elles. Et Manal en riant: «Mon village est le plus beau, c'est le numéro 1.»

* Karin Leukefeld a fait des études d'ethnologie ainsi que des sciences islamiques et politiques et a accompli une formation de libraire. Elle a travaillé dans le domaine de l'organisation et des relations publiques, notamment pour l'Association fédérale des initiatives citoyennes pour l'environnement (BBU), pour les Verts allemands (parti fédéral) et pour le Centre d'information sur le Salvador. Elle a également été collaboratrice personnelle d'un député du PDS au Bundestag (politique étrangère et aide humanitaire). Depuis 2000, elle travaille comme correspondante indépendante au Moyen-Orient pour différents médias allemands et suisses. Elle est également auteur de plusieurs livres sur son vécu dans les zones de guerre du Proche et du Moyen-Orient.

Source: https://globalbridge.ch/suedlibanon-ein-verbranntes-land/, 4 août 2024

(Traduction «Point de vue Suisse»)

Disponible en podcast en allemand: https://www.nachdenkseiten.de/upload/podcast/240730-Suedlibanon-Verbranntes-Land-NDS.mp3

1 https://unifil.unmissions.org/unifil-mandate

2 https://www.aljazeera.com/news/2024/6/27/mapping-7400-cross-border-attacks-between-israel-and-lebanon

3 https://balfourproject.org/a-line-in-the-sand/

4 https://academic.oup.com/tcbh/article-abstract/30/2/289/5106399

5 https://globalbridge.ch/in-zeiten-des-krieges-unterwegs-im-suedlichen-libanon/

6 https://cpj.org/2024/07/journalist-casualties-in-the-israel-gaza-conflict/

7 https://unifil.unmissions.org/unifil-troop-contributing-countries

8 https://unifil.unmissions.org/sites/default/files/unifilmap122022.pdf

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