Un pays blessé

La Serbie souffre toujours des conséquences des bombardements de l’OTAN et ne se laisse pas embrigader dans une haine belliqueuse contre la Russie

par Rudolf Hänsel*

(26 juillet 2024) «Là où je me sens bien, là est ma patrie», dit la sagesse populaire. Pour l’auteur, la Serbie est ce lieu, sa patrie d’adoption depuis des années. Or,
la Serbie est depuis longtemps considérée comme un «Etat voyou» par la presse occidentale. A l’époque de Slobodan Milošević, l’Etat balkanique était considéré comme le pays ennemi par excellence – désormais, le président Aleksandar Vučić ne se démarque pas non plus de Vladimir Poutine avec suffisamment de fermeté, ne se laisse pas aller à une rhétorique agressive de l’ennemi, mais exhorte plutôt à la paix.

Rudolf Hänsel.
(Photo Billion Photos/
Shutterstock.com)

Il est d’autant plus facile de considérer la Serbie comme un pays ennemi que l’on ne connaît pas vraiment le pays et ses habitants. Les habitants sont en effet extraordinairement chaleureux et serviables, comme peuvent en témoigner les voyageurs. Un seul traumatisme pèse encore sur leur âme: le bombardement de l’OTAN en 1999, qui a fait quelque 3500 victimes et laissé derrière lui des munitions à l’uranium nocives et cancérigènes, dont les habitants souffrent encore aujourd’hui.

Introduction

Il y a environ deux ans, après une visite d’une semaine dans mon ancien pays d’origine, j’ai répondu spontanément à la question «Comment était-ce?»:

«Là où je me sens bien, là est ma patrie.»

Cathédrale de Saint-Sava, Belgrade. (Photo AstroStar/Shutterstock.com)

Ce qui suit n’est pas une analyse de la politique de la Serbie, mais une description subjective des impressions que j’ai eues en tant qu’Allemand marié à une ex-diplomate serbe, après plus de quatre ans de séjour dans le pays. Ces impressions concernent également la capitale, Belgrade, ainsi qu’une petite ville située dans les montagnes de Sumadija.

Je ne décrirai que ce que j’ai vécu dans les années précédant mon séjour et pendant celui-ci. Les événements politiques dans lesquels j’ai été directement impliqué seront également mentionnés. Pour le reste, il ne m’appartient pas de m’immiscer dans la situation politique du pays d’accueil.

Comme les expériences décrites sont principalement positives, il serait souhaitable qu’elles soient publiées, car la Serbie et ses citoyens sont mal vus depuis des décennies. A cela s’ajoute la pression politique d’Etats puissants. De graves préjugés sont ainsi maintenus en éveil et attisés de manière ciblée jusqu’à aujourd’hui. Les habitants de la Serbie ne méritent pas cela.

En ce sens, ce qui suit doit être compris comme une explication d'un contemporain intellectuel vivant en Serbie, qui doit nous permettre de distinguer ce qui est vérité de ce qui est mensonge.

Hospitalité

L’hospitalité des habitants de ce pays est un trait saillant. On est accueilli partout avec gentillesse et on est bienvenu («dobro dosli») – même si l’on ne parle pas la langue serbe. Lorsque les gens réalisent que vous êtes allemand, ils essaient rapidement de vous dire quelques mots en allemand.

Un exemple émouvant pour moi a été l’aide évidente que j’ai reçue de deux professeurs de médecine lorsque je souffrais des effets secondaires de nouveaux comprimés. Les deux professeurs ont fait tout ce qui était en leur «pouvoir» humain et médical pour m’aider.

Si je mentionne cette caractéristique positive qu’est «l’hospitalité», c’est parce que le comportement dont ils ont fait preuve ne va pas de soi après tout ce que les gouvernements et les soldats allemands ont fait subir au pays pendant la Seconde Guerre mondiale et en 1999, lors de l’agression de l’OTAN.

Une aide mutuelle et intergénérationnelle

L’entraide entre les citoyens de Serbie est une autre caractéristique positive.

Je suis toujours étonné de voir à quel point les membres de la famille et les proches ne sont pas les seuls à être aidés à chaque fois que l’occasion se présente. Il peut s’agir d’un soutien financier ou d’une aide ordinaire comme l’allégement des travaux physiques. Personne n’est laissé «en plan» (seul).

Si une voiture est immobilisée sur la route pour quelque raison que ce soit, les passants apportent toute l’aide possible. Je ne connais pas ce comportement dans mon pays.

En outre, il y a eu une période où j’ai dû utiliser deux bâtons de marche en raison d’une démarche peu assurée. Je n’oublierai jamais cette période.

Où que j’aille, que ce soit dans une agence bancaire, une boulangerie ou un autre magasin, on me proposait immédiatement une chaise et la priorité dans la longue file d’attente. Egalement sur les passages piétons, la génération moyenne et plus âgée surtout me laissait toujours la priorité; ce comportement m’a surpris et réjoui.

Parmi les citoyens serbes eux-mêmes, j’ai constaté que les personnes âgées étaient généralement toujours accompagnées d’un jeune membre de la famille (fils ou fille). L’accompagnateur se chargeait alors généralement des formalités fastidieuses à accomplir pour les personnes âgées.

Passons maintenant à un chapitre plus sombre:

Une guerre qui n’en finit pas

En mars 1999, l’OTAN a attaqué l’ex-Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à la surprise générale et sans raison valable.

Ce faisant, les pays de l’OTAN n’ont pas seulement bombardé la capitale serbe Belgrade et certaines régions du pays, ils ont également utilisé contre le pays des munitions durcies et internationalement proscrites, à l’uranium appauvri (DU).

Les citoyens serbes ne sont pas les seuls à souffrir encore aujourd’hui des conséquences de ces munitions cancérigènes. L’eau, l’atmosphère et des régions entières ont également été irradiées ou empoisonnées avec des conséquences insoupçonnées.

En 2012, Vladislav Jovanovic, Slobodan Petkovic et le professeur Dr. Slobodan Cikaricont publié en serbe et en anglais le livre sensationnel «Crime in War – Genocide in Peace» avec le sous-titre «The Consequences of NATO Bombing of Serbia in 1999».1

Dix ans plus tard (2022), deux experts reconnus, le Dr Zorka Vukmirovic et le Prof. Dr Danica Grujicic, ont publié le livre «The Truth about the Consequences of the NATO Bombing of Serbia In 1999». L’éditeur est la «Société serbe de lutte contre le cancer», dont la présidente est le professeur Grujicic.2

«La guerre qui n’en finit pas» était le titre de mon article paru pour la première fois en 2018, publié dans plusieurs journaux allemands et serbes, décrivant l’utilisation d’armes à l’uranium par l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie (RFY) en 1999 et ses conséquences.3

Suite à l’utilisation de projectiles à l’uranium hautement toxiques et radioactifs, les cancers agressifs ont atteint des proportions épidémiques chez les jeunes et les moins jeunes. La guerre avec des armes à l’uranium (armes de destruction massive) est un génocide provoqué sciemment et volontairement, le pire crime du droit pénal international.

Le bombardement de la Serbie a duré 78 jours. Outre plus de 1000 soldats tués, 2500 civils – dont 78 enfants – ont trouvé la mort. Outre les projectiles à l’uranium appauvri, d’autres combinaisons explosives et des carburants pour missiles contenant certains composés chimiques ont également été utilisés. Personne n’a été puni!

Pendant longtemps, la population serbe n’a volontairement pas été informée par les autorités politiques.

Le peuple a pourtant le droit de connaître la vérité. Pour pouvoir organiser sa propre vie et celle de sa famille de manière satisfaisante, chaque citoyen doit pouvoir évaluer de manière réaliste les conditions économiques, sociales et politiques de son pays.

Pression énorme des pays de l’OTAN

Pour conclure, il convient de mentionner l’énorme pression exercée par les Etats de l’OTAN, parce que la Serbie refuse de soutenir les sanctions ou les mesures pénales occidentales contre son vieil ami russe,4 et parce que la Serbie n’est pas prête à reconnaître le Kosovo, une pièce maîtresse du pays, comme un Etat souverain sous l’égide de l’OTAN.

* Rudolf Hänsel, né en 1944, est docteur en sciences de l’éducation, ancien enseignant et conseiller scolaire ainsi que psychologue diplômé, spécialisé dans la psychologie clinique, la psychologie pédagogique et la psychologie des médias. Il est l’auteur de livres et d’articles spécialisés sur les thèmes de la violence des jeunes, de la violence dans les médias et de l’éducation aux valeurs.

Source: https://www.manova.news/artikel/ein-verwundetes-land, 16 juillet 2024

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 Vladislav Jovanovic/Slobodan Petkovic/Slobodan
Cicaric (2012). CRIME IN WAR – GENOCIDE IN PEACE. Bibliotheca Society and Science.

2 Zorka Vukmirovic/Danica Grujicic (2022). THE TRUTH ABOUT THE CONSEQUENCES OF THE NATO BOMBING OF SERBIA IN 1999. Société serbe de lutte contre le cancer, Belgrade.

3 Rudolf Hänsel (2018). Utilisation d’armes à l’uranium par l’OTAN en Serbie en 1999: une guerre qui n’en finit pas. Global Research.

4 https://de.rt.com/international/210655-serbiens-vizepremier-belgrad-verhaengt-keine/

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