Y a-t-il une chance de paix en Europe?

Wolfgang Effenberger
(photo ma)

par Wolfgang Effenberger*

(8 janvier 2022) En fin d'année, le 30 décembre 2021, Paul Craig Roberts, économiste américain, journaliste et ancien secrétaire adjoint au Trésor sous l'administration Reagan, s'est adressé au public avec un article d'avertissement intitulé «L’ancienne année a tiré sa révérence et au cours de la nouvelle année, la guerre nous attend».

Le jour même, les présidents Joseph Biden et Vladimir Poutine ont eu un entretien téléphonique centré sur la mise en œuvre de l'accord sur l'ouverture de négociations sur l'octroi de garanties sécuritaires juridiquement contraignantes envers la Russie, souhaité par Poutine le 15 décembre 2021.

Les déclarations ensuite faites par le Kremlin et la Maison Blanche sont révélatrices. Faites-vous votre propre opinion.

Déclaration du Kremlin:

«Vladimir Poutine a expliqué les approches fondamentales qui sous-tendent les projets russes d’un accord entre la Fédération de Russie et les Etats-Unis d'Amérique ainsi que la convention entre la Fédération de Russie et les Etats membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord [OTAN]. Il a souligné que les négociations devaient aboutir à de solides garanties juridiquement contraignantes excluant l'élargissement à l'Est de l'OTAN et le déploiement d'armes menaçant la Russie à proximité immédiate de ses frontières. Vladimir Poutine a également souligné que la sécurité d'une nation ne peut être garantie que si le principe de sécurité indivisible est strictement respecté.

Les deux chefs d'Etat se sont déclarés prêts à mener un dialogue sérieux et substantiel sur ces questions. Il a été confirmé que les négociations se tiendraient d'abord à Genève les 9 et 10 janvier, puis à Bruxelles le 12 janvier dans le cadre du Conseil Russie-OTAN. Le 13 janvier, des négociations devraient également avoir lieu à l'OSCE. Les présidents ont convenu de superviser personnellement ces négociations, en particulier les négociations bilatérales, afin de parvenir rapidement à des résultats.

Dans ce contexte, Joseph Biden a souligné que la Russie et les Etats-Unis ont une responsabilité particulière dans la garantie de la stabilité en Europe et dans le monde entier et que Washington n'a pas l'intention d'utiliser des armes offensives en Ukraine.

Vladimir Poutine a longuement répondu à la possibilité, à nouveau évoquée par Joseph Biden, d'imposer des sanctions «à grande échelle» en cas d'escalade de la situation concernant l'Ukraine. Il a fait remarquer que ce serait une grave erreur qui risquerait de facto de rompre totalement les relations entre la Russie et les Etats-Unis.»1

Déclaration de la Maison Blanche:

«Le président Biden a demandé à la Russie de désamorcer les tensions avec l'Ukraine. Il a clairement indiqué que les Etats-Unis et leurs alliés et partenaires réagiraient fermement si la Russie continuait à envahir l'Ukraine.

Le président Biden a également plaidé en faveur de la diplomatie, en commençant dès le début de l'année prochaine par le dialogue stratégique bilatéral sur la stabilité auprès de l'OTAN par le biais du Conseil OTAN-Russie et auprès de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [OSCE]. Le président Biden a rappelé que des progrès substantiels dans ces dialogues ne sont possibles que dans un contexte de désescalade et non d'escalade.»2

Dix jours plus tôt, le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg avait prononcé son discours de Noël/Nouvel An à Bruxelles:

«Je voudrais également profiter de cette occasion pour remercier nos anciens combattants. En particulier ceux qui ont servi en Afghanistan. Depuis plus de vingt ans, il n'y a plus eu d'attentats terroristes organisés depuis l'Afghanistan contre nos pays. C'est à vous que nous le devons. Et je rends hommage à tous ceux qui ont fait le sacrifice suprême pour notre liberté».

Pour rappel, le 7 octobre 2001 – 25 jours après le 11-Septembre – les Etats-Unis et la Grande-Bretagne avaient attaqué l'Afghanistan – bien qu'il n'existe à ce jour aucune preuve de la complicité de l'Afghanistan. Fin octobre 2001, le seigneur de guerre Rachid Dostum a fait embarquer dans des conteneurs 3000 talibans prisonniers par groupes de 300 et les a fait mourir dans d'atroces souffrances dans le désert. Jusqu'à aujourd'hui, personne n'a eu à répondre de ces actes.

Mais revenons à Stoltenberg:

«A l'approche de la nouvelle année et de notre sommet de Madrid, nous adaptons notre alliance pour faire face à un monde plus dangereux et plus compétitif. Nous sommes prêts à faire face à toute menace et à tout défi. Sur terre, en mer, dans les airs, dans l'espace et dans le cyberespace.»3

Quatorze jours plus tôt, Stoltenberg avait accueilli le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Bruxelles:

«Cher Volodymyr, c'est un plaisir de vous revoir. Bienvenue à l'OTAN. L'Ukraine est un partenaire très apprécié de notre Alliance. [...] Nous avons parlé du renforcement militaire considérable de la Russie en Ukraine et autour de l'Ukraine. [...] Ce réarmement n'a aucune justification. C'est une provocation. Elle est déstabilisante. Et elle sape la sécurité en Europe.»

Rappelons ici les manœuvres majeures de l'OTAN intitulées Defender 21: un exercice militaire multinational de l'OTAN en plusieurs phases, qui a débuté en mars 2021 et s'est terminé par un exercice en Géorgie en août. Ces manœuvres couvraient plus de 30 régions en Estonie, en Bulgarie, en Roumanie, au Kosovo et dans d'autres pays. L'accent a été mis sur la mer Noire et ses environs.

Retournons à Stoltenberg le 16 décembre 2021:

«Nous appelons la Russie à revenir à la diplomatie. A la désescalade. Et à respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.

Toute nouvelle agression contre l'Ukraine aura de graves conséquences. [...] Depuis l'annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, nous avons procédé au plus grand renforcement de notre défense collective depuis une génération.»

Dans ce contexte, Willy Wimmer a constaté le 3 janvier 2022: «Je veux expressément attirer l'attention sur le fait que toute solution négociée est encore possible. Toutefois, l'ordre des négociations, d'abord Russie/Etats-Unis, puis Russie/OTAN, puis OSCE, n'est pas conçu pour trouver une solution, car une telle «bassecour» en soi ne peut guère servir à cela.»

Pour Willy Wimmer, les questions clés sont les suivantes: Réussira-t-on à étrangler la Russie? Les Etats-Unis continueront-ils à se voir refuser la prise de contrôle hostile de la Russie?

Dans les déclarations du président américain Biden, Wimmer reconnaît l'intention: «Action de l'Ukraine sur son territoire contre les séparatistes, défense des compatriotes russes par les forces armées russes sur le territoire ukrainien, avancée des forces armées russes jusqu'à Lviv. Aucun char de l'OTAN ne serait envoyé à Kiev, mais la guerre d'embargo de l'OTAN contre la Russie deviendrait ‹nucléaire›.»4

Le kit d'opération pour une guerre en Europe est sur la table depuis l'automne 2014. Après le coup d’Etat orchestré par l'Occident à Kiev fin février 2014, le pamphlet 525-3-1 «Win in a Complex World: 2020–2040» de l'U.S. Army Training and Doctrine Command (TRADOC) a été adopté en octobre 2014. La Russie et la Chine y sont désignées comme les principales menaces.

Le 4 décembre 2014, le Congrès américain a adopté la résolution H. Res. 758 à une majorité écrasante (seulement 10 voix contre).

Le même jour, la légende du Congrès Ron Paul a pris position sur son site Internet avec l'article intitulé «Reckless Congress ‹Declares War› on Russia»:5 «Aujourd'hui, la Chambre des représentants des Etats-Unis a adopté, à mon avis, l'une des lois les plus néfastes.»

Avec H. Res. 758, une résolution qui «condamne fermement l'action de la Fédération de Russie sous le président Vladimir Poutine en tant que politique d'agression contre des Etats voisins dans le but d'une domination politique et économique» a été présentée.6

Depuis l'automne 2014, entre autres mesures, l'infrastructure pour un conflit militaire en Europe de l'Est a été développée. La Coopération structurée permanente (PESCO=Permanent Structured Cooperation) mise en place par l'UE en 2017 dans le domaine militaire et infrastructurel en fait également partie. Rien que les liaisons ferroviaires de Rotterdam/Bremerhaven/Hambourg à Kiev via Görlitz ont été développées bien au-delà des besoins normaux de transport.7

Comme l'indique le titre de son article, Paul Craig Roberts, mentionné au début, voit un danger de guerre imminent. Pour lui, les représentants de l'OTAN ont fait un pied de nez à Poutine qui s'inquiète de la sécurité de la Russie. Il ne décèle plus aucune intelligence dans le monde occidental, puisque tous rivalisent pour montrer à quel point ils sont durs avec la Russie.

Roberts interprète la déclaration de Poutine de la manière suivante: la Russie n'a plus de marge de manœuvre, elle a atteint toute l'ampleur de sa capacité à éviter une guerre. «Nous n'avons tout simplement plus aucune marge de manœuvre» signifie que la Russie a tout fait pour éviter une guerre et que les Américains doivent désormais quitter le «seuil» de la Russie.

Selon Roberts, Poutine compte sur Biden pour faire preuve de conscience et de responsabilité et s'engager en faveur de la paix en reconnaissant les préoccupations légitimes de la Russie en matière de sécurité. «Mais que se passera-t-il», poursuit Roberts, «si Biden n'est qu'une figure de proue et que le complexe militaro-sécuritaire est aux commandes, cherchant à faire des bénéfices malgré le risque que Poutine ne cède pas?»8

Et si l'intérêt de Washington se limitait à déstabiliser la Russie dans l'intérêt de l'hégémonie américaine, et si la sécurité de la Russie était précisément ce que Washington entendait saper et ne pas respecter?

«2022 pourrait être l'année où le pouvoir de Washington sera brisé, où la Russie s'emparera de l'Ukraine dans un acte d'autodéfense et où la Chine s'emparera de Taiwan pour démontrer qui est le maître en Asie. 2022 pourrait également être l'année où le monde occidental disparaîtra dans une guerre nucléaire.»9

* Wolfgang Effenberger, né en 1946, est journaliste et auteur de nombreux livres. Il publie en allemand. Voici trois de ses derniers ouvrages: «Wiederkehr der Hasardeure, Schattenstrategen, Kriegstreiber, stille Profiteure 1914 und heute», 2014; «Geo-Imperialismus. Die Zerstörung der Welt», 2016. Tout dernièrement est paru «Schwarzbuch EU & NATO», 2021. https://zeitgeist-online.de/2013-11-30-00-57-32/1097-wolfgang-effenberger-schwarzbuch-eu-nato.html

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 http://en.kremlin.ru/events/president/news/67487

2 https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/12/30/statement-by-press-secretary-jen-psaki-on-president-bidens-phone-call-with-president-vladimir-putin-of-russia/

3 https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_190293.htm

4 Willy Wimmer: «Ticken die Uhren nach Genf anders?», 3 janvier 2022

5 http://www.ronpaulinstitute.org/archives/featured-articles/2014/december/04/reckless-congress-declares-war-on-russia/
Ronald Ernest «Ron» Paul (né en 1935) est un médecin et homme politique américain, membre du Parti républicain et membre de la Chambre des représentants des Etats-Unis de 1976 à 2013 (avec des interruptions). Il a été candidat du Parti libertarien à l'élection présidentielle américaine de 1988 et candidat à l'investiture républicaine pour les élections présidentielles de 2008 et 2012.

6 https://www.congress.gov/bill/113th-congress/house-resolution/758/titles

7 https://www.lr-online.de/lausitz/weisswasser/neue-verkehrsader-an-neuer-bahntrasse-wird-weitergebaut-38162246.html

8 Paul Craig Roberts: AS THE OLD YEAR CLOSES, WAR AWAITS US IN THE NEW YEAR https://www.paulcraigroberts.org/2021/12/30/as-the-old-year-closes-war-awaits-us-in-the-new-year/

9 Ibid.

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