L'accord-cadre CH–UE échappe 
visiblement des mains du Conseil fédéral


Niklaus Ramseyer (photoa Infosperber)

«Abandon de l'exercice»: voilà ce que demandent de plus en plus de politiciens, de syndicalistes et de nouveaux comités d'entrepreneurs

par Niklaus Ramseyer

(24 janvier 2021)  «Le conseiller fédéral Ignazio Cassis doit maintenant trouver le plus rapidement possible le bouton de remise à zéro qu'il voulait presser au début de son mandat». C'est ce que le nouveau président de l'UDC et conseiller national tessinois Marco Chiesa a déclaré au début de l'année à la Neue Zürcher Zeitung à propos du projet d'accord-cadre bilatéral entre la Suisse et l'Union européenne. La demande de M. Chiesa est logique, et pas nouvelle: son parti était et est toujours fondamentalement opposé à l'accord.

Ce qui est nouveau, c'est que l'appel de M. Chiesa à «l'abandon de l’exercice» sur cette question gagne un soutien de plus en plus large au-delà de son parti: Pierre-Yves Maillard, président de l'Union syndicale suisse (USS) et conseiller national du PS (VD), a déclaré le 15 janvier à la Aargauer Zeitung «qu'il serait plus clair et plus honnête de viser une reprise complète des négociations». M. Maillard est convaincu que le projet d'accord actuel n'aurait «guère de chance devant le peuple».

Discuter de ce que veut Bruxelles – au lieu de ce qui menace Berne

Le premier syndicaliste du pays s’exprime de manière critique quant à la «question de la souveraineté dans l'accord». Gerhard Pfister, président du PDC, avait déjà qualifié cette question de «problème fondamental» en septembre en soulignant: «Le rôle de la Cour de justice européenne dans l'accord-cadre est toxique».

L'UE avait cependant déjà à ce moment-là déclaré qu'elle ne voulait plus rien changer au projet d'accord de fin 2018 – et qu'elle ne désirait plus mener de véritables «renégociations» concernant le texte de l'accord. Tout au plus, il pourrait encore y avoir des «entretiens» sur la façon dont l'accord de 35 pages devrait être compris – et des «clarifications formelles» sous forme de protocoles additionnels.

Sachant pertinemment que le souverain du pays – ou même avant cela le Parlement fédéral – n'approuverait gère le présent accord avec l'UE, le ministre PLR des Affaires étrangères Ignazio Cassis et ses six collègues du gouvernement, dans leur position précaire entre le peuple suisse et les fonctionnaires de l'UE, s'étaient déjà mis d’accord sur une stratégie constituant une manœuvre de diversion: Berne s'entretiendra à nouveau avec Bruxelles «sur trois questions essentielles», ont-ils annoncé. Les questions relatives à la protection des salaires, à la directive sur la libre circulation des citoyens de l'Union et aux aides d'État (cela concerne l'assurance cantonale des bâtiments, les banques cantonales et les privilèges fiscaux pour les sociétés nouvellement créées) devaient être «clarifiées».

Pourquoi ces trois points en particulier? D'une part, parce que le Conseil fédéral pense apparemment que l'UE serait la plus disposée à s’entretenir sur ces questions, et d'autre part, parce qu'il pense pouvoir apaiser trois groupes importants de résistants à l’accord avec l'UE dans le pays: les syndicats, s'inquiétant de la bonne protection des salaires en Suisse; la droite, voulant empêcher que la directive européenne sur les citoyens s'applique à la Suisse; les cantons, ne voulant pas perdre leurs solides assurances des bâtiments publics et leurs banques cantonales.

Trois petites souris dans un coin de la chambre et un «éléphant dans la pièce»

Cette manœuvre de diversion menace actuellement d'échouer: «Ces trois aspects sont importants», a admis l’avocat et membre PLR du Conseil des Etats Thierry Burkart (AG) dans un article de fond publié dans les pages de CH-Media le 14 janvier. Mais comme le syndicaliste de gauche Maillard, l'homme politique de droite Burkart souligne: «Le vrai problème de l'accord-cadre est la perte de souveraineté». C'est, dit-il, le «réel éléphant dans la pièce», soit ce dont ils évitent de parler. Et les «trois points en suspens» avancés par le Conseil fédéral peuvent être décrits – pour rester dans l'image de Burkart – plutôt comme trois petites souris dans un coin de la chambre.

«Le prix total est clairement trop élevé»

Avec l'accord, l'UE «fournirait le cadre dans lequel les institutions suisses pourraient faire de la politique», précise Burkart. Les autorités suisses deviendraient «de facto des agents d'exécution, obligés de transposer le droit européen en droit interne». Et: «La clause guillotine globale prévue dans l'accord signifie qu'il n'y a pour la Suisse effectivement aucun moyen de sortir de l'accord-cadre – à moins que nous n'adhérions à l'UE». L’avocat et conseiller aux Etats PLR fait le calcul: le «prix» politique global de l'accord-cadre est «clairement trop élevé». Et de demander: le Conseil fédéral doit «être honnête avec notre principal partenaire en politique étrangère et rompre les négociations en avançant cette justification très claire».

Avertissement magistral de la droite et de la gauche

La direction du Parti libéral-radical (PLR) souligne que ce n'est pas l'avis de la majorité du PLR – et réaffirme son slogan adopté il y a un an: «Oui par bon sens» pour l’accord-cadre avec l'UE. Mais le soutien au ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis sur cette question s'amenuise rapidement, même au sein de son parti. Cela a commencé l'automne dernier, lorsque Johann Schneider-Ammann, ancien conseiller fédéral (ministre de l'économie) PLR et homme d'affaires bernois, a fait sensation en mettant en garde contre les dangers de l'accord-cadre pour notre souveraineté – notamment en rejetant catégoriquement la clause guillotine contenue dans le projet d'accord: «Un tel instrument menaçant est inutile pour l'UE et indigne pour la Suisse».

Un mois plus tard, son ancienne collègue au Conseil fédéral Micheline Calmy-Rey (PS) l'a rejoint à gauche: «Tout le monde s'accorde à dire que la souveraineté de la Suisse serait mise en danger dans l'accord prévu», a écrit dans la «Weltwoche» le dernier ministre des Affaires étrangères de notre pays pouvant encore être pris au sérieux, car avec cet accord «nous ne serions pas traités différemment de tout pays tiers auquel des contrôles et des avis contraignants de la Cour de justice européenne sont imposés».

«Autonomiesuisse» au lieu d’«economiesuisse»

Ainsi, le projet intitulé «accord institutionnel» échappe visiblement au ministre suisse des Affaires étrangères et au gouvernement fédéral: la «question de la souveraineté a toujours été importante pour le Conseil fédéral dans les négociations avec l'UE», a répondu M. Cassis de manière évasive aux questions posées à ce sujet dans une longue interview accordée à la NZZ le 18 janvier 2021. Pour ensuite souligner à nouveau ses trois «points controversés». On peut vraiment avoir de la peine pour cet homme: la Berne fédérale continue de parler en chœur avec les grands médias des prétendus «trois questions fondamentales». Mais les faiseurs d'opinion en politique et en économie discutent depuis longtemps de «l'éléphant dans la pièce»: la perte de souveraineté. Seuls les Vert’libéraux soutiennent M. Cassis pour signer cet accord de l'UE – rejoint par la fédération des entreprises economiesuisse continuant à affirmer que l'accord est «une chance pour la Suisse». Elle prétend même qu'il «renforce notre souveraineté». Avec de telles déclarations, l'association affaiblit son soutien au sein de l’économie suisse plutôt que de renforcer le soutien à l'accord-cadre. Des entrepreneurs de renom ont donc créé, l'automne dernier, une alternative. Ce contre-projet ludique et intelligent se nomme «autonomiesuisse» et compte déjà 350 membres – dont également des membres du PLR.

Parmi eux figurent des capitaines d'industrie, comme l'entrepreneur de transport Bruno Planzer, le président du conseil d'administration de Swiss Life, Rolf Dörig, et Peter Spuhler (chef et propriétaire du groupe ferroviaire Stadler Rail et ancien conseiller national UDC). Jean-Pascal Bobst, de l'importante entreprise vaudoise du même nom, est également à bord, tout comme le journaliste de la NZZ Beat Kappeler – ainsi que les professeurs Ernst Baltensperger et Martin Janssen. Un comité similaire appelé Allianz/Kompass Europa a été présenté par le «SonntagsZeitung» le 17 janvier 2021. Cette alliance affirme que l'accord-cadre est un traité «totalement unilatéral».

Un meilleur accord, ou pas d'accord du tout

Le coprésident d'autonomiesuisse, Hans-Jörg Bertschi, directeur de l'entreprise de logistique du même nom, exprime la critique suivante: «Les arguments d'economiesuisse en faveur de l'accord-cadre sont insuffisants – ils sont caractérisés par de grandes entreprises dont les cadres ne portent généralement pas les responsabilités de propriétaires, ne sont souvent pas suisses et ne comprennent pas la démocratie directe.» Autonomiesuisse demande au Conseil fédéral de stopper sa marche et de renégocier «pour un meilleur accord», ou pas d'accord du tout. L'association cite l'ancien directeur du Crédit Suisse et de l'UBS, Oswald Grübel, affirmant que nous n'avons pas besoin d'un accord-cadre avec l'UE. Il n’argumente pas non plus en termes de finances, mais en termes de politique étatique: «La Suisse ne devrait pas se soumettre aux diktats de la Cour de justice européenne sans nécessité.» Aujourd'hui, même les décideurs du monde des affaires ne sont pas prêts à sacrifier les droits de démocratie directe offerts à l'ensemble de la population suisse pour contenter les avantages économiques d’une minorité voulant profiter davantage.

Ignazio Cassis ne peut et ne veut voir l’«éléphant»

Pour eux, ce n'est pas l'«accès au marché» qui est au centre du débat sur le traité de l'UE, mais la souveraineté de la Suisse – «l'éléphant au milieu de la pièce». L'UE refuse catégoriquement de rediscuter de cette question. Et notre bien faible ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis n'ose certainement pas en reparler. Néanmoins, sa nouvelle négociatrice en chef face à l'UE, la secrétaire d'Etat Livia Leu, a finalement obtenu un «rendez-vous pour faire connaissance» à Bruxelles, comme le rapporte la NZZ. Cependant, M. Leu n'a ni vu ni rencontré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Il n'y a pas non plus de véritable négociateur de l’UE pour la Suisse. L'UE nie tout simplement la nécessité de négocier ou de renégocier l'accord-cadre. Et le poste à Bruxelles est actuellement vacant. La présidence de l'UE n'a donc envoyé que l'adjointe de son chef de cabinet, une Française du nom de Stéphanie Riso, à la réunion avec Mme Leu. Pour Bruxelles, c'était le bon moyen de dire à la Suissesse qu'il n'y avait pas grand-chose à négocier sur les souris dans l'accord-cadre – et rien du tout sur les éléphants.

Source: www.infosperber.ch du 24 janvier 2021

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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