La souveraineté au XXIe siècle
par Nicola Eisenborn, politologue
(30 septembre 2020) Réflexions sur un aspect du discours d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, tenu lors de la conférence de presse du 24 décembre 2020 sur l'issue des négociations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
Le 24 décembre 2020, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont enfin signé un «deal». L’on s’est mis d’accord, in extremis, sur la nouvelle relation commerciale et politique entre les deux parties. Pas de barrières douanières ni de quotas, donc. A l’issue de la signature de l’accord, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui est l’autorité la plus influente au sein de l’UE, a tenu des propos «intéressants» au sujet de la souveraineté.
«Bien entendu, le débat a toujours tourné autour de la souveraineté. Mais nous devrions nous détacher des slogans et nous demander ce que signifie réellement la souveraineté au XXIe siècle. Pour moi, elle implique la capacité de travailler, de voyager, d’étudier et de faire des affaires sans entraves dans 27 pays. Elle nous appelle à mettre en commun nos forces et à parler d'une seule voix dans un monde fait de grandes puissances. Et en ces temps de crise, il s’agit de nous soutenir mutuellement, plutôt que d'essayer de nous en sortir seul. L'Union européenne montre comment cela fonctionne dans la pratique. Et aucun accord au monde ne peut changer la réalité ou la gravité de l'économie actuelle et du monde d'aujourd'hui. Nous faisons partie des géants.»*
Quiconque connaît la signification du terme «souveraineté» peut être étonné de la déclaration ci-dessus. Personnellement, celle-ci me paraît problématique pour deux raisons.
Tout d’abord, Mme von der Leyen déforme et travestit une notion dont le sens n’est pourtant pas débattu. En effet, la définition du terme «souveraineté» fait l’objet d’un large consensus à l’international et dans les milieux académiques. La définition des Editions Larousse en est représentative et très exacte: «Pouvoir suprême reconnu à l'Etat, qui implique l'exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l'ordre international où il n'est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe).» Certes, la libre circulation des personnes est une chose positive dans l’esprit de beaucoup d’européens, mais la souveraineté n’a absolument rien à voir avec le voyage, les études, ou encore la capacité de travailler dans 27 pays. Il s’agit de la capacité d’un Etat à prendre des décisions et à agir de manière indépendante et libre, sans devoir rendre des comptes à quelque autorité supranationale que ce soit. Aussi, contrairement à ce que dit Mme von der Leyen, «souveraineté» ne signifie pas «parler d’une seule voix». Au contraire: un pays souverain doit être en mesure d’avoir sa propre voix, même si celle-ci est opposée à celle de la majorité des autres Etats. L’UE, d’ailleurs, n’est pas vraiment connue pour respecter les voix discordantes (Pologne, Hongrie etc.).
Deuxièmement, la patronne de l’UE me semble défendre une idée très claire: les petites souverainetés nationales, c’est du passé! A bien écouter son discours, le monde est «fait de grandes puissances» et seules ces dernières, ainsi que les unions d’Etats formant des «géants», sont dignes de souveraineté. Ce point de vue – largement accepté dans les sphères de pouvoir de l’UE – est inquiétant pour les petits pays comme la Suisse.
La problématique de la souveraineté étant au centre du débat concernant l’Accord-cadre Suisse–UE, il n’est pas étonnant que, durant les derniers mois, de plus en plus de citoyens, politiciens, syndicats et entrepreneurs exigent du Conseil fédéral la rupture des négociations sur l’Accord cadre Suisse–UE.
* Source: https://www.youtube.com/watch?v=mvMVFY_yO_0 (en anglais: dès minute 2:20)