A propos de la neutralité suisse

Plaidoyer pour une neutralité des personnes sereines (2/2)

Verena Tobler-Linder
(Photo Kernkultur.ch)

par Verena Tobler-Linder,* Suisse

(21 mars 2023) (Réd.) La première partie de cet article a été publiée dans notre infolettre n° 9 du 14 mars et est disponible sur notre site Internet. Nous publions à présent les deux parties restantes de cet article.

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2e partie – La neutralité de la Suisse et l’immigration

En Suisse vivent des personnes originaires des régions les plus diverses du monde. Il va de soi qu’ils influencent également notre vie sociale et politique. Il est donc important d’aborder la question de la neutralité également sous cet angle.

La neutralité impose à la Suisse de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays. Cependant, en tant que personnes privées, les Suisses peuvent bien entendu prendre parti et s’occuper des problèmes du monde entier. En tant que personne qui a travaillé toute sa vie avec des migrants et des réfugiés dans divers régions du monde et qui s’est occupée des nombreuses difficultés qui y sont liées, je suis convaincue depuis longtemps que deux problèmes se posent en Suisse. Deux difficultés dont la résolution constructive nécessite également de la sérénité.

Une neutralité sereine est nécessaire pour que notre pays ne finisse pas dans le tohu-bohu

La population de la Suisse a presque doublé au cours des sept dernières décennies, en raison d’une immigration qui provenait d’abord des pays du sud de l’Europe et qui est aujourd’hui de plus en plus internationale. Entre-temps, une grande partie de la population suisse est probablement liée à l’étranger par l’immigration, les parents ou le mariage. En bref, la Suisse est multiethnique ou multiculturelle, mais également extrêmement hétérogène et entre-temps – tout aussi fortement – polarisée sur le plan socioculturel. On peut s’en réjouir ou s’en plaindre! Mais si l’on ne parvient pas à gérer ces facteurs de manière sereine, notre pays risque de s’é puiser politiquement – de se fragmenter davantage – de se désagréger – de sombrer!

Pour une politique extérieure et intérieure orientée vers la résolution des conflits, il est important de savoir que la plupart des nouveaux résidents dans notre pays ont gravi les échelons du système international et sont venus en Suisse parce qu'ils y trouvent une meilleure situation. Même les Allemands immigrent parce qu’ils gagnent mieux leur vie ici. Mais pour autant que les immigrés soient issus de la partie pauvre du monde, eux ou leurs parents appartenaient généralement à la classe moyenne ou supérieure de la région. Cela vaut même pour les réfugiés de guerre et de la pauvreté, car les plus pauvres peuvent rarement partir!

Et s’ils ont entre-temps été naturalisés suisses – et ils sont nombreux –, ils ont souvent conservé leur passeport ou en possèdent même plusieurs. Un Kurde m’a recommandé de les appeler les «néo-Suisses». Beaucoup d’entre eux, même si ce n’est pas le cas de tous, continuent naturellement à participer, souvent très activement, au destin de leur ancienne patrie. C’est bien ainsi et cela doit être possible.

Leur engagement politique est tout à leur honneur: cela doit et peut rester l’affaire des personnes immigrées.

La Suisse officielle ne doit pas s’immiscer dans les conflits des pays d’origine

Premièrement, certains groupes d’immigrés nourrissent des projets de renversement concernant leur pays d’origine et ont entre eux de vives divergences politiques – ce n’est pas un reproche: les deux peuvent exister! Leur engagement politique est donc tout à leur honneur: la Suisse officielle ne doit pas s’y impliquer. Sinon, nous n'aurons pas seulement les conflits entre les partis, mais également une hausse massive du tohu-bohu dans notre pays.

Des néo-Suisses iraniens appellent déjà la Suisse à sanctionner l’Iran. Daniel Jositsch, conseiller aux Etats socialiste, a immédiatement accepté cette demande – de manière significative, juste avant les élections fédérales de décembre dernier. Le fait qu’il viole ainsi des principes importants du droit international1 lui a probablement échappé, tout comme le fait que les immigrés de Turquie, du Kurdistan, d’Erythrée ou du Sri Lanka pourraient également exiger cette pratique d’ingérence.

Il y a quelques années, j’ai lu dans le Tagblatt zurichois que la ville de Zurich hébergeait des personnes originaires de 157 nations. La question cruciale qui en découle directement est la suivante: la Suisse doit-elle à l’avenir s’immiscer dans les affaires intérieures des pays du monde entier? Voilà une hubris interdite par l’initiative populaire sur la neutralité: la Suisse ne soutient des mesures de coercition unilatérales (sanctions) que si elles ont été formellement décidées par l’ONU.

Deuxièmement, il n’est pas seulement imprudent, mais contre-productif, que des Etats économiquement puissants s’immiscent dans la politique intérieure d’Etats plus pauvres. Ces ingérences ne sont ni démocratiques ni efficaces, car elles sont inappropriées. Certes, dans de nombreux pays pauvres, tout comme chez nous en Suisse, des changements de système seront nécessaires à l’avenir. Mais la population des pays concernés doit opter elle-même pour des changements mis en place de manière autonome faisant l’objet d’une décision démocratique.

Actuellement, il s’agit d’un combat dans lequel les classes supérieures et moyennes sont souvent en minorité. Cela ne s’applique pas seulement à l’Iran, d’où les classes supérieures et de nombreuses personnes instruites sont parties pour l’Occident – aux Etats-Unis, en Autriche, en Suisse. Cela vaut par principe et partout dans les Etats et pour les populations qui sont placés au bas de l’échelle de l’économie mondiale inégale ou qui sont marginalisés.

Le «printemps arabe» – un échec

L’exemple de l’Egypte illustre bien les conséquences de l’ingérence de l’extérieur et d’en haut: ce que l’Occident libéral a qualifié de «printemps arabe» en 2011 et qu’il a activement soutenu était voué à l’échec.

Lancé par de jeunes activistes en ligne, stimulé par les classes moyennes urbaines et soutenu par les «Open Society Foundations» de George Soros,2 Moubarak a certes été renversé – un despote, sans aucun doute! Il avait fait de l’armée un facteur de pouvoir économique, de sorte que d’autres agents économiques ne pouvaient guère gérer ou créer des entreprises. Les procédures démocratiques étaient également impossibles.

Mais on pouvait prévoir ce qui allait se passer lors d’élections démocratiques. Car pour la majorité de la population, en particulier pour les nombreux pauvres des villes et des campagnes, il n’existait pas d’institutions de redistribution et de solidarité organisées par l’Etat.

La compensation supra-familiale était organisée depuis des décennies par les mosquées et les Frères musulmans sur la base de règles religieuses – quelque chose que l’Occident et les enfants de la prospérité à orientation libérale du Caire avaient négligé, voire détesté et combattu: aveuglés par le système et les structures, ils ne comprenaient pas que dans un Etat où le travail rémunéré formel est réservé à une minorité, les valeurs modernistes ou individualistes ne pouvaient pas ou rarement être imposées démocratiquement pour des raisons structurelles.

Particulièrement embarrassant pour l’Occident: lorsque le général Abdel Fattah al-Sisi a renversé le président démocratiquement élu Mursi, le soulagement a régné loin à la ronde. Et lorsque le président, qui s’était emparé du pouvoir, a fait assassiner des centaines d’islamistes, a emprisonné le président démocratiquement élu Mursi et les membres de son gouvernement et a fait exécuter de nombreuses condamnations à mort sans bases juridiques suffisantes, tout le monde a détourné le regard!

Tous ceux qui s’engagent soi-disant pour la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme. Et la Suisse? Elle participe régulièrement à cette politique de dérobade – ses intérêts économiques sont trop importants; elle est trop insensible aux zones d'ombre de l’économie mondiale libérale.

Quiconque est suffisamment conscient du système sait également que les programmes d’aide occidentaux en Afghanistan ou en Haïti ne résolvent en aucun cas les problèmes de pauvreté dans ces pays, car ils ne sont pas appropriés. Au contraire, ils conduisent à des Etats Potemkine, favorisent l’intégration verticale et mènent à long terme à une catastrophe économique, sociale et politique.3

Comme nous l’avons mentionné, l’optique libérale se focalise sur les individus et occulte le fait que les libertés et les droits individuels présupposent des capacités économiques qui font défaut dans les Etats pauvres. Le monde ne peut pas être intégré de l’extérieur et d’en haut! Sauf sur la base de déséquilibres extrêmes et, directement lié à ceux-ci, d’un totalitarisme monstrueux.

1 Assemblée générale de l’ONU du 24 octobre 1970 – Déclaration sur les principes du droit international: l’un des principes importants concerne le devoir, conformément à la Charte, de ne pas s’immiscer dans les affaires qui relèvent de la compétence interne d’un Etat. L’autre est le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples.

2 Cf. NZZ, 14 mai 2019: «Comment George Soros est passé du statut de messie à celui d’ennemi du peuple».

3 Je me permets de faire une remarque détaillée: en effet, par «intégration verticale», je désigne ce processus multidimensionnel qui englobe les règles, les processus, les mécanismes qui, dans le libéralisme économique, font en sorte que les déséquilibres économiques, politiques, sociaux entre et au sein des Etats continuent de s’accroître. L’«intégration verticale» a pour conséquence que le pouvoir économique et politique se concentre de plus en plus dans les hautes sphères transnationales, c’est-à-dire qu’il se trouve sous le contrôle d’entreprises, de personnes et d’Etats de moins en moins nombreux mais de plus en plus puissants. L’«intégration verticale» décrit le cercle vicieux qui renforce continuellement les déséquilibres. L’«intégration verticale» se produit:
a) par le marché: par le biais d’entreprises disposant de plus de capitaux et d’un meilleur équipement énergétique et technologique, d’un savoir-faire scientifique plus raffiné et d’une capacité d’organisation plus efficace. Dans le contexte transnational, ces entreprises ont pour effet que les entreprises plus faibles n’apparaissent même pas, sont éliminées du champ d’action ou sont dévorées.
b) par le biais de structures transnationales: exportation de produits agricoles et de matières premières depuis les pays peu développés; exportation de produits high-tech depuis les pays hautement développés – avec une baisse correspondante des termes de l’échange pour les produits agricoles des Etats pauvres et une énorme concentration du pouvoir au sein du gouvernement de l’Etat pauvre financé par les exportations.
c) par le biais de la migration transnationale: l’inégalité des niveaux de vie dans les Etats ou régions riches et pauvres déclenche la migration du Sud vers le Nord, avec pour résultat l’émigration des Etats pauvres et l’immigration vers les Etats riches – donc un gain de cerveaux pour les HDC et une fuite des cerveaux pour les LDC. Et la folie: toutes ces personnes se déplacent de l’endroit où l’empreinte écologique est généralement encore faible vers les Etats qui consomment 3, 4, voire 6 planètes et plus pour leur prospérité.
d) L’aide internationale, la coopération au développement, la lutte pour les droits de l’homme peuvent également – mais pas nécessairement! – contribuer à l’«intégration verticale». La coopération au développement peut fournir des conditions préalables importantes pour le développement: formation, construction de ponts et de routes, soins de santé. Mais si les règles économiques ne sont pas modifiées de manière à permettre également dans l’Etat pauvre des interdépendances économiques horizontales avec une accumulation locale de capital, des entreprises artisanales, des PME et un nombre suffisant d’emplois, des marchés locaux et une demande équivalente, il se produit également une «intégration verticale». Car tant que la majorité de la population n’a pas d’emploi formel, ne peut payer ni impôts ni taxes, il n’est pas possible d’avoir des institutions de solidarité organisées par l’Etat ni des démocraties dignes de ce nom. La coopération au développement qui ne veille pas à ce que le développement effectif soit possible donne «seulement» le goût à un grand nombre de personnes: ils émigrent – pour autant qu’ils ne soient plus ou pas employés par les ONG – vers des Etats très développés. L’exemple le plus récent de cette forme d’«intégration verticale» est le départ vers l’Occident des anciennes aides humanitaires afghanes.

3e partie – Neutralité ou ingérence dans les affaires intérieures d’Etats étrangers

La démocratie et les droits de l’homme ne peuvent pas être imposés de l’extérieur et d’en haut

Une neutralité sereine renonce à faire la morale en s’aveuglant sur les systèmes et les structures!

Actuellement, de plus en plus de voix s’élèvent pour s’immiscer dans les affaires et les conflits internes du monde entier depuis le haut lieu économique et juridique des Etats-providence occidentaux.

La Suisse officielle court également le risque d’adopter cette ligne de conduite arrogante vis-à-vis des Etats d’Afrique et d’Asie et de se montrer moralisatrice, aveugle au système et aux structures, envers le reste du monde pauvre ou traditionnel.

Les anciens et les néo-Suisses sereins mettent en garde contre le fait de chanter les louanges des droits de l’homme et des valeurs occidentales sans tenir compte des conditions économiques et des conditions-cadres pour la norme juridique occidentale. Nous sommes confrontés à des contradictions et à des ambivalences: la tolérance de l’ambiguïté est nécessaire.

Ce qui suit n’est pas un plaidoyer contre les droits de l’homme! Je plaide pour que l’on y regarde de plus près.

En effet, dès 1948, lorsque le catalogue des droits de l’homme a été élaboré, les représentations des six Etats socialistes ont fait remarquer que certains des droits de l’homme étaient liés à des conditions économiques. Elles ont donc demandé un droit de l’homme à la participation économique – un droit qui a été bloqué par l’Occident, alors largement supérieur en termes de puissance. C’est pourquoi les Etats socialistes se sont abstenus lors du vote final.

Enfin, l’égalité des sexes et la campagne «One Love» illustrent à quel point la moralisation aveugle du haut lieu de l’économie mondiale est inappropriée et arrogante.

L’égalité entre hommes et femmes nécessite des conditions économiques, technologiques et infrastructurelles

Notons que l’égalité des sexes est un objectif important pour atteindre la durabilité sociale et écologique. Mais ce que l’Occident s’obstine à ignorer, ce sont les conditions préalables de nature financière, énergétique, technologique, médicale et institutionnelle nécessaires à cette égalité.

Concrètement: qu’est-ce qui m’a libérée en tant que femme?

L’eau courante et l’électricité, la machine à laver, l’aspirateur, le lave-vaisselle, etc., les serviettes hygiéniques, les tampons et «la pilule» ainsi qu’une scolarité et une formation de qualité. A cela s’ajoute un nombre suffisant d’emplois rémunérés qui ne nécessitent pas une force musculaire de pointe. Ensuite, les jardins d’enfants et les écoles, les crèches et les garderies dans lesquelles nos enfants sont pris en charge.

Tout aussi coûteux: l’appareil juridique complexe qui, entre-temps, veille à l’ordre en Suisse, tant dans l’espace public que dans la famille, et même parfois jusque dans le lit conjugal – autant d’acquis qui, pour des raisons économiques, ne sont pas à la portée de la majorité des femmes dans la partie pauvre du monde.

La campagne «One Love»

La campagne «One Love» a atteint un nouveau sommet en 2022 lors de la Coupe du monde de football dans l’Etat arabe du Golfe du Qatar: une campagne portée par un mouvement qui se met en scène depuis trois décennies de manière bruyante – comme lors de la Street-Parade de Zurich avec un grand succès public ou comme la ministre allemande de l’Intérieur au Qatar – et qui y parvient également de plus en plus efficacement grâce aux nouveaux médias. Lorsque les footballeurs ont été invités à porter un brassard «One Love», la FIFA a mis un terme à cette mise en scène publique des valeurs occidentales, assurant ainsi «sur le vif» un quasi-ordre.

Bien plus important encore: toute la campagne, bien que je comprenne personnellement la communauté LGBTQ et que je prenne ses préoccupations au sérieux, est effroyablement aveugle pour tout ce qui touche au système et à la structure! Nous avons à nouveau affaire à une moralisation, au lieu d’une morale qui tienne compte de ses conditions économiques et qui se penche sur ses conditions institutionnelles.

En effet, les LGBTQueers ne demandent jamais combien tout cela coûte: insémination artificielle & fécondation; gestation pour autrui; changement de sexe, etc.

Ni comment et par qui leurs désirs du «anything goes» seront financés.4 Au lieu de cela, on ignore de manière non éthique, parce qu’on ne se réfère ni au contexte ni aux ressources disponibles, qu’en 2021, 4100 millions de personnes devaient survivre sans réseaux de solidarité garantis financièrement.5 Cela signifie qu’à ce jour, pour la moitié de l’humanité, leurs propres enfants constituent l’assurance vieillesse! A moins que les églises, les mosquées et les temples n’apportent leur aide.

Concrètement: dans la partie pauvre du monde, les gens dépendent, lorsqu’ils deviennent vieux et faibles, du soutien de leurs enfants physiologiques. C’est pourquoi, pour des raisons hautement rationnelles, l’homosexualité est souvent mal vue dans les Etats pauvres, voire punie dans certaines circonstances.

Notons également que les institutions de solidarité non monétaires sont une raison importante pour laquelle, dans la partie pauvre du monde, on s’en tient en de nombreux endroits à des rôles contraignants en matière de parenté, de génération et de sexe.

C’est vrai: il s’agit de représentations de l’ordre qui contredisent les droits de l’homme ou qui sont incompatibles avec les attentes de la communauté LGBTQ et de nombreuses féministes! Mais si nous y regardons de plus près, les raisons sont d’ordre économique: elles sont liées aux déséquilibres mondiaux et au manque d’équipement énergétique et technologique qui en découle, au faible nombre de postes de travail formels et, par conséquent, à l’absence d’institutions de solidarité supra-familiales.

Les néo-Suisses sereins originaires de pays pauvres ne mesurent donc pas la situation dans leur ancienne patrie à l’aune du niveau de vie suisse. Ils ne se réfèrent pas non plus à la consommation locale du droit de luxe. Ils connaissent les causes de la pauvreté dans leur pays d’origine et les raisons de ses «particularités en matière de droits de l’homme». Et tout comme les personnes sereines parmi les anciens Suisses, ils savent que chaque droit est lié à des conditions économiques, s’il doit être appliqué de manière fiable et constructive.

Les deux, anciens et les néo-Suisses sereins, sont conscients que les déséquilibres choquants et problématiques se sont formés dans le cadre de l’économie mondiale occidentale: quiconque disposait autrefois d’un capital plus important et d’un appareil de pouvoir énergétique et technologique plus efficace qu’autrui pouvait coloniser le monde. Et il peut le dominer encore aujourd’hui.

Seulement, depuis la décolonisation, cela se fait par le biais du libre-échange et, depuis les années 1970, de manière encore plus efficace dans le cadre des quatre libertés néolibérales. Ce sont les bases non seulement de l’empire économique de Blocher, mais aussi de tous les groupes suisses qui réussissent à l’étranger et, bien entendu, de notre Etat-providence.

Cela n’a donc pas seulement à voir avec des intérêts spécifiques aux entreprises, mais également avec des intérêts nationaux: avec l’appareil de pouvoir énergétique et technologique, financier et juridique dont dispose notre pays pour accéder aux ressources. Et si l’on y regarde de plus près, on constatera avec irritation, voire avec effroi, que – hier comme aujourd’hui – l’écart de pouvoir associé à l’appareil de pouvoir et les impositions inhumaines qui en découlent sont légitimés par une prétendue culture supérieure, une meilleure morale et des valeurs civilisationnelles occidentales.

Conclusion et perspectives

Karl Marx a dit un jour: «L’histoire se répète toujours deux fois: la première fois comme tragédie, la deuxième fois comme farce. La colonisation, l’esclavage, l’exploitation sont la tragédie d’autrefois. Et la farce d’aujourd’hui? La moralisation aveugle au système et à la structure, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par la gauche woke et de nombreux chefs d’Etat et responsables occidentaux. Un flot de valeurs qui masque les intérêts réels.

Quiconque est vraiment sensible constatera que ce discours dévalorise aussi bien les communautés et les sociétés que la majorité des femmes et des hommes se trouvant en marge de l’économie mondiale et les plonge toujours plus profondément dans la misère et la détresse. Si l’on y regarde de plus près, on se rendra également compte que même les personnes aux Etats-Unis qui ont été qualifiées de «déplorables» par Hillary Clinton se trouvent également dans le bateau de ces lépreux.

Des changements s’imposent d’urgence! Chez nous en Suisse et bien sûr également dans le monde des pauvres. Mais ce qui n’est certainement pas utile pour ces changements, ce sont les guerres. Pas non plus de moralisation aveugle aux systèmes et aux structures – et surtout pas au nom des droits de l’homme!

Ce dont on a en revanche urgemment besoin pour les changements nécessaires et pour des droits de l’homme universels, ce sont de nouvelles règles économiques mondiales: des règles permettant un équilibre entre riches et pauvres et qui nous permettent de travailler à la durabilité sociale et écologique à l’é chelle mondiale.

Les anciens et les néo-Suisses sereins mettent leur main au feu pour cela.

C’est pourquoi nous devons, dans une Suisse démocratique, laisser derrière nous la pensée de groupe et la peinture en noir et blanc. Défendons l’initiative populaire «OUI à la neutralité». Elle ouvre à la Suisse les portes de la sérénité informée et ouverte au monde dont rêvent en fin de compte – j’en suis presque convaincue – non seulement les anciens et les néo-Suisses sereins, mais également les anciens et les néo-Suisses aveugle au système et aux structures.

* Verena Tobler Linder est sociologue, ethnologue, conseillère et experte en communication interculturelle et en intégration. Son travail l'a conduite dans de nombreux pays musulmans: au Soudan, au Libéria, en Iran, en Afghanistan, au Bangladesh, au Cameroun et au Pakistan. Elle a notamment travaillé pour la Direction du développement et de la coopération (DDC). Pendant de nombreuses années, elle a enseigné
à la Haute école spécialisée de travail social de Zurich. Elle a dispensé des cours et des conseils au personnel hospitalier, psychiatrique et pénitentiaire, aux écoles, aux collaborateurs des services sociaux, aux communes, aux tribunaux et à l'Office fédéral des réfugiés et de l'immigration. Depuis 2002, elle travaille en tant qu'indépendante. Son site Internet est www.kernkultur.ch.

(Traduction «Point de vue Suisse»)

4 En 2000, j’ai été invitée à un congrès féministe pour y parler de la situation des femmes dans les régions pauvres du monde. A la fin du congrès, des activistes LGBTQ ont revendiqué un nouveau droit humain: chaque personne doit pouvoir déterminer son sexe de manière autonome après la naissance. Lors du débat final, j’ai posé la question de savoir qui allait financer ce droit. Le juriste Rainer Schweizer qui dirigeait la discussion l’a clôturée par la remarque suivante: «Nous avons maintenant répondu à toutes les questions, sauf à celle de Verena Tobler. Et j’avoue que je ne me suis également jamais posé cette question. Mais je l’assure: je l’emmène maintenant chez moi!»

5 Un seul monde n° 2 / juin 2022; Magazine de la DDC pour le développement et la coopération: p. 25

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