«Süddeutsche Zeitung» et «Tages-Anzeiger» tirent à boulets rouges sur Nils Melzer

Nils Melzer et Oliver Kobold, Der Fall Julian Assange.
Geschichte einer Verfolgung, Munich 2021.
ISBN 978-3-492-07076-8

Pourquoi le rapporteur spécial suisse de l'ONU est-il ainsi diffamé?

(26 février 2022) ts. Le rapporteur spécial de l'ONU Nils Melzer* a annoncé qu'il démissionnait prématurément de son poste. Cette décision a été prise à la suite de la publication d'articles dans le «Süddeutsche Zeitung» et le «Tages-Anzeiger» de Zurich, qui ont porté atteinte à sa réputation. Nous publions ci-dessous la mise au point de Nils Melzer à l'égard du «Süddeutsche Zeitung». Le journal a refusé de reproduire sa réponse.

Auparavant, quelques réflexions: Nils Melzer a rempli sa fonction de rapporteur spécial de l'ONU sur la torture dans le plus grand respect de son mandat. En tant que citoyen suisse, il présente également notre pays sous son meilleur jour. On peut être fier d'une personnalité courageuse qui enquête sur d'éventuelles violations des droits de l'homme dans le monde entier – sans crainte ni préjugé. Cet engagement n'est pas toujours gratifiant et son exercice conséquent ne fait pas l'unanimité auprès de certains milieux puissants et influents.

Sans l'engagement infatigable de Nils Melzer, le journaliste d'investigation australien Julian Assange, par exemple, – grâce auquel nous avons eu connaissance des crimes commis pendant les guerres d'Irak et d'Afghanistan – serait aujourd'hui déjà incarcéré dans une prison américaine sans procès équitable.1 Melzer a également enquêté sur les agressions inappropriées de policiers lors d'interventions en Europe. Il a mis le doigt sur de nombreuses plaies. Cela n'a pas plu aux à tout le monde.

Dernièrement, le «Süddeutsche Zeitung» lui a «tiré dans le dos». De toute évidence, il s'agissait de le faire taire. Même si les déclarations officielles à ce sujet sont opposées. Il est étrange que le quotidien zurichois «Tages-Anzeiger», qui coopère étroitement avec le «Süddeutsche Zeitung», en ait rajouté une couche. Ce qui est encore plus grave, c'est qu’aucun autre grand média suisse n'a rapporté correctement les raisons de la démission de Melzer, et qu’il n’a reçu le soutien d’aucune instance officielle. Nils Melzer l'aurait bien mérité.

1 Point de vue Suisse. La Grande-Bretagne veut extrader Julian Assange. https://www.schweizer-standpunkt.ch/news-detailansicht-fr-recht/la-grande-bretagne-veut-extrader-julian-assange.html, 30 décembre 2021

Bien que la rédaction @SZ ait été informée des lacunes de l'article
original, elle a expressément refusé de publier un droit de réponse
ou une réplique.

«Des méthodes discutables?»

Réponse du rapporteur spécial de l'ONU Nils Melzer du 27 janvier 2022.

par Nils Melzer*

Dans le «Süddeutsche Zeitung» du 25 janvier 2022, Thomas Kirchner et Ronen Steinke me reprochent dès le titre des «méthodes douteuses» et ont même affirmé en ligne que j'agissais en tant que «témoin principal saillant des négationnistes de la covid et des adeptes de Poutine». Cette critique à l'égard de ma fonction de rapporteur spécial de l'ONU est surprenante, d'autant plus que j'ai pris le temps d'expliquer mes méthodes de travail et mes motivations à M. Kirchner par téléphone. Mais une présentation différenciée ne semble pas être l'objectif de l'article.

Au lieu de se pencher sérieusement sur les faits dérangeants qui sous-tendent mes prises de position publiques, les auteurs me poussent avec un zèle déconcertant dans le coin des complotistes. Pour ce faire, ils font référence à des médias, à des invités de podium et à des comptes Twitter qui leur sont suspects, comme si je devais répondre de l'intégrité de tous ceux avec qui j'ai affaire dans le cadre de mon travail. Que ce soit dans les zones de guerre, dans les prisons, dans la diplomatie ou dans le paysage médiatique, un engagement efficace en faveur des droits de l'homme exige toujours que l'on reste en dialogue avec tous les acteurs concernés, même si l'on n'est pas d'accord avec eux.

En outre, les auteurs semblent s'offusquer du fait que je critique la torture et les mauvais traitements même lorsque les victimes ne sont pas politiquement correctes, qu'elles pratiquent la désobéissance civile ou qu'elles ont peut-être même commis des actes répréhensibles. Ce qu'ils oublient, c'est que l'interdiction de la torture est absolue et ne souffre aucune exception. Ils reconnaîtraient probablement que je ne deviens pas un «apologiste d'Al-Qaida» simplement parce que je critique la torture à Guantanamo. Mais je ne deviendrai pas non plus un «négationniste de la covid», un «adepte de Poutine» ou un «conspirationniste» simplement parce que je dénonce la brutalité avec laquelle des policiers occidentaux et leurs chiens de service abattent, tabassent ou lacèrent des manifestants sans défense.

La cruauté impunie ne traumatise et n'aigrit pas seulement les personnes directement impliquées, mais aussi des millions de spectateurs muets sur la toile, et malmène ainsi l'ensemble de la société. Contrairement à ce que suggère l'article, il est tout à fait possible, avec une expérience et des connaissances appropriées, de conclure à la torture sur la base d'un «petit film» significatif sans enquête supplémentaire – comme dans le cas mentionné de la police néerlandaise ou justement dans le cas de George Floyd.

Il n'est pas étonnant que les forces de police concernées n'apprécient pas mes accusations de mauvais traitements. Tous les rapporteurs spéciaux de l'ONU reçoivent régulièrement des plaintes – souvent aussi de Moscou et de Pékin – qui, comme Messieurs Kirchner et Steinke, estiment que nous allons «trop loin» dans l'exercice de notre mandat. Mais la plupart du temps, ces réserves procédurales servent surtout à détourner l'attention de la cruauté et de la nocivité des crimes dénoncés et à occulter nos propres responsabilités.

C'est comme la faute dans un match de football: personne n'aime être accusé de torture et l'autojustification morale de l'adversaire politique est toujours garantie. Dans le feu de l'action, on ne comprend souvent plus qu'il pourrait simplement s'agir pour l'arbitre de faire respecter les règles – et ce même pour le footballeur modèle de notre équipe favorite. C'est précisément ce qui rend notre travail de rapporteur spécial de l'ONU non seulement indispensable, mais aussi éreintant et ingrat, d'autant plus qu'il s'agit de bien plus qu'un simple jeu de ballon.

Je regrette donc beaucoup que les auteurs ne semblent pas s'intéresser à l'immense souffrance de millions de victimes de torture et de mauvais traitements, ni aux énormes difficultés auxquelles on est confronté dans la lutte quotidienne contre l'inhumanité – à commencer par la tendance très répandue à l'indifférence, au déni et à l'enjolivement.

Malheureusement, les auteurs ne se contentent pas de déformer les faits, ils les enrichissent également de contre-vérités. Ainsi, je n'ai jamais affirmé que les deux Suédoises impliquées dans l'affaire Assange étaient «totalement invraisemblables». Comme je l'explique sans équivoque dans mon livre «Der Fall Julian Assange – Geschichte einer Verfolgung» (Piper 2021, p. 121), c'est le contraire.

La tentative malhonnête de me pousser dans le coin des «apologistes du Kremlin», des «extrémistes de droite», des «idéologues du complot», des «propagandistes haineux» ou des «milieux QAnon» est également tout à fait grotesque. Celui qui, pour des raisons professionnelles, observe des comptes Twitter, se réfère à des vidéos indiscutablement authentiques ou donne des interviews objectivement fondées, même en dehors du courant journalistique dominant, marque sans doute par là un engagement professionnel, mais pas une sympathie politique. Il y a un moment où le journalisme critique se transforme en diffamation malveillante.

Ce qui me réjouit en revanche, c'est que des personnes qui me connaissent de près m'ont apparemment attesté, lors de l'entretien avec les auteurs, un «idéalisme élevé» et une «mentalité de David contre Goliath» – une qualité effectivement indispensable dans la lutte à l'usure contre la léthargie récalcitrante des autorités étatiques dans l'application de l'interdiction de la torture et des mauvais traitements.

* Nils Melzer est un diplomate suisse, juriste, professeur de droit international à Glasgow et à Genève. Il a été nommé rapporteur spécial sur la torture par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU le 1er novembre 2016. Avant d'être nommé rapporteur spécial, il a travaillé pendant douze ans au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en tant que délégué, vice-chef de mission dans différentes zones decrise, et conseiller juridique. A l’avenir, il reprendra son travail au sein du CICR

Source: https://medium.com/@njmelzer/fragw%C3%BCrdige-methoden-56f6b3340357, 27 janvier 2022

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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