Des projets qui ont du sens

Il est dans la nature de l'enfant de se faire montrer et
expliquer les choses par des personnes plus expérimentées.
Si c'est fait correctement, cela n'entrave en rien la joie de
l'enfant de découvrir – cela l'encourage. (Photo keystone)

Une journée en forêt avec des enfants de l'école maternelle

par Barbara Roth

(25 juin 2021) Barbara Roth, enseignante en maternelle, décrit un projet qu'elle a réalisé avec ses enfants. Contrairement aux pratiques courantes actuelles, qui répondent à des concepts clés comme l’«éducation expérientielle», ce projet illustre comment guider les enfants tout en les amenant à être actifs par eux-mêmes. Il montre qu’on peut les aiguiller pour qu’ils apprennent avec ardeur et joie et acquièrent une expérience précieuse.

En raison de la covid, la semaine de projet de cette année a dû se dérouler dans les environs immédiats, sans déplacement en transports publics. Nous avons choisi le thème de la forêt, car il y a beaucoup de forêt aux alentours. Des activités en forêt étaient donc prévues, entre autres une matinée en compagnie du forestier.

Ce matin, il fait un froid glacial. Bien que nous soyons au début du mois d'avril, il y a de la neige. Les prévisions météorologiques ne sont pas idéales pour une sortie. Elles annoncent des chutes de neige pour toute la matinée. Est-il judicieux de passer quatre heures dans les bois avec 18 enfants de cinq ou six ans dans ces conditions? La rencontre avec le forestier était déjà fixée, et nous décidons ensemble de maintenir nos projets du matin malgré les températures arctiques.

Le forestier: un adulte à respecter

Bien emmitouflé, le petit groupe se met en route. Nous devons marcher pendant une heure jusqu'au point de rencontre convenu. Au moment des salutations, notre forestier discute avec les enfants du comportement à avoir en forêt. Il explique: «La forêt appartient aux animaux et aux arbres. Nous y sommes des invités et nous devons donc nous comporter comme tels: ne criez pas, ne jetez rien par terre, ne laisser rien traîner, ne cassez rien.»

Il explique cela sérieusement, en s'adressant directement aux enfants afin qu’ils se sentent pris au sérieux. Ses explications sont claires et nettes et tous les enfants comprennent de quoi il s'agit. Il les rend attentifs au fait qu'eux-mêmes n'aimeraient pas non plus qu'un visiteur dans leur domicile ne respecte pas les règles en place dans leur famille. Avec ce discours tenu de manière sérieuse, le forestier devient pour les enfants une personne adulte de référence. Tous l’écoutent attentivement.

Le forestier dirige ainsi les enfants de manière très claire tout au long de la matinée; il les guide, explique, montre, puis les laisse faire eux-mêmes, ne les aide que lorsque c'est nécessaire.

Il explique aux enfants quelles sont les tâches du forestier. Une partie importante de son travail consiste à prendre soin des arbres. Il leur demande quel usage nous faisons du bois. Les enfants énumèrent ce qui est fait en bois chez eux et à l'école maternelle.

Chaque enfant plante deux arbres

Le forestier nous informe qu'il est chargé de couper les vieux arbres malades et d'en planter de nouveaux. Il est important de savoir qu’une forêt saine comporte des conifères et des arbres à feuilles caduques. Il nous emmène vers une clairière fraîchement défrichée. Chaque enfant reçoit un petit conifère et un petit arbre à feuilles caduques avec une motte de racines. Ils doivent trouver un endroit où ils désirent planter les deux arbres, en gardant une distance suffisamment grande entre les deux. Ils doivent enjamber les branches traînant sur le sol et certains enfants trébuchent et tombent. Aucun ne se met à pleurer ou à gémir, ils sont tous occupés à trouver un endroit propice à la plantation. La première chose qu'ils doivent faire est de débarrasser l'endroit choisi des branches. Ensuite, le forestier vient faire un trou dans le sol avec un outil spécial. Les enfants plantent leurs arbres et recouvrent la motte de racines de la terre froide.

Le forestier appelle tous les enfants auprès de lui. Il explique que les petits arbres seront mangés par les chevreuils s'ils ne sont pas protégés. Donc, il leur montre des tubes en plastique qui sont placés autour des petits arbres et fixés à un piquet.

Maintenant, tous les enfants doivent aller chercher deux tubes en plastique et deux piquets dans la voiture du forestier et retourner vers «leurs petits arbres». Ils doivent attendre que le forestier ait enfoncé les deux piquets dans le sol pour chaque enfant. Ensuite, ils peuvent mettre les tubes sur les plantes.

Lors d'une promenade ultérieure dans la forêt, les enfants remarqueront de «petits arbres emballés» à divers endroits, ce qu'ils n'avaient jamais remarqué auparavant.

Une fois le travail terminé, le forestier nous conduit vers un arbre abattu et recouvert de neige. Là, les enfants peuvent s'asseoir et manger leur collation. Le forestier raconte aux enfants qu'il prend souvent un casse-croûte comme ça avec ses collègues, même en hiver. Une fois de plus, aucun enfant ne se plaint de cette situation particulière.

Les enfants à la tronçonneuse

Après la pause, le forestier nous conduit à une pile de bois. Il va chercher une tronçonneuse et un casque avec protection auditive dans sa voiture. Il fixe un tronc d'arbre sur le sol. Puis il montre aux enfants comment scier une bûche couchée. Il demande aux enfants s’ils voudraient scier une tranche de bois. Les enfants sont enthousiastes.

Même les petites filles enfilent le casque avec visière et protection auditive. Avec leurs petites mains délicates, elles peuvent, avec l'aide du forestier, manipuler la tronçonneuse bruyante et d'un poids impressionnant, scier une tranche et emporter celle-ci à la maison.

A la fin, le forestier nous donne un petit sapin avec sa motte et nous propose de le planter dans le jardin de l'école maternelle. Après l’avoir remercié et lui avoir dit au revoir, nous prenons le chemin du retour et marchons une heure. Les enfants réfléchissent à l'usage qu'ils veulent faire de leur tranche de bois. Outre un plateau à fromage ou un dessous de plat, de nombreuses autres utilisations leur viennent à l'esprit.

Malgré la glace, la neige et l'adversité: aucun enfant ne s'est plaint

A la fin de la semaine de projet, je demande aux enfants ce qu'ils ont aimé de cette semaine. La plupart des enfants parlent de la matinée passée dans la forêt avec le forestier.

Je fais part de mes réactions aux enfants et leur dis que nous avons passé une bonne matinée et que j'ai aimé le fait qu’ils aient écouté attentivement le forestier et se soient attelés à leur besogne avec diligence. J'ai été heureuse de constater que malgré le froid et la neige, tous les enfants étaient de bonne humeur.

Des projets qui ont du sens

Dans la pédagogie actuelle, on parle beaucoup de projets. Souvent, on les conçoit dans l’idée que les enfants doivent réfléchir de manière indépendante à ce qu'ils veulent, qu'ils doivent eux-mêmes faire un plan et se procurer le matériel nécessaire. Ou bien on emmène les enfants dans la forêt et on les laisse se confronter spontanément à l'environnement, aux plantes, au bois, aux animaux, ce qu'on appelle «faire l'expérience pure de la forêt». Cela consiste à «ressentir, humer, toucher, etc.» la nature, autant que possible sans être «influencé, dirigé ou contrôlé» par des adultes. Parfois, des «stations d'expérience» sont préparées, auprès desquelles les enfants peuvent faire leurs «expériences» eux-mêmes: spontanément, de manière autonome, individuellement…

On part du principe que les enfants apprennent mieux lorsqu'ils ont une «motivation intrinsèque», c'est-à-dire lorsqu'ils développent des idées, des plans et des activités d'eux-mêmes. Si les adultes instruisent, guident, planifient – selon l'idéologie du moment – on freine les enfants dans leur créativité, ils n'apprennent presque rien, leur motivation à apprendre est perturbée, voire éliminée. Mais qu'est-ce que ces enfants de quatre à six ans auraient pu apprendre dans la forêt, qu'est-ce qu'ils auraient pu développer eux-mêmes pour progresser dans leur apprentissage? Qu'auraient-ils pu «tirer d'eux-mêmes» qui les aurait remplis de fierté et encouragés? Comment auraient-ils pu apprendre à planter un arbre? Qu’il faut protéger les jeunes plants? Sans compter qu'ils n'auraient pas eu l’occasion de faire la connaissance d’une tronçonneuse en «aidant» à la manier.

Ce forestier, qui apprécie beaucoup la vie en forêt et les enfants, a démontré avec patience et sensibilité comment un adulte peut habilement transmettre aux enfants une réelle expérience de la forêt de manière adaptée à leur âge et à leurs besoins. Grâce à son humanité et à son expertise, cette journée en forêt est devenue une expérience positive et enrichissante pour les enfants.

Le projet décrit prouve que les enfants suivent les suggestions et les instructions des adultes avec beaucoup d'empressement et de plaisir, qu'ils participent avec joie, qu'ils apprennent beaucoup et qu'ils sont par la suite très fiers de leurs réalisations.

C'est ainsi que les projets ont du sens.

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