La France coincée dans l'extrême centre

Diana Johnstone (Photo ma)

par Diana Johnstone,* France

(21 mai 2022) Après des années de néolibéralisme, les politiques français qui s'aventurent hors de la loyauté inébranlable du centre conformiste envers l'Alliance atlantique sont dorénavant considérés comme dangereusement «extrêmes».

Dimanche, le 24 avril, Emmanuel Macron a été réélu pour un second quinquennat à la présidence de la République française avec 58,54% des voix. Tout comme en 2017, la candidate qu'il a battue est Marine Le Pen, qui a obtenu 41,46%. Cela ressemble à du déjà-vu.

Vu de l'extérieur, on peut y voir la preuve qu’Emmanuel Macron est un président populaire et/ou que la France a une fois de plus été sauvée de la menace fasciste. Aucune de ces impressions n'est correcte. Cela signifie surtout que la France est coincée dans un manque d’alternatives [«There Is No Alternative» (TINA)] – le remplacement néolibéral de l'expérimentation politique par une gouvernance de l'expertise.

Macron ne jouit pas d'une popularité écrasante. Lors du premier tour éliminatoire des élections, du 10 avril, plus de 72% des électeurs ont choisi l'un des 11 autres candidats.

 
Emmanuel Macron. (Photo Wikipedia)

Macron incarne le centre

Il y a environ quatre décennies, alors que le néolibéralisme commençait tout juste à dicter ses nécessités économiques, les choix politiques français étaient définis par une alternance traditionnelle «gauche-droite» au gouvernement, entre le Parti socialiste et les conservateurs nominalement (mais pas vraiment) «gaullistes», rebaptisés plus tard Les Républicains. Mais cette alternance a perdu de son intérêt car quel que soit le parti au pouvoir, et quelles que soient ses promesses de campagne, il a mené les mêmes politiques néolibérales favorisant les profits au détriment des salaires et des services publics.

Il y a cinq ans, la distinction gauche-droite étant brouillée par un tel conformisme, le moment était venu de créer un mouvement qui n'était ni de gauche ni de droite, ou peut-être les deux, mais qui était en parfaite conformité avec les politiques néolibérales de l'Union européenne.

Le jeune et beau banquier Emmanuel Macron a été initié à la politique gouvernementale par des personnalités très influentes comme le théoricien économique et social Jacques Attali, et a obtenu le soutien de la finance internationale pour ce projet gagnant. L'aura personnelle du jeune homme de 39 ans, une jeunesse vigoureuse et pressée de faire bouger les choses, a attiré les amateurs de politique à soutenir son mouvement «En Marche». Cette personnification lui a permis de remporter les élections de 2017.

Ce que Macron a accéléré, ce sont en fait les réformes néolibérales promues par l'UE. Ses politiques ont facilité la privatisation et la désindustrialisation, ainsi que la réduction des services publics tels que les hôpitaux et les transports. Cela a causé de sérieuses difficultés notamment dans les zones rurales françaises, ce qui a conduit aux manifestations des «Gilets jaunes», sévèrement réprimées par la police.

Les politiques marginalisées comme étant «extrêmes»

Le 10 avril dernier, lors du premier tour de l'élection présidentielle de cette année, les deux anciens partis «gouvernementaux», les Républicains et les Socialistes, ont été presque anéantis. La candidate des Républicains, Valérie Pécresse, bien partie dans les sondages, n'a pas atteint les 5% des voix, seuil crucial qui permet aux partis de bénéficier d'un financement public.

Le sort du Parti socialiste a été tout aussi humiliant: Anne Hidalgo, célèbre en tant que maire de Paris pour ses efforts chaotiques visant à éliminer les voitures au profit des vélos et des scooters, a obtenu un score pathétique de 1,75%, encore moins que le candidat du Parti communiste, Fabien Roussel, qui a obtenu 2,28%.

L'élection du 10 avril a produit trois grands blocs de vote, autour de trois candidats aux partis faibles, aux programmes incertains mais aux personnalités fortes représentant chacun une posture: Emmanuel Macron 27,83%, Marine Le Pen 23,15%, Jean-Luc Mélenchon (JLM) du parti La France Insoumise, 21,95%.

Si JLM était arrivé en deuxième position, face à Macron, il y aurait sûrement eu une campagne de peur le stigmatisant comme dangereusement «extrême», voire «communiste» et «un ami anti-européen de Poutine». Au lieu de cela, Marine Le Pen est arrivée deuxième, et la campagne de peur l'a stigmatisée elle comme étant «d'extrême droite», voire «fasciste» et «une amie anti-européenne de Poutine».

Les politiques situées en dehors du centre conformiste sont dangereusement «extrêmes».

 
Jean-Luc Mélenchon. (Photo Wikipedia)

Mélenchon incarne la gauche

Le score élevé de Mélenchon est le triomphe d'une forte personnalité sur les partis. Sa rhétorique enflammée a été largement reconnue par le public lorsqu'il a rompu avec le Parti socialiste lors du référendum de 2005 sur le projet de Constitution européenne.

La Constitution a été rejetée par les électeurs, mais au mépris du vote populaire, les parlementaires ont adopté les mêmes mesures dans le Traité de Lisbonne, confirmant ainsi les politiques néolibérales mondialistes de l'UE et son attachement à l'OTAN.

En 2016, Mélenchon a fondé son propre parti, La France Insoumise, dont le principal atout est sa propre vigueur oratoire et sa relation acariâtre avec les médias et les adversaires. Dans la course à la présidentielle de 2017, il est arrivé en quatrième position avec des promesses de politiques audacieuses défiant les contraintes de l'UE.

Cette fois-ci, Mélenchon a adopté un programme qui manquait de cohérence mais qui visait clairement à obtenir des voix de toutes les composantes de la gauche française, divisée et affaiblie. Il a mis l'accent sur des mesures généreuses visant à améliorer le «pouvoir d'achat»: l'augmentation du salaire minimum, l'abaissement de l'âge de la retraite à 60 ans, le contrôle des prix des produits de première nécessité – des mesures qui semblaient irréalistes même pour de nombreux membres de la gauche.

Les mesures qu'il a prises pour séduire le vote écologiste vont de la gratuité des repas dans les écoles à l'abandon progressif de l'énergie nucléaire d'ici 2045 – à l'encontre de la tendance croissante en France à considérer l'industrie nucléaire française comme essentielle à la survie.

Le candidat des Verts, Yannick Jadot, qui rêvait d'imiter le succès des Verts allemands belliqueux, n'a ainsi obtenu que 4,63% des voix.

Pour les électeurs LGBTQI, Mélenchon a parlé favorablement de la modification de la Constitution pour garantir le droit de changer de sexe (un droit qui existe déjà). Cela pourrait être considéré comme un peu contradictoire avec ses efforts pour gagner le soutien de la communauté musulmane.

Néanmoins, les dirigeants musulmans ont publié une déclaration:

«Nous, imams et prédicateurs, appelons les citoyens français de confession musulmane à voter au premier tour pour le moins pire des candidats à cette élection présidentielle: Jean-Luc Mélenchon.»

Selon les sondages de sortie des urnes, Mélenchon a obtenu près de 70% des votes musulmans.

Cela peut avoir recoupé quelque peu son score élevé chez les jeunes des villes et des banlieues ethniquement mixtes: 38% des électeurs de moins de 25 ans. Il a demandé l'abaissement de l'âge du droit de vote à 16 ans.

Dans l'ensemble, le vote de Mélenchon correspond le plus clairement au vote identitaire axé sur les questions sociétales plutôt que socio-économiques. Bien qu'il ait obtenu de bons résultats auprès de la classe ouvrière (27% des ouvriers et 22% des employés), Marine Le Pen a fait mieux (33% et 36%).

Interrogés sur les raisons pour lesquelles ils ont voté pour Mélenchon, environ 40% ont répondu que c'était un vote «utile» – non pas pour soutenir son programme, mais plutôt parce qu'il était le candidat de gauche qui aurait pu éliminer Marine Le Pen. Il rêve désormais de balayer les élections législatives de juin pour devenir le chef de l'opposition – voire le Premier ministre.

Le dernier mot de JLM à ses partisans, le soir du 10 avril, était impératif: «Pas une voix pour Marine Le Pen!».

 
Marine Le Pen. (Photo Gilbert-Noël Sfeir Mont-Liban/
flickr.com)

Marine Le Pen, l’outsider

Un ennemi est toujours un facteur d'unification, et pour la gauche française fracturée, Marine Le Pen est l'unificatrice. Elle a hérité ce rôle de son père, Jean-Marie Le Pen.

Au début des années 1980, lorsque le président François Mitterrand a brusquement abandonné le Programme commun qui l'avait fait élire avec un fort soutien du Parti communiste, le Parti socialiste a changé d'orientation idéologique pour se tourner vers l'«antiracisme».

L'antiracisme s'est progressivement mué en un soutien à l'immigration et même à l'ouverture des frontières, au motif que toute restriction à l'immigration est motivée par la «haine raciale».

Ce n'était pas l'attitude traditionnelle de la gauche. Au début des années 1930, et pendant des décennies par la suite, l'opposition à l'immigration de masse était une politique clé de la gauche marxiste et du mouvement ouvrier, qui voyait dans l'immigration de masse une technique du capital pour diviser la solidarité ouvrière et faire baisser les salaires.

L'immigration n'est devenue une question clé que depuis que la gauche institutionnalisée a abandonné son programme économique pour se rallier au néolibéralisme imposé par l'Union européenne. Il se trouve que l'ouverture des frontières est une position totalement compatible avec l'économie néolibérale, et les deux peuvent prospérer ensemble, en tendant vers la politique tribaliste.

En 1980, le plus proche que les socialistes aient pu trouver comme méchant raciste était Jean-Marie Le Pen, qui était opposé à l'immigration de masse principalement pour des raisons d'identité nationale. Son parti diversifié, le Front national, comprenait des vestiges de groupes d'ultra-droite moribonds, même si JMLP était plus facétieux que fasciste. Ses ennemis ont fait de sa remarque selon laquelle «les chambres à gaz étaient un détail de la Seconde Guerre mondiale» une preuve de complicité avec l'Holocauste. Des ennemis plus déterminés ont fait sauter son appartement, ce qui a impressionné sa fille Marine, alors âgée de 8 ans.

Marine Le Pen a poursuivi une carrière d'avocat, s'est mariée deux fois et a eu trois enfants avant de se tourner vers la politique et d'hériter virtuellement du parti politique de son père à la retraite. Jean-Marie aimait être provocateur. Marine voulait gagner les cœurs et les esprits.

Elle a éliminé les éléments les plus extrémistes du parti, s'est présentée avec succès aux élections législatives dans la ville septentrionale défavorisée d'Hénin-Beaumont, a changé le nom du parti de Front National en Rassemblement National, plus large, et a pris de plus en plus de distance avec le parti lui-même.

Elle a essayé d'être aimable envers les organisations juives. Son programme prévoyait un référendum populaire sur le contrôle de l'immigration, qui permettrait notamment à la France d'expulser les étrangers condamnés pour des crimes graves. Ses propositions les plus controversées (et probablement impossibles) concernaient «l'éradication de l'idéologie extrémiste islamique» (distinguée de l'islam conventionnel).

De droite à gauche: Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen au Parlement
européen à Strasbourg, le 10 décembre 2013. (Photo © Claude Truong-Ngoc/
Wikimedia Commons)

Jean-Marie Le Pen était farouchement anti-de Gaulle, notamment parce que le président Charles de Gaulle a concédé l'indépendance à l'Algérie. C'est de l'histoire ancienne pour la génération de sa fille.

Marine Le Pen s'identifie de plus en plus au gaullisme: patriotisme, indépendance nationale et un conservatisme social qui respecte les intérêts de la classe ouvrière.

Elle a demandé que la France quitte le commandement conjoint de l'OTAN, comme l'avait fait de Gaulle en 1966. (Le président Nicolas Sarkozy l'a réintégré en 2009). Elle a également prôné une politique étrangère indépendante, normalisant les relations avec la Russie – un point qu'elle a réitéré même après l'invasion russe de l'Ukraine.

Entre-temps, diverses guerres, notamment la destruction de la Libye en 2011, ont accéléré l'immigration clandestine.

Si la fuite des cerveaux – notamment du personnel médical quittant les pays pauvres – est toujours la bienvenue, l'économie n'est actuellement pas en mesure d'absorber la main-d'œuvre non qualifiée, ce qui entraîne inévitablement des problèmes sociaux. Le refus de la gauche de reconnaître l'existence de ces problèmes fait qu'il est extrêmement difficile de soulever la question sans être taxé de «raciste». Mais les questions soulevées sont là.

Affiche d’une conférence d'Eric Zemmour en
2014. (Photo Renaud Camus, Flickr, CC BY 2.0)

Zemmour, le candidat-surprise

En réalité, l'opposition à l'immigration de masse a soudainement dominé cette campagne présidentielle, lorsque l'écrivain politique et commentateur de télévision Eric Zemmour a entrepris de voler le sujet à Marine Le Pen et de le porter jusqu'à la présidence.

Zemmour est une sorte d'anti-BHL, tout le contraire du riche «philosophe» Bernard Henri Lévy (BHL) – tous deux d'origine juive algérienne.

Dans les années 1980 de Mitterrand, BHL s'est fait connaître en tant que leader de la gauche libérale anticommuniste, fustigeant la France pour son fascisme et son antisémitisme latents. Si les Etats-Unis et l'OTAN peuvent faire la guerre en Afghanistan, en Bosnie, en Libye ou en Ukraine, il est tout à fait d'accord.

BHL est grand et se veut glamour. Zemmour est petit et effacé mais parle plus raisonnablement que le flamboyant BHL.

Contrairement aux leçons de morale de Bernard Henri Lévy aux Français, Zemmour a embrassé sa patrie française avec un amour ardent et souhaite la défendre contre les périls de l'immigration de masse et de l'extrémisme islamiste. Ses premiers rassemblements ont attiré des foules enthousiastes, attirant notamment de nombreux jeunes hommes instruits.

Alors que Marine Le Pen séduit la classe ouvrière des petites villes et des zones rurales, Zemmour a gagné ses partisans parmi la classe supérieure éduquée, appelant à une «Reconquête» de la France du «grand remplacement» des Français par l'immigration.

Zemmour est arrivé en quatrième position avec un peu plus de 7% au premier tour, contre 23,15% pour Le Pen. Son ambition est de diriger la formation d'un nouveau parti de droite. Il a obtenu des résultats relativement bons dans les quartiers riches de l'Ouest parisien et est arrivé en tête parmi les Français d'outre-mer vivant en Israël et dans d'autres pays de la région.

Il semble que Zemmour ait légèrement mordu dans le vote des revenus supérieurs qui est finalement allé assez solidement à Macron. La division de classe était claire dans l'élection finale – Macron a obtenu les votes des prospères, Marine était la favorite des oubliés.

Lors de l'élection finale, Marine Le Pen a balayé les territoires français d'outre-mer dans les Antilles, obtenant 70% en Guadeloupe et 60% en Martinique et en Guyane française. Etant donné que 93% de la population de la Guadeloupe est d'origine africaine, ce vote semble confirmer que, quoi que d'autres puissent dire ou penser, les partisans de Marine Le Pen ne la considèrent pas comme «raciste». [L'une de ses positions les plus controversées, dont Macron a beaucoup parlé lors des débats, est d'interdire aux femmes de se couvrir la tête en public. Macron a déclaré que cela déclencherait une «guerre civile»].

La personnalité compte en politique. Tout comme la popularité de Mélenchon doit beaucoup à son caractère irascible, la popularité de Marine Le Pen doit beaucoup à sa personnalité publique: une femme qui apparaît chaleureuse, de bonne humeur et résistante.

Halte au fachisme!

Après avoir d'abord lancé le mot d'ordre «Pas une voix pour Le Pen!», Mélenchon a ensuite exhorté ses électeurs du premier tour à ne pas s'abstenir, approuvant de fait Macron. L'idée était que l'élection de Le Pen mettrait fin à nos libertés une fois pour toutes.

Plus de 350 ONG ont signé une déclaration du Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP) avertissant que son élection allait «abolir l'Etat de droit».

Des petits groupes d'étudiants anarchistes ont occupé temporairement la Sorbonne et quelques autres universités d'élite à Paris et ont tout saccagé pour montrer leur mécontentement, un avertissement de ce qui pourrait arriver plus tard.

La Confédération générale du travail (CGT) a déclaré que: «L'histoire montre qu'il y a une différence de nature entre les partis républicains qui prennent le pouvoir et le cèdent et l'extrême droite qui, une fois au pouvoir, le confisque.»

Et comment le ferait-elle? Son parti n'est pas très fort et repose entièrement sur la politique électorale. Il n'y a pas de milice organisée pour utiliser la force à des fins politiques (comme dans le cas des vrais fascistes historiques). Il existe de nombreux contre-pouvoirs en France, notamment les partis politiques, les médias hostiles, une magistrature largement orientée à gauche, les forces armées (liées à l'OTAN), les grandes entreprises et le monde de la finance qui n'ont jamais soutenu Le Pen, l'industrie du divertissement, etc.

En réalité, le véritable danger de l'élection de Marine Le Pen était tout le contraire: la difficulté qu'elle aurait eue à gouverner. Dans sa campagne, elle a clairement indiqué qu'elle souhaitait partager le pouvoir, mais avec qui? Certains groupes promettaient de soulever l'enfer dans les rues. La plupart de ses propositions de loi auraient été impossibles à mettre en œuvre ou se seraient heurtées à l'opposition des tribunaux.

L'hypothèse du compromis

Imaginons un contexte différent, où la «gauche» n'est plus définie par le «refus absolu d'avoir quoi que ce soit à faire avec qui que ce soit à droite».

Le programme de Macron pour les cinq prochaines années accélère encore les réformes néolibérales parrainées par l'UE, notamment en allongeant l'âge de la retraite de 62 ans, comme c'est le cas actuellement, à 65 ans.

Mélenchon a en fait appelé à abaisser l'âge de la retraite à 60 ans. De son côté, Marine Le Pen a insisté sur son soutien au maintien d'un âge de la retraite plus bas, avec une attention particulière pour tous ceux qui ont exercé des emplois physiquement exigeants depuis leur plus jeune âge. Cette position l'a aidée à arriver en tête auprès des électeurs de la classe ouvrière.

Dans un contexte imaginaire différent, un Mélenchon aurait pu proposer un compromis avec Le Pen, afin de battre Macron et de réaliser un programme un peu plus social.

Puisque les deux étaient largement d'accord sur la question cruciale de la politique étrangère – en particulier, éviter la guerre avec la Russie – il aurait été possible d'élaborer en commun une sorte de politique «gaulliste» qui briserait l'emprise de l'extrême centre, avec sa loyauté inébranlable envers l'Alliance atlantique. Cela n'aurait pas conduit à une «confiscation du pouvoir» mais aurait bouleversé les choses. Ce serait réintroduire l'alternance dans la vie politique.

Mais en réalité, telle qu'elle est, Mélenchon a donné l'élection à Macron. Et maintenant, il aspire à diriger l'opposition à Macron. Mais Marine Le Pen aussi et... Eric Zemmour.

Marine Le Pen et le président russe Vladimir Poutine en
2017. (Photo kremlin.ru/Wikimedia Commons)

L'élection et la guerre en Ukraine

Lorsque les forces russes ont pénétré en Ukraine le 24 février, le pronostic était que cela solidifierait la position de Macron en tant que chef d'Etat dans une crise militaire. Alors que les médias et les politiciens se sont précipités pour exprimer leur solidarité avec l'Ukraine contre la Russie, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont été dénoncés pour leur attitude bien connue envers l'amélioration des relations avec la Russie. Une photo de Marine Le Pen avec Vladimir Poutine a été largement diffusée par les adversaires Verts dans l'espoir que cela détruise ses chances.

Cela ne s'est pas passé comme ça. En fait, ces deux «compréhensifs de Poutine» ont vu leur cote de popularité augmenter à mesure que la guerre se poursuivait.

De plus, Fabien Roussel, le jeune et frais candidat du Parti communiste, était sur le point de faire un léger retour pour son parti lorsque la guerre a commencé, mais il a commencé à sombrer après avoir adopté la position occidentale conventionnelle antirusse et pro-ukrainienne.

Le candidat des Verts Yannick Jadot, qui avait espéré imiter le succès des Verts allemands, et Valérie Pécresse, candidate des Républicains, autrefois puissants, ont tous deux suivi la ligne occidentale officielle sur la guerre. Aucun d'entre eux n'a atteint 5%.

Au premier tour, la guerre n'était donc pas un sujet – du moins pas un sujet ouvert, mais elle a pu être un sujet caché, indiquant que les électeurs français ne sont pas aussi russophobes qu'ils sont censés l'être.

Cependant, lors de leur débat télévisé de trois heures le 20 avril, Macron a pris un chemin de traverse pour attaquer Le Pen.

Contrairement à Macron, dont les campagnes peuvent toujours compter sur de généreux donateurs, Marine Le Pen est chroniquement à court de fonds. En 2014, alors qu'aucune banque française ne voulait lui prêter de l'argent pour les prochaines élections régionales, elle a contracté un prêt de 9,4 millions d'euros auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB). La banque a depuis fait faillite, et elle continue de payer ses créanciers. Au cours de leur débat, Macron a brusquement fait référence à ce prêt, qui est de notoriété publique, en disant à Le Pen que «lorsque vous parlez à Poutine, vous parlez à votre banquier». Elle a réagi avec indignation, soulignant qu'elle était une femme libre.

Alexeï Navalny a ensuite fait une déclaration depuis sa prison russe en faveur de Macron. Trois premiers ministres européens, Olaf Scholz (Allemagne), Pedro Sanchez (Espagne) et Antonio Costa (Portugal) ont écrit une lettre ouverte s'opposant à Marine Le Pen en tant que «candidate d'extrême droite qui se range ouvertement du côté de ceux qui attaquent notre liberté et notre démocratie, des valeurs fondées sur les idées françaises des Lumières». Les dirigeants européens se sont naturellement empressés de féliciter Macron pour sa victoire en tant qu'engagement pour la construction européenne.

Marine Le Pen avait insisté sur le fait que la division politique significative n'était plus entre la gauche et la droite mais entre la préservation de la nation et la mondialisation. La division drastique du monde résultant de la crise ukrainienne est considérée par certains comme mettant fin au mythe de la mondialisation, et la préoccupation pour le bien-être de la nation est inévitablement croissante. Néanmoins, dans cette élection, la mondialisation l'a emporté sur la préservation de la nation.

La guerre n'a pas été un enjeu majeur en France, en grande partie parce que Macron lui-même est peut-être le moins russophobe des dirigeants des grands pays européens. Ses efforts pour encourager l'Ukraine à négocier le règlement du problème du Donbass conformément aux Accords de Minsk ont échoué, mais au moins il a fait ces efforts, ou a semblé les faire. Il semble vouloir sauver ce qu'il peut de sa position de négociateur potentiel, alors même que toutes les perspectives de négociations sont bloquées par les Etats-Unis qui insistent pour utiliser la crise ukrainienne pour vaincre (voire détruire) la Russie.

Gouverner par les cabinets de conseil

Le 17 mars, le Sénat français a publié un rapport qui révèle la nature profondément technocratique du régime Macron. Au cours des quatre dernières années, le gouvernement Macron a versé au moins 2,43 milliards d'euros à des cabinets de conseil internationaux (en grande partie américains) pour concevoir des politiques ou des procédures dans tous les domaines, notamment celui de la santé publique. Par exemple, le cabinet de conseil McKinsey facture au ministère de la Santé 2700 euros par jour, une somme égale au salaire mensuel d'un employé d'un hôpital public.

Cela revient à une forme de privatisation très coûteuse du gouvernement. Plus grave encore, cela revient à confier la capacité intellectuelle du gouvernement français à des agences capables de façonner le récit occidental uniforme dans tous les domaines. C'est ainsi que la «gouvernance» technocratique détruit le gouvernement politique.

Macron a célébré sa victoire sous le drapeau européen. Marine Le Pen avait appelé à une politique étrangère française indépendante du «couple franco-allemand». Macron promet de préserver le partenariat étroit avec l'Allemagne – même si les tendances dans les deux pays divergent de plus en plus visiblement. La perspective d'une politique étrangère française indépendante et «gaulliste» reste lointaine.

Source: https://consortiumnews.com/2022/04/27/diana-johnstone-france-stuck-in-the-extreme-center/

(Traduction «Point de vue Suisse»)

* Diana Johnstone a été attachée de presse du groupe des Verts au Parlement européen de 1989 à 1996. Dans son dernier livre, Circle in the Darkness: Memoirs of a World Watcher (Clarity Press, 2020), elle raconte les épisodes clés de la transformation du parti vert allemand, qui est passé d'un parti de paix à un parti de guerre. Parmi ses autres ouvrages, citons La Croisade des fous: Yougoslavie, première guerre de la mondialisation (Fools’ Crusade: Yugoslavia, NATO and Western Delusions – Pluto/Monthly Review) et, en collaboration avec son père, Paul H. Johnstone, From MAD to Madness: Inside Pentagon Nuclear War Planning (Clarity Press). Vous pouvez la joindre à l'adresse suivante: diana.johnstone@wanadoo.fr

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