Le métier d'enseignant en mutation

La transformation miraculeuse de l'ancien métier d'enseignant en un simple emploi

par Alain Pichard*

(22 août 2025) (CH-S) L'exemple d'une enseignante expérimentée permet d'esquisser la mutation progressive de la perception du métier d'enseignant. Des aspects essentiels de la conception de cette profession semblent avoir été perdus au cours des dernières décennies, marquées par un «développement scolaire».

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Alain Pichard.
(Photo mad)

Il y a un an, peu avant les vacances d'été 2024, alors que la commune de Pieterlen BE, dans le Seeland, manquait de 25 enseignants, une nouvelle direction scolaire mise en place à titre provisoire s'est lancée dans une recherche désespérée de personnes capables d'enseigner à plus de 300 enfants «privés d'enseignement» en quelques semaines. Elle a notamment épluché une liste d'enseignants à la retraite et tenté de convaincre certaines personnes de reprendre du service pendant un an. Finalement, sept enseignants à la retraite ont accepté d'enseigner à Pieterlen. L'une d'entre eux était Renate B., 67 ans, retraitée depuis quatre ans. Elle habite à Pieterlen et a pris en charge une classe de 4e année.

L'assistante qui lui avait été attribuée ne lui convenait pas vraiment. Elle ne la trouvait pas assez fiable. La responsabilité de la classe lui incombait et il était hors de question pour elle de partager cette tâche.

«Etre enseignant, c'est plus qu'un simple ‹travail›. Malgré une
bureaucratisation croissante, il s'agit d'assumer la responsabilité du
destin de chaque élève.» (Photo keystone)

Elle dirigeait la classe avec énergie et pratiquait principalement, mais pas exclusivement, un style d'enseignement centré sur le maître. Les élèves s'étonnaient que leur écriture soit soudainement critiquée et qu'ils travaillent moins à l'ordinateur. Mais ils estimaient visiblement cette vieille dame. Peut-être parce qu'ils réalisaient qu'ils apprenaient des choses, mais certainement parce que cette retraitée pleine d'énergie leur faisait vivre des aventures folles.

La salle de dessin de l'école était dans un état lamentable, ce qui agaçait Renate B. Elle a donc décidé de la rénover avec sa classe. Elle pouvait compter sur les ressources des parents et son mari l'a également aidée. Ils ont nettoyé, peint, rangé, poncé, écrit, commandé et rangé. La dernière étape a eu lieu un samedi sans cours, qui s'est transformé en véritable fête. Personne ne voulait être dédommagé pour ce samedi. Pas les parents, car ils apprécient l'école comme «garderie», pas les enfants, car ils aimaient venir à l'école, et encore moins Renate B., qui cherchait à enseigner quelque chose aux enfants.

Une opération n'est envisageable qu'après les vacances d'été

Pour le quatrième trimestre, elle avait prévu une semaine à la campagne avec sa classe. Elle avait loué un petit logement dans l'Emmental. Pour cette semaine, elle bénéficiait du soutien de divers membres de sa famille. Une semaine avant ce séjour, Renate B. a dû être transportée d'urgence à l'hôpital. La direction de l'école était convaincue que la semaine devait être annulée. Mais pour Renate B., il était clair que cette semaine devait avoir lieu, ses élèves l'avaient bien mérité après cette année épuisante. Elle a dit aux médecins: «Donnez-moi les médicaments nécessaires, je dois tenir encore huit semaines.» Une opération ne serait envisageable qu'aux vacances d'été.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Renate B. est partie avec ses élèves de 4e année dans l'Emmental, a organisé des concours, des randonnées nocturnes, une course d'orientation et des jeux dans la forêt, et les enfants sont revenus les yeux brillants.

Lors de l'avant-dernière semaine d'école, elle a voulu offrir à sa classe une belle fin d'année. Il s'est avéré que les parents d'un élève possédaient un terrain au bord du lac. Les élèves ont ainsi pu profiter d'une randonnée à vélo avec baignade et une nuit sous tente au bord du lac de Bienne.

Jamais participé à une semaine verte, assisté à une pièce de théâtre ou passé une nuit à l'extérieur

Un chercheur renommé dans le domaine de l'éducation m'a récemment confié que ses filles étaient désormais en 2e et 5e année. La classe de 2e année compte sept enseignantes, principalement jeunes. Le lundi matin, pour des raisons d’horaire, les enfants ont deux cours de sport et deux cours de musique. L'après-midi, c'est l'éducation artistique. Les matières «difficiles» commencent le mardi.

Les deux enseignantes chargées de la classe se sont réparti la semaine: l'une travaille le mardi et le mercredi et l'autre le mercredi, le jeudi et le vendredi. Interrogée sur cette organisation des cours, la direction de l'école a invoqué la pénurie actuelle d'enseignants. On se trouve actuellement dans un marché favorable aux employés. Les deux enseignantes ont exigé un taux d'occupation de 20% et 40%, il ne leur est pas possible d’en faire plus. La fille de 11 ans du chercheur en éducation n'a encore jamais participé à une semaine verte, ni assisté à une pièce de théâtre ou passé une nuit à l'extérieur.

Au centre d'enseignement secondaire d'Orpund, où l'auteur de ces lignes a travaillé pendant de longues années comme enseignant, il était d'usage que les maîtres et maîtresses commencent les cours le lundi et les terminent le vendredi après-midi. Le responsable de la planification des horaires avait pour consigne d'organiser les cours dans ce sens. Entre-temps, cette règle a été supprimée sans tambour ni trompette. Les temps partiels, les demandes spéciales et surtout le souhait d'un week-end prolongé ont enterré ce système. Parmi les nouveaux enseignants, rares sont ceux qui sont prêts à travailler à 100% et le souhait d'avoir le lundi ou le vendredi libre est de plus en plus souvent une condition de prise de fonction.

Jeunes enseignants issus de la HEP: rares sont ceux qui veulent travailler à 100% ou assumer des tâches supplémentaires en tant qu’enseignant titulaire

La formation de la HEP, avec sa spécialisation restrictive, la hiérarchisation de l'école avec des directions qui appliquent rigoureusement les compétences personnelles, la mise sous tutelle des enseignants, qui n’ont plus de possibilités de participer aux questions de politique scolaire, l'interdiction de s'exprimer de la part des autorités éducatives, les mesures d'austérité massives du début des années 2000, l'illusion du transfer des contenus d'apprentissage vers des programmes d'enseignement numériques, un programme scolaire que personne ne comprend ou la suppression du statut de fonctionnaire ont laissé des traces.

Une augmentation salariale de 300 francs pour enrayer la fuite des enseignants titulaires

Lorsque l'on traite les collaborateurs de cette manière, ils finissent par se comporter comme des employés normaux dans une entreprise. Ils font leurs calculs, veillent eux-mêmes à avoir des conditions de travail acceptables et changent d'emploi lorsque cela ne leur convient plus. La Direction de l'instruction publique du canton de Berne l'a désormais également compris. Afin d'enrayer la fuite des enseignants titulaires, elle mise depuis peu sur des incitations économiques. Depuis 2024, chaque enseignant titulaire reçoit une augmentation salariale de 300 francs.

La responsabilité envers les élèves mise à mal

Afin d'éviter tout malentendu, précisons que ces enseignants modernes se comportent généralement de manière tout à fait professionnelle. Ils s'efforcent de bien faire leur travail, commencent les cours plus ponctuellement que leurs «aînés» et se préparent soigneusement. Ils appliquent également consciencieusement les bienfaits de la pédagogie moderne enseignée à la HEP: les cours auto-organisés, le rôle de l'enseignant en tant que facilitateur d'apprentissage ou le modèle libérateur de l'autocontrôle par les élèves sont introduits avec conviction, mais généralement avec un succès mitigé.

Ce qui est laissé pour compte, c'est le principe fondamental de la profession enseignante: la responsabilité de la réussite scolaire des élèves qui leur sont confiés. Cela est difficilement réalisable avec un engagement à temps partiel, la fragmentation des horaires ou les méthodes d'enseignement mentionnées ci-dessus.

Il ne s'agit pas ici d'idéaliser l'engagement de Renate B. avec des mots tels que «dévouement» ou «passion». Il s'agit de la volonté d'assumer la responsabilité de l'apprentissage en classe.

Certaines personnes considèrent peut-être Renate B. comme une enseignante démodée. Mais s'intéresser à chacun de ses élèves et leur transmettre le message «Je veux que tu y arrives!» n'a rien de démodé. Elle a donné à sa classe la cohésion nécessaire grâce à des projets qui ont rendu les élèves fiers. Elle ne voulait pas se contenter de prendre les enfants qui lui étaient confiés dans l’état dans lequel ils se trouvaient, mais leur donner envie de s'élever et de se dépasser.

* Alain Pichard, né en 1955, enseigne depuis 42 ans dans le secondaire, principalement dans des écoles défavorisées de Bienne. Il est co-initiateur du mémorandum «550 contre 550», coéditeur du magazine «Einspruch», fondateur du théâtre pour apprentis et migrants «TheaterzoneBiel», syndicaliste et membre du Parti vert'libéral (PVL).

Source: https://condorcet.ch/2025/07/die-wundersame-verwandlung-des-einstigen-lehrerberufs-in-einen-allerweltsjob/, 28 juillet 2025

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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