Pas d’alternative à une solution négociée!

Wolgang Herzberg (Photo
www.wolfgang herzberg.de)

par Wolfgang Herzberg,* Allemagne

(6 décembre 2022) En tant que descendant de survivants juifs allemands et auteur politique de longue date, dont les membres de la famille ont été tués ou dispersés dans le monde entier par le génocide nazi, mais dont les parents sont également retournés à Berlin après la Seconde Guerre mondiale, en raison d’une responsabilité politique profondément ressentie, pour contribuer à la construction d’une Allemagne antifasciste et pacifique, je me pose les questions fondamentales suivantes sur la guerre en Ukraine, que j’aimerais également adresser à l’opinion publique et à tous les responsables politiques, en tenant compte de ces expériences familiales existentielles.

Les énormes moyens militaires, économiques et financiers mis en œuvre jusqu’à présent par l’OTAN pour mettre fin à la campagne russe en Ukraine peuvent-ils réellement conduire à une «politique étrangère basée sur les valeurs» (dixit Baerbock) et donc à la fin de la guerre la plus dangereuse sur le sol européen depuis 1945? Ou est-ce exactement le contraire? Cela permet-il vraiment de défendre «notre ordre de paix européen», «le droit international», «l’ordre des valeurs démocratiques libérales», ou ces nobles objectifs ne sont-ils pas plutôt détruits et poussés à l’absurde par un mauvais choix de moyens?

Logique de guerre

En effet, les nouvelles extraordinairement inquiétantes que nous apprenons d’heure en heure dans les médias et de la part des dirigeants politiques de tous bords parlent un langage belliciste dangereux qui ne cesse de s’amplifier et qui conduit à une escalade toujours plus marquée de ce terrible conflit.

Se pourrait-il – et je ne suis pas le seul à me le demander – que cette logique de guerre repose également sur la poursuite d’une politique occidentale erronée, parce que précisément non «basée sur des valeurs», mais qu’elle signifie l’échec de cette politique sur toute la ligne? Quelqu’un croit-il vraiment que des armes toujours plus modernes, des sanctions aussi dures soient-elles et des injections financières colossales pourraient générer la paix?

Les développements actuels, comme la mobilisation partielle de la Russie, l’adhésion de l’Ukraine orientale à la Russie et l’attaque contre les pipelines, montrent clairement que ce n’est pas le cas. Je suis fermement convaincu que seule une politique de solutions diplomatiques négociées peut conduire à la paix. C’est ce que pensent intuitivement de très nombreuses personnes avec lesquelles j’ai parlé ces derniers mois.

Mais ces voix d’avertissement n’ont jusqu’à présent guère atteint le grand public politique. Un tel discours, d’égal à égal, n’est pas souhaité – il est mis à l’écart. C’est une politique de l’autruche dangereuse.

Une paix dictée illusoire au lieu d’une solution négociée?

Nous sommes au contraire entraînés dans une spirale de guerre de plus en plus rapide. Une solution négociée et susceptible de faire l'objet d'un compromis, incontournable à mon avis, ne semble pas être souhaitée, en particulier par l'OTAN et les dirigeants ukrainiens. Ils misent plutôt sur une capitulation de la Russie, sur une paix dictée illusoire contre la Russie, alliée de longue date à la Chine, une Russie qui n’a jadis pu être mise à genoux et vaincue ni par les Suédois ou les Huns, ni par Napoléon, ni par la Première Guerre mondiale, ni par les guerres d’intervention, et encore moins par la Seconde Guerre mondiale.

La Russie et la Chine représentent ensemble les pays les plus grands, les plus développés sur le plan industriel et militaire et les plus peuplés de la planète. Dans un premier temps, je ne fais que constater ces liens géopolitiques sur la base de faits, indépendamment de qui a réellement provoqué l’escalade de ce conflit mondial. Car la réponse à cette question est loin d’être aussi simple que l’«Occident» veut nous le faire croire.

«Carte militaire erronée»

Se pourrait-il que le parti de la guerre occidental mise à nouveau sur une carte militaire totalement erronée, après le récent échec de la guerre en Afghanistan? Est-ce la bonne leçon à tirer de ce désastre grandiose, où il s’agissait soi-disant aussi d’imposer les droits de l’homme? Où même des centaines de contingents d’armée du monde entier, dotés d’un équipement moderne, ont combattu pendant deux décennies avec des pertes pour être finalement vaincus par les francs-tireurs talibans, bien plus faibles?

Des dizaines de milliers de morts causées par une «politique basée sur les valeurs»?

Je demande donc avec insistance: quelle est cette «politique basée sur des valeurs» qui accepte des milliers et des milliers de morts de tous les côtés? Sur quelles «valeurs» se fonde une politique dont l’exécution entraîne de plus en plus de destructions dues à la guerre – dans des régions qui doivent soi-disant en être libérées?

Quelle est cette «politique basée sur des valeurs» qui engendre toujours plus de misère et de flux de réfugiés de tous côtés et qui apporte ainsi de nombreuses voix aux nationalistes et aux racistes du monde entier?

Qu’est-ce que cette «politique basée sur des valeurs» qui ne cesse d’aggraver la crise énergétique mondiale et la crise de la faim dans le monde, dont les conséquences catastrophiques doivent être «amorties» après coup par des milliards de nouvelles dettes, y compris en Occident, grâce à une politique sociale symbolique qui réagit de manière frénétique?

Sur quelles «valeurs» se fonde une politique dont la conséquence est l’effondrement des chaînes d’approvisionnement mondiales et l’explosion des taux d’inflation pour tous les coûts de la vie?

Quelqu’un pense-t-il sérieusement qu’en Occident aussi, de plus en plus de gens ne se posent pas ces questions lancinantes, alors que leur situation se dégrade chaque jour davantage et que leurs conditions de vie péniblement acquises s’érodent en raison de cette politique prétendument «fondée sur des valeurs»?

Non, cette prétendue «politique basée sur les valeurs» n’est en aucun cas une stratégie de paix efficace. Elle en est même le contraire. C’est pourquoi elle est à nouveau vouée à l’échec en Ukraine et dans le monde entier, et recèle même le risque d’une troisième guerre mondiale, d’une ampleur nucléaire sans précédent.

Une «nouvelle Ostpolitik» s’impose

Je pose donc la question suivante: sur quoi reposent les erreurs d’appréciation de ce conflit mondial, notamment de la part du monde occidental, avec les dirigeants des Etats-Unis à sa tête? Ou pense-t-on sérieusement que seuls les dirigeants de la Russie et de la Chine doivent se poser ces questions? La politique de détente de Willy Brandt et d’Egon Bahr, la «nouvelle Ostpolitik», qui misait enfin sur le «changement par le rapprochement», n’avait-elle pas jadis utilement commencé à démanteler peu à peu les murs de la «guerre froide» par des négociations tenaces, par le processus de la CSCE, par des accords de désarmement, enfin par les traités entre les deux Etats allemands?

Il s’agissait d’une politique de détente et de paix «basée sur des valeurs» et couronnée de succès, qui a finalement abouti à la fin de la division de l’Allemagne et semblait mettre fin à la confrontation des blocs après la Seconde Guerre mondiale. N’a-t-on pas récemment rendu un hommage hypocrite à l’œuvre de feu Michael Gorbatchev, dont la vision en matière de politique étrangère prévoyait la création d’une «maison commune européenne» avec toujours moins d’armes?

La poursuite de la guerre froide

Se pourrait-il que l’élargissement de l’OTAN vers l’Est – contrairement aux promesses faites par l’Occident à Gorbatchev – ainsi que le réarmement progressif de l’Europe de l’Est, y compris l’Ukraine, par l’OTAN, aient symbolisé le véritable «changement d’époque», qui a été réintroduit en 1990 par les Etats-Unis – contre le succès de la politique de paix et de détente – en tant que continuation des méthodes de la «guerre froide»?

Se pourrait-il que la prétendue «politique étrangère basée sur les valeurs et les droits de l’homme» de l’Occident, sous la direction des Etats-Unis, après 1990, en commençant par la guerre en Yougoslavie et les guerres en Afghanistan et en Irak, ait en fait représenté une continuation de la politique d’armement et de confrontation menaçant la paix après 1945 – une tentative d’imposer une politique étrangère occidentale guidée par des intérêts et une politique de changement de régime, afin d’installer enfin un dit «capitalisme démocratique» dans le monde?

Etait-ce la bonne réponse à la politique étrangère conciliante de Gorbatchev? Il s’agissait ensuite apparemment de créer enfin un ordre mondial occidental dans lequel la mondialisation capitaliste, le «libéralisme économique» et la stratégie militaire globale de l’OTAN avaient la priorité absolue sur l’influence de l’Etat social par une politique nationale indépendante.

Ne s’agit-il pas d’une conception néocoloniale des valeurs et de la société, dans laquelle la croissance économique et la maximisation des profits, en premier lieu pour les minorités aisées, sont considérées comme une priorité hégémonique, et où le refoulement des polarisations et de l’exploitation sociales, nationales et ethniques est devenu secondaire?

Une conception politique anachronique, néocoloniale et impériale

Les responsables politiques pensent-ils vraiment qu’une telle conception anachronique, néocoloniale et impériale de la politique, basée depuis de nombreux siècles sur d’innombrables génocides, nettoyages ethniques et esclavages, est également compatible avec une vision chrétienne du monde et pourrait par exemple servir de modèle pour un monde diversifié et multipolaire de demain? Compte tenu du fait que plus de 80% de l’humanité ne vit pas dans les pays industrialisés occidentaux?

Ce serait un monde de plus en plus déterminé par les distorsions sociales, les crises écologiques, l’exploitation et le manque de démocratie.

Protéger l’esprit de paix dans la Charte des Nations Unies

Les responsables politiques occidentaux ne réalisent-ils pas que, s’ils poursuivent cette politique étrangère et intérieure violente, ils sont en train de détruire la Charte des Nations Unies créée après 1945 et fondée sur des valeurs, ainsi que l’ensemble de l’ordre d’après-guerre des Nations Unies, qui avait enfin tiré les bonnes conclusions en matière de droit international des expériences fondamentales et meurtrières de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, dans le but explicite de garantir la paix mondiale et la coopération internationale?

Ne savent-ils pas que la lettre et l’esprit de l’ordre de paix et de valeurs de la Charte des Nations Unies et des décisions de l’ONU ne permettent en aucun cas de déduire une quelconque prétention au leadership des Etats-Unis et du monde occidental ou d’une quelconque nation, y compris la Russie ou la Chine, lorsqu’il est dit dans le préambule:

«Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances.»

Puis, l’article 2 (1) décrit l’égalité contre toute prétention au leadership, quelle qu’elle soit:

«L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres.»

Et l’art. 13 (b) définit une politique de paix, de sécurité et de coopération basée sur des valeurs comme suit:

«Développer la coopération internationale dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l’éducation, de la santé publique, et faciliter pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion, la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales».

Je pose à nouveau la question: les guerres occidentales dès 1990 ont-elles réellement permis d’imposer ces valeurs de l’ONU dans le monde entier ou n’ont-elles pas définitivement plongé ces dernières dans un chaos apocalyptique?

L’OTAN viole-t-elle la Charte des Nations Unies?

Les responsables politiques du monde occidental et l’ensemble de l’opinion publique mondiale ne peuvent plus éluder la question brûlante du présent et de l’avenir: la prise de parti unilatérale de l’OTAN et le soutien à la guerre des dirigeants ukrainiens ne vont-ils pas en réalité à l’encontre des intérêts vitaux existentiels des populations, tant en Occident qu’en Russie et en Ukraine, et donc du «principe de l’égalité souveraine de tous ses membres»?

L’humanité se trouve à nouveau, comme avant la Première et la Seconde Guerre mondiale, à un carrefour de son histoire, et une fois de plus, la phrase de Walter Benjamin prend une actualité oppressante: «Le fait que cela continue ainsi, c’est la catastrophe!»

Violation du serment du gouvernement?

Je me demande en outre s’il est compatible avec les conditions contractuelles substantielles de l’OTAN, en tant qu’«alliance défensive», qu’elle ait joué un rôle décisif en tant que partie à la guerre en faveur de l’Ukraine, non membre de l’OTAN, aussi bien lors de la prise de pouvoir du gouvernement ukrainien actuel que dans sa conduite de la guerre actuelle.

Où est l’appel à un tribunal international qui pourrait juger cette stratégie de l’OTAN de manière juridiquement indépendante? Car le régime ukrainien a manifestement refusé une solution fédérale avec la Russie, à laquelle l’Ukraine est étroitement liée par une histoire économique, interethnique, interculturelle et interreligieuse séculaire, même si elle est contradictoire.

Je me demande en même temps si cette politique étrangère violente est compatible avec la loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, voire anticonstitutionnelle, car le chancelier Scholz, lors de son entrée en fonction, a prêté serment aux électeurs allemands et à aucun autre peuple qu’il voulait tout faire pour éviter de «nuire au peuple allemand». Une clarification juridique de cette violation de serment devant la Cour constitutionnelle fédérale ne serait-elle pas impérative?

Enfin, je me demande si un gouvernement allemand dont les prédécesseurs étaient coresponsables de millions et de millions de Russes et d’Ukrainiens morts pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, ainsi que de la mort et de la destruction de nombreux autres peuples, notamment du génocide des Juifs d’Europe, dont une partie de ma famille faisait partie, – si ce gouvernement rouge-jaune-vert actuel n’a pas le fichu devoir et la culpabilité de s’engager sans alternative pour une solution négociée et de compromis, au lieu de continuer à jeter de l’huile sur le feu de ce conflit mondial le plus dangereux depuis 1945, uniquement pour se profiler, dans une solidarité mal comprise, comme un fidèle vassal des Etats-Unis et de l’Alliance occidentale.

Allemagne: «Plus jamais la guerre»

En Allemagne en particulier, les responsables politiques devraient contribuer de manière décisive à ce que les valeurs fondamentales de la politique de paix et de l’antifascisme des Nations Unies – sans doute l’héritage diplomatique le plus précieux de l’humanité depuis la fin de la Première et de la Seconde Guerre mondiale et correspondant au serment de Buchenwald: «Plus jamais de fascisme – plus jamais de guerre!» – ne soient pas à nouveau détruites par les moyens erronés d’une politique de guerre réciproque.

Destruction de la création

Je dis tout cela en étant pleinement conscient que notre Terre est, comme chacun le sait, une planète unique. Que dans l’immensité de l’univers, nous n’avons jusqu’à présent rien trouvé de comparable en matière de nature merveilleuse, de vie créative et hautement développée dans l’espace. Et je me demande toujours et encore à quel point je me sens responsable, à quel point nous nous sentons responsables de notre monde actuel?

Quelle serait l’idéologie irrationnelle, antidémocratique et autoritaire des «hommes-maîtres» si le «monde occidental» était prétendument le seul à détenir la recette de base pour un avenir humain pour toute la planète, pour ensuite l’imposer par des moyens belliqueux?

Comment se fait-il que dans un monde aussi infiniment diversifié, il ne puisse exister qu’une seule issue guerrière à la mise en danger de toute la création, et non pas – comme le prévoit précisément la Charte des Nations Unies – une coexistence pacifique et fédérale de nombreuses opinions et de différents systèmes sociétaux, pouvant à l’avenir se féconder, se transformer et se rapprocher?

C’est pourquoi mon message sans équivoque est encore une fois le suivant: seule une solution négociée sans alternative, ici et maintenant, peut permettre à ce monde en crise de trouver à l’avenir une voie pacifique vers la sécurité commune et la coopération, et d’éviter une guerre globale en Ukraine et ailleurs!

* Wolfgang Herzberg, né en 1944 en tant qu’enfant d’émigrés en Angleterre, retour de la famille à Berlin-Steglitz en 1947. Baccalauréat en 1962, ouvrier spécialisé en copie de films en 1963, travail comme ouvrier de travaux publics et ouvrier agricole. De 1964 à 1971, études de sciences culturelles à l’Université Humboldt, puis travail culturel syndical jusqu’en 1974. De 1974 à 1979, collaboration indépendante à des films documentaires. De 1979 à 1981, aspirant à l’Académie des sciences de la RDA sur le thème: interviews biographiques avec des ouvriers de l’usine d’ampoules électriques de Berlin. A partir de 1981, auteur et journaliste indépendant, parolier de rock, auteur de chansons, collaboration à un film documentaire et à une monographie sur l’auteur Elfriede Brüning. Interviews et textes analytiques sur l’histoire des juifs de gauche en RDA.
Dernière publication: Jüdisch & Links. Erinnerungen 1921–2021: Zum Kulturerbe der DDR. Vergangenheitsverlag, Berlin, septembre 2022. ISBN 978-3-86408-281-8281-8

Source: Ossietzky. Zweiwochenschrift für Politik / Kultur / Wirtschaft, 8 octobre 2022

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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