Pourquoi la paix est toujours possible

Renouer avec les traditions de paix européennes

par Robert Seidel

(8 août 2023) Il ne peut s’agir aujourd’hui que de chercher des voies vers la paix et de soutenir toutes les forces qui s’engagent dans cette voie. Toutes les autres options sont obsolètes au XXIe siècle en raison de la menace nucléaire. Voici quelques réflexions et, en ces temps de guerre, un rappel de la riche tradition humanitaire de l’Europe.

«Typiquement appellatif, frappant, simpliste ou carrément naïf.» C’est ainsi que, pendant la Première Guerre mondiale, s’exprimaient certaines voix à propos de la publication «L’homme est bon!» de Leonard Frank. L’auteur avait touché un point sensible. Ses récits bouleversants ont mis la guerre dans toute sa folie à la portée des lecteurs. Son livre a été lu en secret sur le front. Plus tard, il est devenu un best-seller.

La raison et la compassion sont éliminées

Au-delà de tous les sophismes intellectuels, de toutes les bulles et de tous les tapis d’opinion issus des bureaux de relations publiques modernes, l’être humain reste toujours et encore un être humain. Il n’est pas dans la «nature» de l’individu de tuer son prochain. Pour cela, il faut une machine meurtrière à grande échelle qui élimine la raison et le sentiment humain.

Où avons-nous atterri? A nouveau «Mourir pour la patrie!»? Il y a quelques années encore, on aurait secoué la tête avec consternation. Mais à l’aide de bureaux de relations publiques, de la course aux Fake News et d’un traitement intensif par médias mainstream, on a actuellement presque réussi à réimplanter dans la population le goût de la guerre et de la mort. Cela ressemble à un cauchemar. Les officiels et les intellectuels abandonnent sans combat des points d’ancrage de l’humanité que l’on croyait garantis. Les cris d’indignation sont étouffés par un flot médiatique composé de conformisme, de carriérisme, de stupidité, de croyance en l’autorité et de fatalisme.

La guerre est imminente

La guerre en Ukraine retombera sur l’Occident si elle ne s’achève pas prochainement – donc sur toute l’Europe. C’est une erreur de croire que cette guerre se limitera d’elle-même au territoire ukrainien alors que, simultanément, des armes de plus en plus dangereuses sont livrées par l’Occident. L’extension de la guerre est ainsi programmée. Le champ de bataille élargi s’appellera Europe. Pour les armes hypersoniques et les missiles à longue portée, y compris nucléaires, tout endroit en Europe est une cible accessible. Il n’est plus guère nécessaire aujourd’hui d’expliquer ce que signifierait une troisième guerre mondiale. Ou peut-être que si?

Les Etats occidentaux se trouvent dans une bulle de désinformation médiatique générale, décrite autrefois par le simple mot de «propagande». Apparemment, seuls ceux qui restent cohérents dans leur pensée critique, qui ont le temps nécessaire pour s'informer en détail et qui ont la force intérieure et le courage d'aller jusqu'au bout de leurs propres pensées – même à l'encontre de la bouillie médiatique – s'en aperçoivent encore. Ce qui, par ailleurs, ne nécessite pas de titre universitaire.

La raison et la guerre

Romain Rolland, Français et prix Nobel de littérature, décrit, pendant la Première Guerre mondiale, de manière exemplaire dans son ouvrage «Clérambault», cette force de la propagande qui détruit la raison commune et le sentiment d’humanité. Après la fin de la guerre, les œuvres de Rolland – comme le travail d’innombrables personnes et organisations engagées pour la paix – ont été largement approuvées dans le monde entier. L’impression produite par les horreurs de la guerre, les champs de bataille de Verdun ou les morts par gaz toxique à Ypres, a eu un effet bouleversant. Mais pas pour tous ...

Vingt et un ans plus tard, la Seconde Guerre mondiale a bouleversé les gens. Elle non plus n’est pas tombée du ciel. Elle aussi était planifiée. Elle aussi a été préparée. Et cette guerre a également été précédée d’un intense travail de propagande. A nouveau, la pensée, la raison et la compassion se sont arrêtées.

Un réveil cruel après la Seconde Guerre mondiale

Un réveil cruel après cette Seconde Guerre mondiale: des millions et des millions de soldats et de civils morts, des orphelins de guerre, des viols, des traumatisés, des estropiés, des personnes déplacées, des déracinés, des ruines sans fin, des épidémies, des famines et le premier largage de deux bombes atomiques, l’une sur Hiroshima et l’autre sur Nagasaki, avec des milliers de morts et des dommages génétiques pour les générations suivantes.

Les séquelles psychosociales d’une guerre jusqu’à la troisième génération ne sont prisent en compte par la recherche que récemment.

La Charte des droits de l’homme comme conséquence

La création de l’ONU et la proclamation de la Charte des droits de l’homme, avec son objectif déclaré de paix, ont été la conséquence impérative de cette catastrophe. Dans toute l’Europe, l’effort général en faveur de la paix allait de soi. L’approbation du travail d’un Albert Schweitzer ou le large soutien aux efforts de paix d’une personne comme Dag Hammerskjöld étaient l’expression de ce sentiment d’après-guerre.

Pour l’Europe, le souvenir cruel des deux guerres mondiales a signifié près de 50 ans de paix – jusqu’au désastre de la guerre des Balkans. Mais n’oublions pas qu’après la Seconde Guerre mondiale, les guerres se sont poursuivies dans le monde entier. En Europe, on s’en rendait guère compte. Il n’y a pas eu une année sans guerre! Les gouvernements des pays occidentaux étaient à la manœuvre. Les théâtres de guerre étaient l’Inde, l’Indochine, la Corée, l’Amérique latine, les anciennes colonies d’Afrique, le Proche-Orient, l’Indonésie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, le Yémen, etc. – jusqu’à ce jour...

Choisir la guerre ou la paix

Et pourtant, il n’y a pas d’automatismes – ni anthropologiques, ni socio-psychologiques, ni sociologiques, ni «systémiques», ni «historico-matérialistes», ni économiques – qui conduisent à la guerre. Les guerres sont planifiées. Elles sont préparées. Elles sont voulues. Et il y a des personnes qui ont le pouvoir de les préparer et de les déclencher – et de gagner ainsi énormément d’argent. Elles décident activement de faire la guerre. Ce sont quelques personnes au monde qui, de par leur position, ont le pouvoir de prendre des décisions qui concernent des milliards d’existences dans le monde. Ce sont eux qui décident. Laissons ici de côté les motifs qui les animent.

La paix est toujours possible

La paix est toujours possible, à tout moment et partout. D’une minute à l’autre. Si les gens peuvent décider de faire la guerre, ils peuvent aussi décider de faire la paix. Dès que la volonté est là, c’est possible. Les armistices ou les négociations de paix ne sont pas le fruit du hasard, ils découlent d’une prise de conscience et/ou d’un calcul glacial. Il n’y a pas d’automatismes qui perpétuent les guerres. Ces idées doivent être placées dans le domaine de la propagande. Elles ne font que paralyser la volonté de paix et le courage de remettre en question la voie empruntée.

Responsabilité

Même si certains donneurs d’ordre – et là je ne pense expressément pas aux nombreux politiciens, mais à ceux qui ont effectivement le pouvoir de décision de déclencher ou d’empêcher des livraisons d’armes, d’encourager ou d’empêcher des efforts de négociation – si ces personnes pensent qu’elles sont en dehors de toute responsabilité et qu’elles peuvent décider du sort et de la vie d’autrui comcomme des dieux, elles commettent une faute contre l’humanité. Ils devront assumer la responsabilité de leurs actes, qu’ils le veuillent ou non, et indépendamment du fait qu’ils en soient conscients ou non. – Il n’y a pas de droit au meurtre ou à l’assassinat, et il y a encore moins de droit à la revanche.

Perspectives

Pendant des siècles, l’Europe a toujours lutté pour la paix. Différentes approches se sont développées au cours de cette période pour parvenir à une paix juste ou à une cohabitation pacifique (paix universelle, Paix de Westphalie, Accords de La Haye, Conventions de Genève, séparation des pouvoirs étatiques, mécanismes étatiques limitant les possibilités d’entrer en guerre, etc.) Il convient de reprendre ces approches et de les développer.

La grande tentative d’instaurer une paix durable par le biais de la Charte des Nations Unies après la Seconde Guerre mondiale reste un exemple à suivre. Malheureusement, elle souffre de la construction du Conseil de sécurité – composé des puissances victorieuses de l’époque avec droit de veto – qui leur assure jusqu’à aujourd’hui un pouvoir supérieur à celui des 188 autres Etats membres de l’ONU. Cette approche est donc vouée à l’échec. Mais l’idée centrale selon laquelle des nations égales en droits sont responsables ensemble de la paix reste valable; des nations au sens d’Etats souverains.

Démocratisation du pouvoir de décision

Si l’humanité devait à nouveau échapper de justesse au conflit armé mondial qui s’annonce –comme en 1962 lors de la crise de Cuba («...at the end we lucked out...» selon secrétaire américain à la Défense Robert Mac Namara) –, on renouera avec les efforts d’Henri Dunant, de Bertha von Suttner, d’Aristide Briand, de Frank Kelloggs, d’Albert Schweitzer et de bien d’autres, afin d’exclure la folie d’une fin nucléaire. Pour ce faire, les institutions de «sécurité collective» développées en Europe, telles que d’abord la CSCE et dès 1995 l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), peuvent également être renouvelées de manière conséquente.

En conclusion, il faudra également réfléchir à la psychopathologie des «décideurs» et chercher des moyens et des procédures pour limiter leur pouvoir de décision meurtrier à l’échelle mondiale par des règles et des institutions démocratiques appropriées.

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