Pandémie de la COVID-19

Témoignage du professeur Jeffrey D. Sachs,* Président de la Commission sur la COVID-19 de la revue The Lancet, devant la Commission de la Chambre des représentants sur le contrôle et la responsabilité

Jeffrey D. Sachs (Photo
Gabriella C. Marino, 2019)

(28 mars 2023) Après plus de trois ans de pandémie qui a provoqué plus de 18 millions de décès dans le monde, selon une estimation officielle (IHME, 2023),1 nous ne connaissons toujours pas l’origine du SARS-CoV-2 – virus responsable de la COVID-19. Nous pouvons cependant énoncer quatre affirmations:

  1. le virus pourrait être issu d’une recherche dangereuse menée en laboratoire;
  2. ces recherches dangereuses ont été en partie financées par le gouvernement américain, et notamment par les National Institutes of Health (NIH), et ont donc impliqué une collaboration sino-américaine;
  3. la direction des NIH et un groupe de scientifiques associés aux NIH ont caché au Congrès et au public la possibilité d’une origine laboratoire;
  4. la question de l’origine du SARS-CoV-2 ne relève pas de la sphère politique. Si ce sont les républicains qui ont pris l’initiative de révéler l’hypothèse d’une fuite d’un laboratoire, ils devraient prochainement être rejoints par les démocrates dans la recherche de la vérité.

Commission sur la COVID-19 de la revue The Lancet

Entre 2020 et 2022, j’ai présidé la Commission sur la COVID-19 de la revue The Lancet. Cette Commission a suivi de près les preuves sur les origines du virus et a conclu2 qu’une origine laboratoire et une origine naturelle sont toutes deux possibles.

La Commission a exigé qu’une enquête continue et urgente soit menée sur cette question. Je félicite vivement le Congrès américain, et plus particulièrement la Commission de la Chambre des représentants sur le contrôle et la responsabilité, de s’ê tre attelée à cette tâche cruciale. Cela relève de l’intérêt public.

Recherche sur le «gain de fonction»

Dans la «Déclaration de Hambourg de 2022», des chercheurs renommés demandent l'arrêt de la recherche «gain de fonction» à haut risque sur des agents pathogènes présentant un potentiel de pandémie mondiale. Ils expliquent cette recherche en ces termes:
La recherche sur le «gain de fonction» permet d’adapter des virus naturels en modifiant leur séquence génétique de manière à faciliter leur ancrage et leur pénétration dans les cellules humaines. Il en résulte un risque énorme de pandémie, que des scientifiques responsables n’ont cessé de dénoncer au cours des dix dernières années. De tels travaux de recherche ont été menés ces dernières années sur différents agents pathogènes très dangereux, tels que les virus de la grippe aviaire et les coronavirus de type SARS, et sont documentés dans la littérature spécialisée. Nombre de ces travaux ont également été réalisés dans le cadre de projets de recherche financés par des fonds publics.
Source: https://swiss-standpoint.ch/news-detailansicht-fr-gesellschaft/appel-de-scientifiques-du-monde-entier-pour-l-arret-immediat-de-la-recherche-sur-le-gain-de-fonction.html

Recherches portant sur le gain de fonction

La question de l’origine est très importante. Si le virus a effectivement émergé d’un laboratoire, il révèle le danger redoutable des expériences actuellement menées sur le gain de fonction, largement inconnu du Congrès et du public. Il n’y a que peu ou pas de contrôle et de responsabilité pour ce type de recherche, malgré ses dangers.

Des chercheurs de l’Université de Boston ont récemment procédé à un remaniement génétique3 de la variante Omicron du SARS-CoV-2 de manière à la rendre plus pathogène. Pourtant, l’Université de Boston n’a pas fait l’objet d’un examen ou d’une surveillance fédérale des risques et des bénéfices. Des recherches préoccupantes portant sur le gain de fonction financées par le gouvernement américain sont apparemment en cours dans de nombreux endroits – et se déroulent sans examen fédéral des risques et des bénéfices, et sans supervision, lesquels devraient, sur le papier, être mandatés par la politique américaine mais qui, dans la pratique, ont été ignorés par les agences américaines de financement de la recherche.

Etant donné que les Etats-Unis disposent d’un vaste programme de recherche en matière de biodéfense, largement secret, d’autres recherches préoccupantes sur le gain de fonction financées par le gouvernement américain pourraient être en cours sans qu’elles soient connues du public ou du Congrès. Sans parler de l’ampleur de ces recherches dans d’autres parties du monde.

Raisons possibles d’une origine laboratoire du SARS-CoV-2

Les raisons de penser que le SARS-CoV-2 a pu émerger d’un laboratoire sont simples.

L’une d’entre elles concerne la présence dans le génome du SARS-CoV-2 d’une séquence codant un «site de clivage de la furine» (FCS). Le SARS-CoV-2 est le seul des centaines de virus apparentés au SARS («sarbecovirus») à posséder une séquence FCS. La présence de la séquence FCS dans le SARS-CoV-2 augmente considérablement la transmissibilité et la pathogénicité du virus.

Depuis 2006 au moins, les séquences FCS ont fait l’objet de recherches actives de la part des scientifiques qui étudient les coronavirus, précisément parce que l’on s’attendait à ce que l’insertion d’une séquence FCS dans les génomes des coronavirus rende ces derniers plus dangereux.

Nous savons que, ces dernières années, des scientifiques américains ont mis au point des techniques avancées pour insérer une séquence FCS dans un coronavirus lié au SARS. En outre, un partenariat de scientifiques sino-américains – notamment à EcoHealth Alliance, à l’Université de Caroline du Nord et à l’Institut de virologie de Wuhan – a soumis une proposition de subvention à la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) en 2018, juste un an avant l’apparition de la pandémie, qui proposait explicitement de procéder de la sorte. La proposition de subvention n’a pas été financée par la DARPA, mais les recherches ont pu être menées, et l’ont très probablement été, en utilisant d’autres ressources.

Faits préoccupants

Deux faits fondamentaux sont particulièrement préoccupants. Premièrement, les dirigeants des NIH, notamment l’ancien directeur Francis Collins et le Dr Anthony Fauci, directeur des National Institutes for Allergies and Infectious Diseases (NIAID), ont dissimulé la recherche sur le gain de fonction au Congrès et au public, et ont même induit en erreur ces deux derniers à plusieurs reprises sur ce sujet.

Ils n’ont pas divulgué correctement les travaux des NIH qui ont soutenu la dangereuse manipulation génétique des coronavirus liés au SARS. Ils n’ont pas divulgué la proposition de la DARPA et sa pertinence éventuelle quant à l’origine du SARS-CoV-2. En réalité, le public n’a appris l’existence de la proposition de la DARPA que par une fuite.

Par ailleurs, Collins, Fauci, Jeremy Farrar (alors directeur du Wellcome Trust et aujourd’hui scientifique en chef de l’OMS) et un groupe de scientifiques liés aux NIH ont caché au public et au Congrès la possibilité d’une origine de laboratoire du virus.

Ils l’ont fait, en partie, en produisant un document très trompeur, «The Proximal Origin of SARS-CoV-2», qui a détourné l’attention de la possibilité d’une origine laboratoire. En s’opposant à la possibilité d’une origine laboratoire, le document affirme de manière trompeuse: «Toutefois, les données génétiques montrent de manière irréfutable que le SARS-CoV-2 présente une structure virale de base. (20)» La note de bas de page 20 renvoie à un article de 2014, utilisé pour exclure l’origine laboratoire d’une pandémie en 2020!

Des scientifiques responsables auraient clairement indiqué qu’entre 2014 et 2020, des scientifiques américains et chinois avaient continué à collecter et à manipuler un grand nombre de coronavirus liés au SARS qui n’avaient jamais été signalés auparavant. Pourtant, au lieu d’alerter la communauté scientifique et le public sur ces inconnues majeures, les auteurs de l’article «Proximal Origin» ont promu la fausse affirmation selon laquelle une origine laboratoire du virus pouvait être exclue.

Deuxièmement, cette recherche dangereuse a été entreprise en collaboration par des chercheurs américains et chinois. Bien entendu, le NIH ne sait pas tout ce qui s’est passé dans les laboratoires chinois, mais il en sait beaucoup plus que ce qu’il a dit au public et au Congrès au sujet de la collaboration sino-américaine sur la manipulation génétique des virus liés au SARS. Il en va de même pour EcoHealth Alliance et l’Université de Caroline du Nord (UNC).

Il est remarquable et inquiétant de constater qu’aucun effort concerté n’a été entrepris à ce jour par les agences américaines, en particulier le NIH, pour collecter toutes les bases de données électroniques des virus apparentés au SARS détenues par EcoHealth Alliance, l’UNC, d’autres centres de recherche américains et des entités gouvernementales américaines, afin d’examiner ces bases de données à la recherche d’indices sur les origines possibles, notamment les origines laboratoire, du SARS-CoV-2. Cette absence d’examen est d’autant plus inquiétante et déconcertante que les principales bases de données sur les virus liés au SARS ont été constituées et entretenues grâce au financement des NIH et d’autres organismes publics américains.

Questions clés sur l’origine du SARS-CoV-2

Outre l’examen scientifique urgent des bases de données virales, des dossiers de laboratoire et d’autres preuves détenues par le gouvernement américain, les universités et les ONG qui pourraient faire la lumière sur les origines du SARS-CoV-2, il existe de nombreuses autres questions clés sur l’origine du SARS-CoV-2 qui devraient être examinées par la Commission de surveillance de la Chambre des représentants dans le cadre de sa mission publique de première importance. Ces questions sont les suivantes.

1) Quand les différents services du gouvernement américain ont-ils été informés de l’apparition d’un nouveau groupe de maladies de type pneumonie en Chine ou ailleurs en 2019?

2) Alors qu’il était de plus en plus évident, fin 2019, qu’un nouveau virus de type SARS était probablement en circulation, quand le gouvernement américain a-t-il recueilli des preuves de recherches soutenues par les Etats-Unis sur la manipulation génétique de virus de type SARS, dans le cadre de subventions des NIH ou autres?

3) Comment le Dr Anthony Fauci a-t-il informé la Maison-Blanche, le Congrès et le public des conclusions de la conférence téléphonique des NIH avec les scientifiques le 1er février 2020, notamment que la présence du FCS dans le SARS-CoV-2 faisait de l’origine laboratoire une possibilité réelle?

4) Quand les NIH ont-ils discuté pour la première fois en interne des implications de la proposition de la DARPA concernant l’origine possible du SARS-CoV-2?

5) Quelles discussions, le Dr Ralph Baric, le plus grand scientifique au monde dans le domaine de la manipulation génétique des coronavirus liés au SARS, notamment dans le rôle du FCS, a-t-il eues avec les NIH et d’autres agences gouvernementales américaines au début de la pandémie au sujet de la possibilité d’une origine laboratoire?

6) Le 12 décembre 2019, l’UNC, les NIH et Moderna ont signé un «accord de transfert de matériel»4 (MTA) pour partager du matériel concernant les «candidats vaccins coronavirus à ARNm». S’agit-il d’une coïncidence ou Moderna, les NIH et l’UNC étaient-ils déjà au courant de la circulation d’un nouveau virus similaire au SARS à la mi-décembre 2019?

7) Le 13 janvier 2020, les NIH et Moderna ont annoncé un partenariat pour développer le vaccin mRNA1273 contre le SARS-CoV-2, moins de deux jours après la première publication du génome du SARS-CoV-2 et quelques semaines avant tout cas connu de COVID-19 aux Etats-Unis. Quand le NIH et Moderna ont-ils eu connaissance du SARS-CoV-2 et comment sont-ils parvenus à un accord pour lancer les essais de phase I d’un vaccin à ARNm spécifique moins de deux jours après la publication du génome du nouveau virus?

8) De quelle manière les docteurs Francis Collins, Anthony Fauci et Jeremy Farrar ont-ils collaboré avec les auteurs de «Proximal Origins»?

9) Quand les auteurs de «Proximal Origins» ont-ils été informés pour la première fois par les NIH ou d’autres agences gouvernementales américaines de la proposition de la DARPA et d’autres recherches de gain de fonction en cours sur les virus analogues au SARS soutenues par le gouvernement américain?

10) Pourquoi les auteurs de «Proximal Origins» n’ont-ils pas précisé que des scientifiques américains et chinois manipulaient activement des coronavirus liés au SARS, et pourquoi n’ont-ils pas révisé ou rétracté l’article à la lumière de la proposition de la DARPA, qui indique clairement le grand nombre de coronavirus liés au SARS non signalés auparavant et l’intention d’une équipe scientifique sino-américaine d’introduire un FCS dans ces virus?

* Professeur à l’Université de Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de l’Université de Columbia et président du Réseau des solutions de développement durable des Nations Unies. Il a été conseiller auprès de trois secrétaires généraux de l’ONU et occupe actuellement la fonction de défenseur des ODD auprès du secrétaire général António Guterres.

Source: https://docs.house.gov/meetings/VC/VC00/20230308/115426/HHRG-118-VC00-20230308-SD007.pdf, 6 mars 2023

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://covid19.healthdata.org/global?view=cumulative-deaths&tab=trend

2 https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lancet/PIIS0140-6736(22)01585-9.pdf

3 https://www.nature.com/articles/s41586-023-05697-2

4 https://www.documentcloud.org/documents/6935295-NIH-Moderna-Confidential-Agreements#document/p105/a568569

Retour