Un cadre pour la paix en Israël et en Palestine

Jeffrey D. Sachs
(Foto Gabriella
C. Marino, 2019)

par Jeffrey D. Sachs,* Etats-Unis

Il est urgent de libérer les otages de Gaza, de mettre fin à l’effusion de sang en Israël et en Palestine, d’instaurer une sécurité durable pour les peuples israélien et palestinien, de réaliser les aspirations du peuple palestinien à un Etat souverain et de lancer un processus de véritable développement durable dans la région «Méditerranée orientale – Moyen-Orient» (EMME). Cet objectif peut être atteint par l’admission immédiate de la Palestine en tant qu’Etat membre des Nations Unies.

La Palestine est déjà largement reconnue comme un Etat souverain par 139 des 193 Etats membres de l’ONU (à partir de juin 2023), même si ce n’est pas le cas des Etats-Unis ou de la plupart des pays de l’Union européenne (la Suède a reconnu la Palestine en 2014,1 et l’Espagne a récemment signalé une possible étape vers la reconnaissance2). Cependant, pour la diplomatie et la participation aux affaires mondiales qui décident du sort de la Palestine, le pays n’est pas encore membre de l’ONU. Le 23 septembre 2011, l’Autorité palestinienne a demandé à devenir membre des Nations Unies,3 conformément aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptées depuis des décennies, qui appellent à une solution à deux Etats sur la base des frontières d’avant 1967. La lettre a été dûment transmise au comité du Conseil de sécurité pour l’admission de nouveaux membres.

Comme l’a noté le président palestinien Mahmoud Abbas dans la lettre de candidature:

«Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’indépendance et la vision d’une solution à deux Etats pour le conflit israélo-palestinien ont été consacrés par l’Assemblée générale dans de nombreuses résolutions, dont, entre autres, les résolutions 181 (II) (1947), 3236 (XXIX) (1974), 2649 (XXV) (1970), 2672 (XXV) (1970), 65/16 (2010) et 65/202 (2010), ainsi que les résolutions 242 (1967), 338 (1973) et 1397 (2002) du Conseil de sécurité des Nations Unies et l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 9 juillet 2004 (sur les conséquences juridiques de la construction du mur dans les territoires palestiniens occupés). En outre, la grande majorité de la communauté internationale a défendu nos droits inaliénables en tant que peuple, y compris le droit à l’Etat, en reconnaissant bilatéralement l’Etat de Palestine sur la base des frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, et le nombre de ces reconnaissances augmente de jour en jour.»

Après la présentation au Conseil de sécurité des Nations Unies, les Etats-Unis ont travaillé en coulisses au sein de la commission des Etats membres pour stopper la demande, malgré le soutien écrasant dont elle bénéficiait au sein de la commission, du Conseil de sécurité des Nations Unies lui-même et de l’Assemblée générale des Nations Unies.4

Le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a même pas voté sur la demande de la Palestine en raison de l’opposition des Etats-Unis, et la Palestine s’est alors contentée d’un statut d’observateur (sans droit de vote). Le Conseil de sécurité devrait aujourd’hui, une douzaine d’années plus tard, approuver la demande de la Palestine, mais cette fois en reconnaissant publiquement ce que les Etats-Unis ont toujours prétendu sans jamais vraiment le soutenir: un Etat complet et l’adhésion à l’ONU pour la Palestine.

La guerre de Netanyahu ne sert manifestement pas la recherche d’une paix juste. Netanyahu et son cabinet rejettent explicitement la solution à deux Etats, veulent soumettre les Palestiniens de la bande de Gaza et de la Cisjordanie et proposent de nouvelles colonies israéliennes en Palestine occupée5 ainsi qu’une souveraineté israélienne permanente à Jérusalem-Est.6 Leur politique s’apparente à une forme d’apartheid7 et de nettoyage ethnique.8 C’est précisément à cause de ces injustices que la guerre va probablement dégénérer en une guerre régionale, impliquant le Hezbollah, l’Iran et d’autres pays, si une solution politique équitable n’est pas trouvée.

Avant le 7 octobre, Netanyahu a tenté de «normaliser» les relations avec les Etats arabes sans aborder la nécessité d’un Etat palestinien, mais cette approche cynique était vouée à l’échec. Une paix réelle et durable ne peut être obtenue qu’en lien avec des droits politiques pour le peuple palestinien.

De véritables leaders pacifistes des deux côtés ont été martyrisés à maintes reprises, notamment le grand leader égyptien Anwar Sadat et le courageux Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, tous deux tués pour avoir prêché la coexistence pacifique. D’innombrables autres Palestiniens et Israéliens, dont nous ne connaissons même pas les noms, sont également morts en cherchant la paix entre Israéliens et Palestiniens, victimes du terrorisme qui est souvent le fait d’extrémistes au sein de leurs propres communautés.

Malgré ces graves obstacles, il existe une voie claire vers la paix par le biais de l’ONU, car les nations arabes et islamiques réclament depuis longtemps une paix avec Israël sur la base d’une solution à deux Etats, comme le réclame l’Autorité palestinienne. Lors du sommet extraordinaire conjoint arabo-islamique de Riyad le 11 novembre, les dirigeants arabes et islamiques ont fait la déclaration suivante en faveur d’une solution à deux Etats:9

«Un processus de paix crédible devrait être lancé dès que possible sur la base du droit international, des résolutions internationales légitimes et du principe ‹terre contre paix›. Cela devrait se faire dans un délai déterminé et sur la base de la mise en œuvre de la solution à deux Etats, avec des garanties internationales, conduisant à la fin de l’occupation israélienne des territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est, le Golan syrien occupé, les fermes de Chebaa, les collines de Kafr, Shoba et les quartiers extérieurs de la ville libanaise d’Al-Mari.»

Les dirigeants arabes et islamiques ont notamment fait référence à l’initiative de paix arabe de 2002,10 qui affirmait déjà il y a vingt-et-un ans que:

«Une paix juste et globale au Moyen-Orient est l’option stratégique des pays arabes, qui doit être réalisée conformément à la légalité internationale et nécessite un engagement similaire de la part du gouvernement israélien [...] [et] demande en outre à Israël d’accepter [entre autres] la création d’un Etat palestinien souverain et indépendant sur les territoires palestiniens occupés depuis le 4 juin 1967 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale».

Dès 2002, les pays arabes ont clairement déclaré qu’un tel résultat conduirait à la paix entre les nations arabes et Israël, et notamment que les nations arabes «considéreraient le conflit israélo-arabe comme terminé concluraient un accord de paix avec Israël et offriraient la sécurité à tous les Etats de la région». Malheureusement, Netanyahu a été au pouvoir la plupart du temps depuis 2009 et a tout fait pour ignorer l’initiative de paix arabe et pour la maintenir hors de la vue de l’opinion publique israélienne.

Le Conseil de sécurité, y compris tous les membres permanents (P5), devrait immédiatement admettre la Palestine à l’ONU et s’engager à soutenir opérationnellement et financièrement la mise en œuvre de la solution à deux Etats, y compris une force de maintien de la paix accueillie par la Palestine. La résolution du Conseil de sécurité devrait notamment engager les Nations Unies et les Etats voisins à aider tant Israël que le nouvel Etat membre des Nations Unies, la Palestine, à établir la sécurité mutuelle et à démilitariser les milices.

La résolution du Conseil de sécurité devrait contenir les points suivants:

  • La création immédiate de la Palestine en tant que 194e Etat membre de l’ONU avec les frontières du 4 juin 1967, avec la capitale à Jérusalem-Est et le contrôle des Lieux saints islamiques;
  • La libération immédiate de tous les otages, un cessez-le-feu permanent de toutes les parties et l’acheminement de l’aide humanitaire sous la supervision de l’ONU;
  • Une force de maintien de la paix en Palestine, composée principalement d’Etats arabes et opérant sous le mandat du Conseil de sécurité;
  • Le désarmement et la démobilisation immédiats du Hamas et d’autres milices par les forces de paix, en tant que partie intégrante de la paix;
  • l’établissement de relations diplomatiques entre Israël et tous les Etats de la Ligue arabe, en lien avec l’adhésion de l’Etat de Palestine à l’ONU.

Un nouveau Fonds pour la paix et le développement au sein des Nations Unies, comme je l’ai récemment préconisé au Conseil de sécurité des Nations Unies,11 afin de financer, entre autres objectifs, un programme de développement durable à long terme dans la région de la Méditerranée orientale, incluant la Palestine, Israël, la Syrie, le Liban, la Jordanie, l’Egypte et d’autres pays voisins.

Il y aurait bien sûr encore beaucoup à négocier, y compris des ajustements frontaliers consensuels, mais ces négociations doivent être menées en paix, entre deux Etats membres souverains des Nations Unies et sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations Unies, de l’Assemblée générale des Nations Unies et, surtout, de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

* Professeur à l’Université de Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de l’Université de Columbia et président du Réseau des solutions de développement durable des Nations Unies. Il a été conseiller auprès de trois secrétaires généraux de l’ONU et occupe actuellement la fonction de défenseur des ODD auprès du secrétaire général António Guterres.

Source: https://original.antiwar.com/Jeffrey_Sachs/2023/11/29/a-framework-for-peace-in-israel-and-palestine/, 30 novembre 2023

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://www.theguardian.com/world/2014/oct/30/sweden-officially-recognises-state-palestine

2 https://www.nakedcapitalism.com/2023/11/spanish-government-threatens-to-break-ranks-with-eu-and-unilaterally-recognise-palestine-as-a-sovereign-state.html

3 https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-184036/

4 https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-179982/

5 https://www.timesofisrael.com/netanyahu-hands-smotrich-full-authority-to-expand-existing-settlements/

6 https://www.jpost.com/arab-israeli-conflict/article-748435

7 https://www.washingtonpost.com/world/2023/08/11/israel-palestine-apartheid-israel-scholars/

8 https://www.haaretz.com/jewish/2021-04-08/ty-article-opinion/.highlight/theyre-israels-far-right-anti-arab-nationalists-but-dont-call-them-nazis/0000017f-f0c0-d223-a97f-fddd7efd0000

9 https://fm.gov.om/final-statement-of-extraordinary-joint-arab-islamic-summit/

10 https://fm.gov.om/final-statement-of-extraordinary-joint-arab-islamic-summit/

11 https://www.jeffsachs.org/newspaper-articles/h2ljgxma4c7p336dcgrx8nab47fb5j

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