Une certaine détente entre les Etats-Unis et la Chine se profile à l'horizon

M. K. Bhadrakumar (Photo mad)

par M. K. Bhadrakumar,* Inde

(4 juillet 2022) L'agence de presse «Kyodo» a rapporté lundi [18 juin] que le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande organisent un sommet à quatre en marge de la réunion des dirigeants de l'OTAN en Espagne la semaine prochaine.

Selon le rapport, l'initiative de Tokyo concernant cette «réunion quadrilatérale» est considérée «comme une tentative de contenir une Chine affirmée dans l'Indopacifique, après que l'invasion de l'Ukraine par la Russie a suscité des inquiétudes quant à ses implications pour la région où Pékin a étendu son influence». Kyodo a souligné que la réunion à quatre «ajouterait une nouvelle dimension au cadre de coopération multilatérale dans la poursuite d'un Indopacifique libre et ouvert».

Il s'agit sans aucun doute d'un changement de paradigme. Il ne fait aucun doute que l'initiative du Premier ministre japonais Fumio Kishida bénéficie du soutien total de Washington. L'administration Biden a encouragé la Corée du Sud à enterrer sa hache de guerre avec le Japon. La récente élection d'un président de droite en Corée du Sud, Yoon Suk-yeol, arrange les choses.

Le bureau présidentiel à Séoul a accueilli favorablement la proposition japonaise sur le cadre de sécurité: «Nous considérons cette proposition comme une intention de mettre en commun les forces des quatre pays d'Asie.» Auparavant, le président américain Biden, dans la même veine, a également incité la Nouvelle-Zélande – qui était un partenaire réticent en matière de sécurité – à s'impliquer activement dans la stratégie indopacifique visant à contenir la Chine. La visite du Premier ministre Jacinda Ardern à Washington fin mai, à l'invitation de M. Biden, a permis d'accomplir le programme de la Maison Blanche.

Les Etats-Unis se tiennent à l'écart

La raison d'être de l'initiative japonaise mérite quelques explications. On s'attend généralement à ce que l'OTAN se dirige vers l'Indopacifique dans le cadre de sa transformation en une organisation de sécurité mondiale. Le Japon est impatient de s'engager sur la voie de la militarisation de sa politique étrangère. Lors de la conférence annuelle Shangri-La qui s'est tenue récemment à Singapour, M. Kishida a exposé dans son discours liminaire1 une nouvelle doctrine appelée «diplomatie du réalisme pour une nouvelle ère», qui prévoit «le renforcement fondamental des capacités de défense du Japon, parallèlement au renforcement de l'alliance Japon–Etats-Unis et au renforcement de notre coopération en matière de sécurité avec d'autres pays partageant les mêmes idées».

Le plus grand gagnant ici est bien sûr l'administration Biden. Sans avoir à mettre en sommeil sa stratégie indopacifique, Washington la confie à ses alliés asiatiques les plus proches. Le journal Nippon a cité des responsables du gouvernement japonais qui ont déclaré: «Grâce à la réunion (en Espagne), M. Kishida […] espère promouvoir les efforts visant à réaliser un Indopacifique libre et ouvert, en gardant la Chine à l'esprit, et renforcer la coopération avec les membres de l'OTAN.»

Biden a discrètement tenu les Etats-Unis à l'écart du nouveau cadre quadrilatéral en Asie-Pacifique. Mais il a aussi ses priorités. Il estime que ce n'est pas le moment d'abandonner le terrain de la «compétition stratégique avec la Chine».

Mettre fin à la guerre commerciale avec la Chine

Une vague d'opinion aux Etats-Unis demande à la Maison-Blanche de mettre fin à la guerre commerciale de Trump avec la Chine et de supprimer les droits de douane imposés aux importations chinoises, car ces droits se sont révélés être une forme d'imposition punitive pour des dizaines de millions de ménages américains.

Les hausses de prix ont dépassé la pandémie de coronavirus comme le sujet le plus discuté dans les foyers aux Etats-Unis. L'inflation est une taxe régressive qui frappe de manière disproportionnée les groupes à faibles revenus et les retraités. Et la cause profonde en est l'administration Biden et la Banque centrale américaine.

Le plan de relance budgétaire de Biden (American Rescue Plan) a ouvert la boîte de Pandore. Les dépenses budgétaires sont toujours risquées, car elles sont potentiellement inflationnistes, et plus encore lorsqu'elles sont associées à la politique monétaire extraordinairement souple de la Réserve fédérale. D'autre part, il est peu probable que la pénurie intérieure de produits manufacturés aux Etats-Unis s'améliore, étant donné la perturbation du libre-échange, l’utilisation des sanctions comme arme contre les partenaires commerciaux des Etats-Unis, les barrières plus élevées pour l'exportation de technologies, etc.

Entre-temps, de multiples autres facteurs aggravent la crise économique: la pandémie étire durablement la main-d'œuvre tandis que la génération du baby-boom américain prend sa retraite, ce qui entraîne une hausse des salaires; la montée en flèche des coûts de location frappe les logements abordables; la chute des actions américaines due aux craintes des investisseurs concernant l'inflation érode les bénéfices des entreprises et la demande des consommateurs.

Mercredi dernier, la secrétaire d'Etat au Trésor américain, Janet Yellen, a confirmé qu'elle faisait pression pour que l'administration Biden réduise certains droits de douane sur les produits chinois qui «ne sont pas très stratégiques» mais nuisent plutôt aux consommateurs et aux entreprises américaines. Elle a exercé une forte pression au cours des dernières semaines et des derniers mois, mais les faucons antichinois de l'entourage de M. Biden ont continué à l'ignorer.

Renoncer aux droits de douane sur les articles chinois

Au sein de l'administration américaine, des discussions étaient en cours pour savoir s'il fallait prolonger au-delà de juillet les tarifs punitifs de la «section 301» imposés par l'administration Trump sur des centaines de milliards de dollars de produits chinois. Mme Yellen n'est que le principal défenseur, au sein de l'administration Biden, de la réduction des droits de douane sur les produits chinois. Un nombre croissant de personnes partageant les mêmes idées font pression sur l'administration Biden pour qu'elle renonce aux droits de douane sur les articles chinois afin de lutter contre les dangers de l'inflation, comme l'influente National Retail Federation, qui représente des milliers de détaillants aux Etats-Unis, dont Walmart et Target.

Il ne fait aucun doute que Pékin surveille de près la situation.2 Le porte-parole du ministère du Commerce a réaffirmé jeudi dernier que la suppression des droits de douane supplémentaires sur la Chine dans un contexte d'inflation élevée est «conforme aux intérêts fondamentaux des consommateurs et des entreprises américaines et serait bénéfique pour les Etats-Unis, la Chine et le monde». Un commentaire du Global Times a noté lundi:3

«Alors que les Etats-Unis sont confrontés au défi de l'inflation le plus grave depuis 40 ans et à une pression économique extrêmement lourde, il semble que Washington se tourne vers la Chine pour trouver un peu d'espoir, car le président américain Joe Biden a récemment déclaré aux médias qu'il cherchait à dialoguer avec le plus haut dirigeant chinois et qu'il était en train de se décider sur la question des tarifs douaniers.»

La Chine ouverte à une détente

Bien sûr, Joe Biden n'a pas besoin qu'on lui dise que, si l'on se fie à l'histoire, c'est au moment où les Américains ont du mal à se procurer les produits de première nécessité, notamment la nourriture, le carburant et le logement, qu'ils sont le plus susceptibles de chasser l'élite au pouvoir.

Il ne fait aucun doute que la Chine sera ouverte à une détente. Mais l'administration Biden se demande comment ne pas trop exposer ses faiblesses à la Chine. Il est certain que la Chine attendra une contrepartie4 pour la garantie de l'économie américaine.

La Chine espère des conditions de concurrence équitables dans les relations commerciales et économiques entre la Chine et les Etats-Unis, ce qui ouvrira des perspectives de partenariat qui ne peuvent être facilement abandonnées sans provoquer des secousses dans l'économie et la politique intérieure américaines. En outre, une chose en amenant une autre, la Chine a d'autres atouts à faire valoir, comme le changement climatique, le développement des infrastructures, etc.

En dernière analyse, les intérêts politiques de Biden et de Xi Jinping convergent, car pour les deux, 2022 se trouve être une année électorale cruciale.

Poutine: «Nos intérêts ne sont pas en contradiction avec les leurs»

Il est certain que les implications géopolitiques d'une détente entre les Etats-Unis et la Chine seront profondes pour la communauté mondiale, et surtout pour la Russie. Les remarques du président Vladimir Poutine sur la Chine lors de la conférence SPIEF de la semaine dernière à Saint-Pétersbourg ont laissé entendre que Moscou sent un déplacement des plaques tectoniques. Pour citer Poutine,

«Nous trouvons intéressant et bénéfique d'être partenaires de la Chine, d'autant plus que nous entretenons des relations politiques stables et fondées sur la confiance. J'ai d'excellentes relations personnelles et amicales avec le président Xi Jinping, au sens plein du terme, ce qui crée une bonne atmosphère pour le renforcement des liens entre nos pays. Toutefois, cela ne signifie pas que la Chine doive jouer le jeu avec nous ou nous soutenir à chaque étape du processus. Nous n'en avons pas besoin, après tout.»

«Il y a les intérêts de l'Etat. Tout comme nous, les dirigeants chinois agissent principalement en fonction de leurs intérêts nationaux, mais nos intérêts ne sont pas en contradiction avec les leurs, et c'est ce qui compte. Lorsque des problèmes se posent – et ils se posent toujours au niveau des agences dans le cadre du travail – la nature et la qualité des relations entre nos pays nous permettent de toujours trouver des solutions. Je suis convaincu qu'il en sera toujours ainsi à l'avenir.»

Les Etats-Unis ont besoin de l'aide de la Chine

Lorsque la Russie a attaqué l'Ukraine et que l'Occident a imposé des sanctions à Moscou, Washington a menacé la Chine que tout geste de sa part pour aider la Russie à contourner les sanctions déclencherait une punition sévère. Aujourd'hui, la boucle est bouclée et les Etats-Unis ont besoin de la main tendue de la Chine pour sauver leur économie. C'est le piège de Thucydide à l'envers – une puissance émergente qui vient au secours d'une grande puissance bien établie, dont les extravagances l'ont appauvrie.

* M. K. Bhadrakumar a travaillé pendant près de trois décennies comme diplomate de carrière au service du ministère indien des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur dans l'ancienne Union soviétique, au Pakistan, en Iran, en Afghanistan, en Corée du Sud, au Sri Lanka, en Allemagne et en Turquie. Ses textes traitent principalement de la politique étrangère indienne et des événements au Moyen-Orient, en Eurasie, en Asie centrale, en Asie du Sud et en Asie du Pacifique. Son blog s'appelle «Indian Punchline».

Source: https://www.indianpunchline.com/us-china-detente-on-the-horizon/, 21 juin 2022

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1  https://www.mofa.go.jp/files/100356160.pdf

2 https://www.globaltimes.cn/page/202205/1266125.shtml

3 https://www.globaltimes.cn/page/202206/1268503.shtml

4 https://www.globaltimes.cn/page/202206/1268061.shtml

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