Une proposition de paix allemande pour l’Ukraine montrant la voie à suivre qui nous sauverait d’une dangereuse escalade de la guerre

Michael von der Schulenburg. (Photo mad)

par Michael von der Schulenburg,* Allemagne

(4 octobre 2023) Fin août de cette année, quatre personnalités allemandes très respectées1 ont présenté un plan de paix2 visant à mettre fin à la guerre en Ukraine par un cessez-le-feu suivi de négociations de paix. Depuis le début de la guerre, il y a 18 mois, il s’agit probablement de la proposition de paix la plus complète et la plus novatrice qui ait été faite par un gouvernement, une organisation internationale ou, comme ici, par des particuliers.

Cette proposition intervient à un moment extrêmement critique de la guerre en Ukraine. En raison d’un éventuel échec de la contre-offensive ukrainienne et de l’affaiblissement des forces armées de Kiev qui en résulterait, l’OTAN pourrait être confrontée dans les prochains mois, voire dans les prochaines semaines, à la décision soit d’intensifier à nouveau la guerre contre la Russie, soit d’emprunter la voie des négociations. Une décision en faveur de la poursuite de la guerre comporte toutefois le risque énorme qu’elle se transforme de plus en plus en une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie. Cela entraînerait non seulement de nouvelles souffrances pour la population ukrainienne, mais rapprocherait également le monde d’une guerre nucléaire. Il ne reste donc plus qu’à espérer que la raison l’emporte et que l’OTAN, l’Ukraine et la Russie se décident pour un cessez-le-feu avec des négociations de paix immédiates. La proposition allemande de paix détaillée montre la voie à suivre. Il est donc de la plus haute urgence d’attirer l’attention des décideurs politiques du monde entier sur cette proposition de paix et de gagner l’opinion publique à sa cause.

Jusqu’à présent, la Chine, l’Union africaine, le Brésil, le Mexique et l’Indonésie ont présenté des propositions de paix sur la guerre en Ukraine, ainsi qu’une proposition élaborée à l’invitation du Vatican. En outre, la Turquie et Israël ont entrepris des initiatives de paix. Il est donc consternant que l’Union européenne, elle-même profondément impliquée dans cette guerre, n’ait pas encore fait de proposition pour y mettre fin par une solution politique. A l’exception d’une proposition de l’ancien Premier ministre italien Draghi, il y a un an, aucun des pays membres de l’UE n’a non plus entrepris une quelconque forme d’initiative de paix propre. Malheureusement, cela vaut également pour le gouvernement allemand.

En cette période de grand danger pour l’Europe, l’Union européenne semble avoir sombré dans la rigidité politique. Elle ne dispose pas d’une stratégie propre évidente pour la guerre en Ukraine et n’a pas non plus développé d’idées sur ce à quoi pourrait ressembler une Europe pacifique après cette guerre. Comme si ce vieux continent n’avait rien appris des terribles expériences des deux guerres mondiales, qui, comme aujourd’hui la guerre d’Ukraine, se sont principalement déroulées sur le sol européen, on s’accroche à des exigences maximales et à l’idée bouleversante qu’elles ne peuvent être atteintes que sur le champ de bataille. On accepte manifestement que l’Ukraine soit ainsi littéralement vidée de son sang. La politique de l’UE semble également rester sourde aux conséquences politiques, sociales et économiques pour les populations d’Europe et du monde, ainsi qu’aux énormes dangers que ferait courir à l’humanité une extension de la guerre.

Dans ce contexte, on comprend pourquoi une proposition de paix allemande aussi détaillée revêt une telle importance à l’heure actuelle. Elle rompt avec la croyance néfaste selon laquelle des victoires militaires pourraient apporter la paix et esquisse au contraire des voies pour parvenir à une solution pacifique de cette guerre par des négociations politiques. Dans l’atmosphère belliqueuse qui règne actuellement dans la politique européenne, dans les médias et dans les usines à idées, cela demande un courage personnel considérable de la part des initiateurs de ces propositions.

Cette proposition de paix part également du point de vue occidental, selon lequel la Russie a lancé une guerre d’agression illégale et que l’Ukraine a donc tout à fait le droit de se défendre militairement et d’accepter un soutien étranger à cet effet. Mais ils font un pas de plus en soulignant que cela «ne dispense pas le gouvernement de Kiev et les Etats qui le soutiennent […] de promouvoir politiquement l’instauration d’une paix juste et durable.» Etant donné que cette guerre est entrée dans une phase hautement destructrice après 18 mois et qu’il ne peut plus y avoir de vainqueurs, l’engagement de tous les belligérants et de leurs soutiens à rechercher une solution politique pour la paix est devenu encore plus urgent.

Ainsi, les initiateurs demandent un cessez-le-feu immédiat le long du front existant, mais aussi l’ouverture simultanée de négociations de paix afin d’éviter un ‹gel› de cette ligne de cessez-le-feu et donc de l’ensemble du conflit. Afin de ne pas retarder les négociations de paix par de longues manœuvres politiques, ils proposent des solutions de négociation sur les problèmes clés controversés du conflit: une Ukraine neutre, des garanties de sécurité pour la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ainsi qu’une solution politique pour le futur statut des régions de Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson ainsi que de la Crimée.

Les négociations devraient s’inscrire dans le prolongement des négociations de paix russo-ukrainiennes menées en mars 2022 et devraient prendre en compte les points du document de position ukrainien sur le sommet de paix d’Istanbul de l’époque.

Cette proposition de paix venant d’Allemagne complète les propositions de paix extra-européennes déjà proposées. Comme ces dernières, elle part du principe que les intérêts de sécurité russes, tels qu’ils ont été exposés dans la lettre de la Russie à l’OTAN et aux Etats-Unis du 17 décembre 2021, doivent également être pris en compte. Contrairement à l’opinion politique au sein de l’UE, les initiateurs de la proposition de paix allemande partagent l’avis des pays non occidentaux selon lequel le président russe Poutine est bel et bien prêt à négocier. Cela ne signifie pas encore un rapprochement des positions de négociation. Comme pour toutes les autres négociations de paix, dans le cas de la guerre en Ukraine, les négociations doivent également négocier laborieusement les intérêts contradictoires des belligérants et des Etats qui les soutiennent. Cela sera extrêmement difficile, car il n’y a pas de confiance entre les parties au conflit. Les négociations de paix ont lieu entre ennemis de guerre et non entre amis. Néanmoins, la voie vers une paix négociée qui vient d’être tracée représente un grand avantage par rapport à toute autre tentative d’obtenir une solution imposée par la force militaire.

Il devrait donc être dans l’intérêt des Etats de l’UE d’accepter rapidement cette proposition de paix. Car c’est l’UE qui sera perdante dans cette guerre. Elle devra assumer les coûts de la guerre ainsi que les coûts à long terme d’une Ukraine détruite, appauvrie et en voie de dépeuplement. Les Etats-Unis s’étant retirés depuis longtemps de l’autre côté de l’Atlantique, l’UE continuera à être confrontée à de nombreuses régions en crise dans son voisinage immédiat. C’est également l’économie de l’UE qui souffrira le plus du renchérissement des matières premières, de la perte de débouchés commerciaux et du blocage des voies commerciales directes vers les régions asiatiques en pleine croissance, ainsi que de ses propres sanctions.

Il suffit de bien lire les signes du sommet des BRICS+, de l’Organisation de coopération de Shanghai et maintenant du sommet du G-20 pour se rendre compte que ce n’est pas la Russie qui est isolée, mais que c’est l’influence de l’UE qui s’affaiblit de plus en plus au niveau international. Pour l’UE, la guerre en Ukraine représente un poids énorme dans ses relations internationales. L’UE a donc un besoin urgent de paix et la proposition de paix allemande devrait être considérée comme une chance de réorienter l’accent de la politique étrangère européenne de la guerre vers la paix.

Ce qui est frappant dans la proposition de paix allemande, c’est à quel point elle mise sur un rôle décisif des Nations Unies pour sa mise en œuvre. Selon cette proposition, les conditions générales d’un cessez-le-feu global doivent être décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU et la surveillance de la démilitarisation dans les territoires occupés par les Russes et le long de la ligne de cessez-le-feu doit être garantie par les forces de maintien de la paix de l’ONU. Les négociations de paix doivent également se dérouler sous l’égide du secrétaire général de l’ONU ou d’un haut-commissaire désigné par lui. Etant donné que les Nations Unies, le Conseil de sécurité et le secrétaire général de l’ONU ont joué un rôle plutôt décevant dans ce conflit, ces propositions feront certainement sourire de nombreux observateurs.

Et pourtant, cette proposition pourrait avoir une portée considérable, voire mondiale. Elle conduirait à la réhabilitation de cette organisation mondiale si indispensable et centrale pour le maintien de la paix dans le monde. Cela signifierait que les différentes propositions et initiatives de paix des Etats membres pourraient se rencontrer au sein de cet organe, non pas en tant que forces concurrentes, mais en tant que forces se renforçant mutuellement en faveur de la paix. Un tel renforcement des Nations Unies et la réaffirmation de l’universalité de la Charte des Nations Unies qui en découle seront certainement bien accueillis par la grande majorité des Etats membres. Cette proposition de paix allemande pourrait y contribuer de manière décisive.

Les Nations Unies et la Charte des Nations Unies ont été créées en réponse aux crimes commis par l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. L’obligation qui y est faite de trouver des solutions pacifiques aux conflits et d’empêcher les guerres est donc particulièrement importante pour l’Allemagne. Cette proposition de paix allemande répond à cette responsabilité particulière de l’Allemagne. Si nous voulons mettre fin à la guerre en Ukraine de manière pacifique, il n’y a pas d’alternative à cette proposition de paix.

* Michael von der Schulenburg, 1948, ancien sous-secrétaire général des Nations Unies, a étudié à Berlin, Londres et Paris. Il a travaillé et vécu pendant plus de 34 ans dans des missions de paix et de développement des Nations Unies et, brièvement, de l’OSCE, dans de nombreux pays affaiblis et déchirés par des guerres, des conflits avec des acteurs armés non étatiques et/ou par des interventions militaires étrangères. Il a notamment effectué des missions de longue durée en Haïti, au Pakistan, en Afghanistan, en Iran, en Irak et en Sierra Leone, ainsi que des missions plus courtes en Syrie, en Somalie, dans les Balkans, au Sahel et en Asie centrale. En 2017, il a publié le livre «On Building Peace – Rescuing the Nation-State and Saving the United Nations» et a publié de nombreux articles sur les réformes de l’ONU, les conflits armés intraétatiques, l’Afghanistan, l’Irak et l’Ukraine. (www.michael-von-der-schulenburg.com)

1 Peter Brandt, fils de l'ancien chancelier allemand Willy Brandt, initiateur de l'Ostpolitik, ancien professeur d'histoire et voix importante du mouvement pacifiste allemand, des syndicats allemands et du parti social-démocrate.

  Hajo Funke, ancien professeur d'antisémitisme/populisme de droite et de conflits internationaux à l'Institut Otto Suhr, le principal groupe de réflexion politique universitaire allemand.

  Harald Kujat, général allemand le plus haut gradé à la retraite, a été inspecteur général de la Bundeswehr de 2000 à 2002 et président du comité militaire de l'OTAN de 2002 à 2005, président du Conseil OTAN-Russie et de la commission OTAN-Ukraine des chefs d'état-major.

  Horst Teltschik, ancien conseiller principal en politique étrangère du chancelier allemand Helmut Kohl pendant la fin de la Guerre froide et les négociations avec les quatre puissances qui ont conduit à la réunification de l'Allemagne en 1991.

2 https://zeitgeschehen-im-fokus.ch/de/newspaper-ausgabe/sonderausgabe-vom-28-august-2023.html#article_1551
ou en anglais
https://zeitgeschehen-im-fokus.ch/en/newspaper-ausgabe-en/article-translated-in-english.html#article_1565

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