«Le but premier de l’agriculture est de nourrir en suffisance et de manière optimale»

Anne Challandes (photo mad)

par Anne Challandes*

(21 mai 2021) Nous, les familles paysannes suisses, ne voulons pas non plus de résidus dans l’eau. De nombreuses mesures sont déjà appliquées pour éviter cela et d’autres sont encore prévues afin de le garantir.

A ce titre, les nouvelles dispositions adoptées ce printemps par le Parlement fixent des objectifs ambitieux qui en font la réglementation la plus stricte d’Europe et apportent une réponse plus adéquate que les deux initiatives soumises au vote en juin.

Cette réglementation s’appliquera dès 2023 et fixe un objectif de réduction des risques liés aux pesticides de 50% d'ici 2027. Elle a une portée plus large puisqu’elle intègre également un objectif de réduction des éléments fertilisants. Enfin, elle ne favorise pas les importations.

Préserver notre alimentation de l’anéantissement

L’agriculture suisse est dans un processus de constante amélioration. Ces 10 dernières années, l’utilisation de substances de synthèse a diminué de 40% dans l’agriculture conventionnelle. La moitié des produits phytosanitaires utilisés actuellement sont homologués en bio et de plus en plus d’agriculteurs non bio se tournent volontairement vers ce type de produits. Toutes celles et tous ceux qui ont un jardin potager savent cependant la vitesse à laquelle une maladie ou un ravageur peut détruire une culture. C’est pourquoi, en agriculture conventionnelle comme en agriculture bio, il n’est pas toujours possible de renoncer à un traitement. Les produits phytosanitaires sont toujours le dernier recours pour sauver une récolte et ainsi préserver notre alimentation de l’anéantissement. Ils servent à garantir la sécurité des aliments, importante aussi lors du stockage ou du transport.

Les produits phytosanitaires sont tous homologués dans le cadre d’une procédure dépendant de trois offices fédéraux: l’Office fédéral de l’agriculture, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires et l’Office fédéral de l’environnement. Ce dernier gagnera encore en compétences et chapeautera cette procédure dès 2022. Les agriculteurs appliquent les traitements selon l’adage: «aussi peu que possible, mais autant que nécessaire», uniquement en dernier recours quand le seuil d’intervention est dépassé. De plus en plus souvent, ils optent pour des méthodes alternatives quand elles existent. Avec la nouvelle réglementation prévue pour la réduction des risques de l’utilisation des pesticides, l’agriculture a la ferme volonté de poursuivre son évolution.

Pour les cultures délicates que sont le colza, la betterave
et les pommes-de-terre, les solutions alternatives et
naturelles n’existent pas encore. (Photo keystone)

Nourrir la population de manière durable

En agriculture biologique, nous n’avons pas encore toutes les solutions. C’est le cas en particulier pour les cultures délicates que sont le colza, la betterave et les pommes-de-terre, pour lesquelles les solutions alternatives et naturelles n’existent pas encore ou qui nécessitent l’autorisation de substances ayant elles aussi un impact.

Dans notre pays, avec le moratoire sur le génie génétique qui exclut les nouvelles techniques de sélection plus rapides, la recherche suisse n’a donc pour seule possibilité de trouver des nouvelles variétés résistantes aux maladies ou aux ravageurs que les méthodes de sélections naturelles et traditionnelles. Celles-ci nécessitent bien plus que 10 ans pour aboutir à un résultat utilisable.

La fonction première de l’agriculture est de nourrir la population de manière durable, ce que font les familles paysannes suisses avec professionnalisme, de manière strictement réglementée et régulièrement contrôlée. La population suisse occupe de manière dense notre territoire et ne cesse d’augmenter. A l’inverse, les surfaces agricoles diminuent sans cesse de presque 1 m2 par seconde. C’est donc un défi quotidien que de produire suffisamment de denrées alimentaires de qualité et de proximité. Nous y parvenons actuellement, pour un jour sur deux avec des produits de proximité, qui sont irréprochables, au contraire des aliments importés.

L’eau du robinet est strictement surveillée et contrôlée

Dans notre pays, l’eau du robinet est strictement surveillée et contrôlée. Lorsque des prélèvements sont problématiques, les autorités responsables prennent immédiatement les mesures adéquates.

Cependant, d’autres substances posant problème ne font pas l’objet de la même attention et sont pourtant présentes dans notre eau dans des proportions bien plus importantes. L’EAWAG (Institut fédéral suisse des sciences et technologies de l’eau) et l’Association des chimistes cantonaux de Suisse déclarent que l’eau potable suisse peut être consommée en toute confiance, ce d’autant que les valeurs limites fixées sont très basse à titre préventif.

Si les analyses démontrent parfois la présence de pesticides, elles montrent aussi, quand ils sont recherchés, que les résidus des autres activités humaines sont bien plus nombreux. Par exemple une analyse des eaux du Rhin par le même institut a révélé que le 99% des résidus trouvés proviennent de l’industrie, des ménages et des médicaments. D’ailleurs, nous baignons dans une «soupe chimique» dans notre environnement quotidien, qui n’est ni réglementée ni contrôlée comme le sont les substances utilisées dans l’agriculture.

Davantage d’importations impliquent davantage d’impact environnemental

Plusieurs études établissent qu’une éventuelle acceptation des initiatives provoquerait une diminution de la production de 20 à 40%. 20% de production en moins rapportée à la surface agricole utile suisse, soit environ 1 million d’hectares, cela représente la production de 200'000 hectares que nous devrons aller chercher, «coloniser», à l’étranger, si la consommation ne change pas. Cela veut dire par exemple plus de bœuf du Brésil, plus de poulet des pays de l’Est ou plus d’huile de palme pour compenser les pertes dans la culture du colza. Cette production démontre bien, en particulier cette année, les risques d’une contrainte de production sans produits phytosanitaires.

Une augmentation des importations implique directement un impact environnemental plus grand en contradiction totale avec les objectifs recherchés actuellement sur le plan climatique.

Notre responsabilité de pays riche, entre écologisme et réalisme

Cela nous questionne aussi sur notre responsabilité de pays riche, entre écologisme et réalisme. Selon la FAO, «le concept de durabilité englobe bien davantage que la simple conservation de la base de ressources naturelles. Pour être durable, l’agriculture doit répondre aux besoins qu’ont les générations actuelles et futures de ses produits et services» tout en assurant l’équilibre entre les trois aspects qui la composent.1 Autrement dit, le but premier de l’agriculture est de nourrir en suffisance et de manière optimale.

Avant de voter, nous avons donc la responsabilité de nous poser certaines questions. Comment allons-nous nourrir la population qui ne cesse d’augmenter? Quelle garantie avons-nous d’être «livrés» en suffisance en cas de crise alimentaire mondiale? Mais la question essentielle qui révèle l’incohérence de ces deux initiatives est surtout celle-ci: comment justifier pour un pays riche comme le nôtre, d’aller se servir dans d’autres pays de la nourriture que, par idéologisme, nous ne souhaitons plus produire ici?

En conclusion et en tenant compte de tous les éléments en présence, je voterai 2 x NON.

1  Construire une vision commune pour une alimentation et une agriculture durables, Principes et approches, FAO, Rome 2014, http://www.fao.org/sustainability/background/fr/    et http://www.fao.org/3/i3940f/i3940f.pdf

* Anne Challandes, 52 ans, est présidente de l’«Union suisse des paysannes et des femmes rurales». Avocate et mère de quatre enfants, elle exploite une ferme biologique avec des vaches allaitantes à Fontainemelon (NE) avec son mari et son fils aîné. Ils cultivent du blé, de l'orge, du colza, du maïs, du quinoa, des pois chiches et des lentilles.

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