Les nouvelles armes financières de l’Occident

Manlio Dinucci (Photo mad)

Exiger des pays du tiers-monde de réaliser des investissements neutres en carbone

par Manlio Dinucci*

(20 février 2022) De nouvelles armes sont en train de s’ajouter à l’arsenal des politiques économiques et financières de l’Occident. Pour en comprendre la nature et la portée, il convient de partir de celles utilisées jusqu’à présent: les sanctions – y compris la plus lourde, l’embargo – opérées surtout par les Etats-Unis et l’Union européenne contre d’entiers Etats, sociétés et personnes.

Il est fondamental de comprendre le critère avec lequel elles sont décidées: les USA et l’UE décrètent par un jugement sans appel qu’un Etat ou autre sujet a commis une violation. Ils établissent des sanctions ou un embargo total, et exigent que les Etats tiers respectent ces mesures prises, sous peine de rétorsions.

En 1960 les Etats-Unis imposèrent l’embargo à Cuba qui, s’étant libérée, avait violé leur «droit» à utiliser l’île comme leur possession: le nouveau gouvernement nationalisa les propriétés des banques et multinationales états-uniennes qui contrôlaient l’économie cubaine. Aujourd’hui, 61 ans après, l’embargo est toujours en vigueur, pendant que les compagnies américaines demandent des milliards de dollars de remboursements.

En 2011, en préparation de la guerre USA-OTAN contre la Libye, les banques états-uniennes et européennes ont séquestré 150 milliards de dollars de fonds souverains investis à l’étranger par l’Etat libyen. Par la suite, la plus grande partie a disparu. Dans cette grande rapine s’est distinguée Goldman Sachs, la plus puissante banque d’affaires états-unienne, dont Mario Draghi – l’actuel Premier ministre italien – était alors vice-président.

En 2017, à la suite de nouvelles sanctions états-uniennes contre le Venezuela, des biens d’une valeur de 7 milliards de dollars ont été «gelés» par les Etats-Unis et 31 tonnes d’or déposées par l’Etat vénézuélien auprès de la Banque d’Angleterre et de la Deutsche Bank ont été séquestrées.

Indice ESG: Environnement, Société et Gouvernance

C’est sur ce fond que se place la nouvelle et colossale opération financière lancée par Goldman Sachs, Deutsch Bank et les autres grandes banques états-uniennes et européennes. Apparemment en miroir à l’opération des sanctions, celle-ci prévoit non pas des restrictions économiques ou des séquestrations de fonds pour punir les pays jugés coupables de violations, mais la concession de financements à des gouvernements et autres sujets vertueux qui se conforment à l’«Indice ESG: Environnement, Société, Gouvernance».

Le but officiel de l’Indice ESG est d’établir les normes pour éviter l’imminente catastrophe climatique annoncée par la Conférence de Glasgow, pour défendre les droits humains piétinés par les régimes totalitaires, pour assurer le bon gouvernement sur le modèle des grandes démocraties occidentales.

Notamment le Département d’Etat américain, le Forum économique mondial (WEF), la Fondation Rockefeller, la Banque mondiale fixent ces normes. Quelques organisations onusiennes se joignent à eux avec un rôle subalterne. La plus grande garantie pour les droits humains est représentée par le Département d’Etat américain, dont l’embargo sur l’Irak avec l’aval de l’ONU provoqua, de 1990 à 2003, un million et demi de morts dont un demi-million d’enfants.

L’opération financière se concentre sur le changement climatique: la Conférence de l’ONU de Glasgow a annoncé, le 3 novembre, que «la Finance va devenir verte et résiliente». La Glasgow Financial Alliance for Net Zero est ainsi née. Depuis avril 2021, 450 banques et multinationales de 45 pays y ont adhéré. Elles s’engagent à «investir dans les trois prochaines décennies plus de 130 trillions (130 fois mille milliards) de dollars de capital privé pour transformer l’économie jusqu’à zéro émission en 2050». Les capitaux sont recueillis à travers l’émission de Green Bonds (obligations vertes) et d’investissements effectués par des fonds communs et des fonds de pension, en grande partie avec l’argent de petits épargnants qui risquent de se retrouver dans une énième bulle spéculative.

Désormais, il n’est pas une banque ou une multinationale qui ne s’engage à réaliser zéro émission d’ici 2050 et à aider dans ce sens les «pays pauvres», où plus de 2 milliards d’habitants utilisent encore le bois comme unique ou principal combustible.1 Solennellement engagée pour zéro émission se trouve même la compagnie pétrolifère anglo-hollandaise Royal Dutch Shell qui, après avoir provoqué un désastre environnemental et sanitaire dans le delta du Niger, se refuse à y assainir les terres polluées. Ainsi, dans l’attente des émissions zéro, les habitants continuent à mourir à cause de l’eau polluée par les hydrocarbures de Shell.

* Manlio Dinucci est un géographe et geopolitologue italien. Ses derniers ouvrages publiés sont: Laboratorio di geografia, Zanichelli 2014; Diario di viaggio (drei Bände), Zanichelli 2017; L’arte della guerra / Annali della strategia Usa/Nato 1990–2016, Zambon 2016; Guerra nucleare. Il giorno prima. Da Hiroshima a oggi: chi e come ci porta alla catastrofe, Zambon 2017; Diario di guerra. Escalation verso la catastrofe (2016–2018), Asterios Editores 2018.

Source: Il Manifesto (Italie). https://www.voltairenet.org/article214636.html, 9 novembre 2021

(Traduction Marie-Ange Patrizio)

1 «COP26: Verdir la Finance?», par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 9 novembre 2021.

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